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 - 16 avril 2024 - Saint Benoît-Joseph Labre
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Evangelium Vitae

Chapitre 2 : Je suis venu pour qu’ils aient la vie

« La vie s’est manifestée, nous l’avons vue » (1 Jn 1,2) : le regard tourné vers le Christ, « le Verbe de vie »

29. Face aux menaces innombrables et graves qui pèsent sur la vie dans le monde d’aujourd’hui, on pourrait demeurer comme accablé par le sentiment d’une impuissance insurmontable : le bien ne sera jamais assez fort pour vaincre le mal !

C’est alors que le peuple de Dieu, et en lui tout croyant, est appelé à professer, avec humilité et courage, sa foi en Jésus Christ, « le Verbe de vie » (1 Jn 1,1). L’Evangile de la vie n’est pas une simple réflexion, même originale et profonde, sur la vie humaine ; ce n’est pas non plus seulement un commandement destiné à alerter la conscience et à susciter d’importants changements dans la société ; c’est encore moins la promesse illusoire d’un avenir meilleur. L’Evangile de la vie est une réalité concrète et personnelle, car il consiste à annoncer lapersonne même de Jésus. A l’Apôtre Thomas et, en lui, à tout homme, Jésus se présente par ces paroles : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). C’est la même identité qu’il affirme devant Marthe, sœur de Lazare : « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,25-26). Jésus est le Fils qui, de toute éternité, reçoit la vie du Père (cf. Jn 5,26) et qui est venu parmi les hommes pour les faire participer à ce don : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10,10).

C’est donc à partir de la parole, de l’action, de la personne même de Jésus que la possibilité est donnée à l’homme de « connaître » la vérité tout entière sur la valeur de la vie humaine ; c’est de cette « source » qu’il reçoit notamment la capacité de « faire » parfaitement la vérité (cf. Jn 3,21), ou d’assumer et d’exercer pleinement la responsabilité d’aimer et de servir la vie humaine, de la défendre et de la promouvoir.

Dans le Christ, en effet, est définitivement annoncé et pleinement donné cet Evangile de la vie qui, déjà présent dans la Révélation de l’Ancien Testament, et même inscrit en quelque sorte dans le cœur de tout homme et de toute femme, retentit dans chaque conscience « dès le commencement », c’est-à-dire depuis la création elle-même, en sorte que, malgré les conditionnements négatifs du péché, il peut aussi être connu dans ses traits essentiels par la raison humaine. Comme l’écrit le Concile Vatican II, le Christ « par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par des paroles et par des œuvres, par des signes et des miracles, et plus particulièrement par sa mort et par sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève la révélation en l’accomplissant, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle ».

30. C’est donc le regard fixé sur le Seigneur Jésus que nous voulons l’écouter nous redire « les paroles de Dieu » (Jn 3,34) et méditer à nouveau l’Evangile de la vie. La signification la plus profonde et la plus originale de cette méditation du message révélé sur la vie humaine a été saisie par l’Apôtre Jean, qui écrit au début de sa première lettre : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie - car la Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue -, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi soyez en communion avec nous » (1, 1-3).

En Jésus, « Verbe de vie », est donc annoncée et communiquée la vie divine et éternelle. Grâce à cette annonce et à ce don, la vie physique et spirituelle de l’homme, même dans sa phase terrestre, acquiert sa plénitude de valeur et de signification : la vie divine et éternelle, en effet, est la fin vers laquelle l’homme qui vit dans ce monde est orienté et appelé. L’Evangile de la vie contient ainsi ce que l’expérience même et la raison humaine disent de la valeur de la vie ; il l’accueille, l’élève et la porte à son accomplissement.

« Ma force et mon chant, c’est le Seigneur, je lui dois le salut » (Ex 15, 2) : la vie est toujours un bien

31. En vérité, la plénitude évangélique du message sur la vie est déjà préparée dans l’Ancien Testament. C’est surtout dans l’événement de l’Exode, centre de l’expérience de foi de l’Ancien Testament, qu’Israël découvre à quel point sa vie est précieuse aux yeux de Dieu. Alors même qu’il semble voué à l’extermination, parce qu’une menace de mort pèse sur tous ses enfants nouveau-nés (cf. Ex 1, 15-22), le Seigneur se révèle à lui comme le sauveur, capable d’assurer un avenir à celui qui est sans espérance. Il naît ainsi en Israël une conscience précise : sa vie ne se trouve pas à la merci d’un pharaon qui peut l’utiliser avec un pouvoir despotique ; au contraire, elle est l’objet d’un amour tendre et fort de la part de Dieu.

La libération de l’esclavage est le don d’une identité, la reconnaissance d’une dignité indestructible et le début d’une histoire nouvelle, où découverte de Dieu et découverte de soi vont de pair. Cette expérience de l’Exode est fondatrice et exemplaire. Israël apprend que, chaque fois qu’il est menacé dans son existence, il lui suffit de recourir à Dieu avec une confiance renouvelée pour trouver en lui un soutien efficace : « Je t’ai modelé, tu es pour moi un serviteur ; Israël, je ne t’oublierai pas » (Is 44, 21).

Ainsi, reconnaissant la valeur de son existence comme peuple, Israël progresse aussi dans la perception du sens et de la valeur de la vie en tant que telle. C’est une réflexion qui se développe de manière particulière dans les livres sapientiaux, à partir de l’expérience quotidienne de la précarité de la vie et aussi de la conscience des menaces qui la guettent. Devant les contradictions de l’existence, la foi est appelée à offrir une réponse.

C’est surtout le problème de la souffrance qui défie la foi et la met à l’épreuve. Comment ne pas saisir la présence de la plainte universelle de l’homme dans la méditation du livre de Job ? L’innocent écrasé par la souffrance est, de manière compréhensible, amené à se demander : « Pourquoi donner à un malheureux la lumière, la vie à ceux qui ont l’amertume au cœur, qui aspirent à la mort sans qu’elle vienne, qui la recherchent plus avidement qu’un trésor ? » (3, 20-21). Même dans l’obscurité la plus épaisse, la foi pousse à la reconnaissance du « mystère », dans un esprit de confiance et d’adoration : « Je comprends que tu es tout-puissant : ce que tu conçois, tu peux le réaliser » (Jb 42, 2).

Peu à peu, la Révélation fait saisir de manière toujours plus claire le germe de vie immortelle déposé par le Créateur dans le cœur des hommes : « Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps ; il a mis dans leur cœur l’ensemble du temps » (Qo 3, 11). Ce germe de totalité et de plénitude attend de se manifester dans l’amour et de s’accomplir, par un don gratuit de Dieu, dans la participation à sa vie éternelle.

« Le nom de Jésus a rendu la force à cet homme » (Ac 3,16) : dans la précarité de l’existence humaine, Jésus porte à son accomplissement le sens de la vie

32. L’expérience du peuple de l’Alliance se renouvelle dans celle de tous les « pauvres » qui rencontrent Jésus de Nazareth. Comme déjà le Dieu « ami de la vie » (Sg 11, 26) avait rassuré Israël au milieu des dangers, de même le Fils de Dieu annonce-t-il aujourd’hui à ceux qui se sentent menacés et entravés dans leur existence que leur vie aussi est un bien auquel l’amour du Père donne sens et valeur.

« Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Lc 7,22). Par ces paroles du prophète Isaïe (35, 5-6 ; 61, 1), Jésus explique le sens de sa mission : ainsi, ceux qui souffrent d’une forme de handicap dans leur existence entendent de lui la bonne nouvelle de la sollicitude de Dieu pour eux et ils ont la confirmation que leur vie aussi est un don jalousement gardé dans les mains du Père (cf. Mt 6,25-34).

Ce sont les « pauvres » qui sont particulièrement interpellés par la prédication et par l’action de Jésus. Les foules de malades et de marginaux qui le suivent et le cherchent (cf. Mt 4,23-25) trouvent dans sa parole et dans ses gestes la révélation de la haute valeur de leur vie et de ce qui fonde leur attente du salut.

Ainsi en est-il dans la mission de l’Eglise, depuis ses origines. Elle qui annonce Jésus comme celui qui « a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable, car Dieu était avec lui » (Ac 10,38) sait qu’elle porte un message de salut qui retentit, avec toute sa nouveauté, précisément dans les situations de misère et de pauvreté que traverse l’homme dans sa vie. C’est ainsi qu’agit Pierre quand il guérit le boiteux déposé chaque jour près de la « Belle Porte » du Temple de Jérusalem pour y demander l’aumône : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, marche ! » (Ac 3,6). Dans la foi en Jésus, « auteur de la vie » (Ac 3,15), la vie qui est là, abandonnée et implorante, retrouve conscience de soi et pleine dignité.

La parole et les gestes de Jésus et de son Église ne concernent pas seulement celui qui vit dans la maladie, la souffrance ou les différentes formes de marginalisation. Plus profondément, ils touchent le sens même de la vie de tout homme dans ses dimensions morales et spirituelles. Seul celui qui reconnaît que sa vie est marquée par la maladie du péché peut, dans la rencontre avec Jésus Sauveur, retrouver la vérité et l’authenticité de son existence, selon les paroles de Jésus : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs au repentir » (Lc 5,31-32).

Au contraire, celui qui, comme le riche cultivateur de la parabole évangélique, pense qu’il pourra assurer sa vie par la seule possession de biens matériels, se trompe en réalité : sa vie lui échappe et il en sera bien vite privé sans parvenir à en percevoir le sens véritable : « Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura ? » (Lc 12,20).

33. C’est dans la vie même de Jésus, du début jusqu’à la fin, que l’on retrouve cette singulière « dialectique » entre l’expérience de la précarité de la vie humaine et l’affirmation de sa valeur. En effet, la vie de Jésus est marquée par la précarité dès sa naissance. Certes, il trouve l’accueil favorable des justes, qui s’unissent au « oui » immédiat et joyeux de Marie (cf. Lc 1,38). Mais il y a aussi, dès le début, le refus d’un monde qui se montre hostile et qui cherche l’enfant « pour le tuer » (Mt 2,13), ou qui reste indifférent et sans intérêt pour l’accomplissement du mystère de cette vie qui entre dans le monde : « Il n’y avait pas de place pour eux dans l’auberge » (Lc 2,7). Le contraste entre les menaces et l’insécurité d’une part, et la puissance du don de Dieu d’autre part, fait resplendir avec une force plus grande la gloire qui se dégage de la maison de Nazareth et de la crèche de Bethléem : cette vie qui naît est salut pour toute l’humanité (cf. Lc 2,11).

Les contradictions et les risques de la vie sont pleinement assumés par Jésus : « De riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). La pauvreté dont parle saint Paul n’est pas seulement le dépouillement des privilèges divins ; c’est aussi le partage des conditions de vie les plus humbles et les plus précaires de la vie humaine (cf. Ph 2,6-7). Jésus vit cette pauvreté pendant toute son existence, jusqu’au moment suprême de la Croix : « Il s’humilia lui-même en se faisant obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2,8-9). C’est précisément dans sa mort que Jésus révèle toute la grandeur et la valeur de la vie, car son offrande sur la Croix devient source de vie nouvelle pour tous les hommes (cf. Jn 12,32). Quand il affronte les contradictions et l’anéantissement de sa vie, Jésus est guidé par la certitude qu’elle est dans les mains du Père. C’est pourquoi, sur la Croix, il peut lui dire : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46), c’est-à-dire ma vie. Grande, en vérité, est la valeur de la vie humaine, puisque le Fils de Dieu l’a prise et en a fait l’instrument du salut pour l’humanité entière !

« Appelés ... à reproduire l’image de son Fils » (Rm 8,28-29) : la gloire de Dieu resplendit sur le visage de l’homme

34. La vie est toujours un bien. C’est là une intuition et même une donnée d’expérience dont l’homme est appelé à saisir la raison profonde.

Pourquoi la vie est-elle un bien ? L’interrogation parcourt toute la Bible et trouve, dès ses premières pages, une réponse forte et admirable. La vie que Dieu donne à l’homme est différente et distincte de celle de toute autre créature vivante, car, tout en étant apparenté à la poussière de la terre (cf. Gn 2, 7 ; 3, 19 ; Jb 34, 15 ; Ps 103 102, 14 ; 104 103, 29), l’homme est dans le monde une manifestation de Dieu, un signe de sa présence, une trace de sa gloire (cf. Gn 1, 26-27 ; Ps 8, 6). C’est ce qu’a voulu souligner également saint Irénée de Lyon avec sa célèbre définition : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ». À l’homme est conférée une très haute dignité, dont les racines plongent dans le lien intime qui l’unit à son Créateur : en l’homme resplendit un reflet de la réalité même de Dieu.

Telle est l’affirmation du livre de la Genèse dans le premier récit des origines, qui place l’homme au sommet de l’action créatrice de Dieu, comme son couronnement, au terme d’un développement qui, du chaos informe, aboutit à la créature la plus achevée. Tout, dans la création, est ordonné à l’homme et tout lui est soumis : « Remplissez la terre, soumettez-la et dominez... sur tout être vivant » (1, 28), ordonne Dieu à l’homme et à la femme. Un message semblable est aussi lancé par l’autre récit des origines : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15). Le primat de l’homme sur les choses est ainsi réaffirmé : les choses sont pour lui et confiées à sa responsabilité, tandis qu’il ne peut lui-même, pour aucun motif, être asservi à ses semblables et de quelque manière être ramené au rang des choses.

Dans le récit biblique, la distinction entre l’homme et les autres créatures est surtout mise en évidence par le fait que seule sa création est présentée comme le fruit d’une décision spéciale de la part de Dieu, d’une délibération qui établit un lien particulier et spécifique avec le Créateur : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1, 26). La vie que Dieu offre à l’homme est un don par lequel Dieu fait participer sa créature à quelque chose de lui-même.

Israël s’interrogera longuement sur le sens de ce lien particulier et spécifique de l’homme avec Dieu. Le livre du Siracide reconnaît lui aussi que Dieu, en créant les hommes, « les a revêtus de force, comme lui-même, et les a créés à son image » (17, 3). L’auteur sacré rattache à cela non seulement leur domination sur le monde, mais aussi les facultés spirituelles les plus caractéristiques de l’homme, telles que la raison, la capacité de discerner le bien du mal, la volonté libre : « Il les remplit de science et d’intelligence et leur fit connaître le bien et le mal » (Si 17, 7). La capacité d’accéder à la vérité et à la liberté sont des prérogatives de l’homme du fait qu’il est créé à l’image de son Créateur, le Dieu vrai et juste (cf. Dt 32, 4). Seul de toutes les créatures visibles, l’homme est « capable de connaître et d’aimer son Créateur ». La vie que Dieu donne à l’homme est bien plus qu’une existence dans le temps. C’est une tension vers une plénitude de vie ; c’est le germe d’une existence qui va au-delà des limites mêmes du temps : « Oui, Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature » (Sg 2, 23).

35. Le récit yahviste des origines exprime la même conviction. L’antique narration, en effet, parle d’un souffle divin qui est insufflé en l’homme pour qu’il entre dans la vie : « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2, 7).

L’origine divine de cet esprit de vie explique l’insatisfaction perpétuelle qui accompagne l’homme au cours de sa vie. Créé par Dieu, portant en lui-même une marque divine indélébile, l’homme tend naturellement vers Dieu. Quand il écoute l’aspiration profonde de son cœur, l’homme ne peut manquer de faire sienne la parole de vérité prononcée par saint Augustin : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi ».

Il est d’autant plus significatif de voir l’insatisfaction qui s’empare de la vie de l’homme dans l’Eden tant que son unique point de référence demeure le monde végétal et animal (cf. Gn 2, 20). Seule l’apparition de la femme, d’un être qui est chair de sa chair, os de ses os (cf. Gn 2, 23) et en qui vit également l’esprit de Dieu créateur peut satisfaire l’exigence d’un dialogue interpersonnel, qui est vital pour l’existence humaine. En l’autre, homme ou femme, Dieu se reflète, lui, la fin ultime qui comble toute personne.

« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? », se demande le Psalmiste (Ps 8, 5). Face à l’immensité de l’univers, il est une bien petite chose ; mais c’est précisément ce contraste qui fait ressortir sa grandeur : « Tu l’as créé un peu moindre que les anges (mais on pourrait traduire aussi "un peu moindre que Dieu"), le couronnant de gloire et d’honneur » (Ps 8, 6). La gloire de Dieu resplendit sur le visage de l’homme. En lui, le Créateur trouve son repos, ainsi que le commente saint Ambroise avec admiration et émotion : « Le sixième jour est terminé ; la création du monde s’est achevée avec la formation de ce chef-d’œuvre qu’est l’homme, lui qui exerce son pouvoir sur tous les êtres vivants et qui est comme le sommet de l’univers et la beauté suprême de tout être créé. En vérité, nous devrions observer un silence respectueux, car le Seigneur s’est reposé de toute la création du monde. Il s’est reposé ensuite à l’intime de l’homme, il s’est reposé dans son esprit et sa pensée ; en effet, il avait créé l’homme doué de raison, capable de l’imiter, émule de ses vertus, assoiffé des grâces célestes. Dans ces dons qui sont les siens repose Dieu qui a dit : "Sur qui reposerais-je, sinon sur celui qui est humble, qui se tient tranquille et qui tremble à ma parole ?" (Is 66, 1-2). Je rends grâce au Seigneur notre Dieu qui a créé une œuvre si merveilleuse où il trouve son repos ».

36. Le merveilleux projet de Dieu a malheureusement été contrarié par l’irruption du péché dans l’histoire. Par le péché, l’homme se rebelle contre son Créateur, pour finir par idolâtrer les créatures : « Ils ont adoré et servi la créature de préférence au Créateur (Rm 1,25). Ainsi, l’être humain ne se contente pas de souiller en lui-même l’image de Dieu, mais il est tenté de l’offenser aussi chez les autres, en substituant aux rapports de communion des attitudes de défiance, d’indifférence, d’inimitié, jusqu’à la haine homicide. Quand on ne reconnaît pas Dieu comme Dieu, on trahit le sens profond de l’homme et on porte atteinte à la communion entre les hommes.

Dans la vie de l’homme, l’image de Dieu resplendit à nouveau et se manifeste dans toute sa plénitude avec la venue du Fils de Dieu dans la chair humaine : « Il est l’image du Dieu invisible » (Col 1,15), « resplendissement de sa gloire et effigie de sa substance » (He 1,3). Il est l’image parfaite du Père.

Le projet de vie confié au premier Adam trouve finalement son accomplissement dans le Christ. Tandis que la désobéissance d’Adam abîme et défigure le dessein de Dieu sur la vie de l’homme et fait entrer la mort dans le monde, l’obéissance rédemptrice du Christ est source de grâce qui rejaillit sur les hommes en ouvrant à tous les portes du royaume de la vie (cf. Rm 5,12-21). L’Apôtre Paul l’affirme : « Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante ; le dernier Adam, esprit vivifiant » (1 Co 15, 45).

A tous ceux qui acceptent de se mettre à la suite du Christ, la plénitude de la vie est donnée : en eux, l’image divine est restaurée, renouvelée et portée à sa perfection. Tel est le dessein de Dieu sur les êtres humains : qu’ils deviennent « con- formes à l’image de son Fils » (Rm 8,29). C’est seulement ainsi que, dans la splendeur de cette image, l’homme peut être libéré de l’esclavage de l’idolâtrie, qu’il peut reconstruire la fraternité éclatée et retrouver son identité.

« Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,26) : le don de la vie éternelle

37. La vie que le Fils de Dieu est venu donner aux hommes ne se réduit pas à la seule existence dans le temps. La vie, qui depuis toujours est « en lui » et constitue « la lumière des hommes » (Jn 1,4), consiste dans le fait d’être engendré par Dieu et de participer à la plénitude de son amour : « A tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (Jn 1,12-13).

Parfois, Jésus donne à la vie qu’il est venu apporter ce simple nom de « la vie » ; et il présente la génération par Dieu comme une condition nécessaire pour pouvoir atteindre la fin en vue de laquelle Dieu a créé l’homme : « A moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3,3). Le don de cette vie constitue l’objet propre de la mission de Jésus : il est « celui qui descend du ciel et donne la vie au monde » (Jn 6,33), si bien qu’il peut affirmer en toute vérité : « Celui qui me suit... aura la lumière de la vie » (Jn 8,12).

En d’autres occasions, Jésus parle de vie éternelle, en utilisant un adjectif qui ne renvoie pas seulement à une perspective supratemporelle. « Eternelle » est la vie promise et donnée par Jésus, parce qu’elle est plénitude de participation à la vie de l’« Eternel ». Quiconque croit en Jésus et entre en communion avec lui a la vie éternelle (cf. Jn 3,15 ; 6, 40), car c’est de lui qu’il entend les seules paroles capables de révéler et de communiquer une plénitude de vie pour son existence ; ce sont les « paroles de la vie éternelle » que Pierre reconnaît dans sa profession de foi : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ; nous croyons et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6,68-69). La vie éternelle est définie par Jésus lui-même lorsqu’il s’adresse au Père dans la grande prière sacerdotale : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Connaître Dieu et son Fils, c’est accueillir le mystère de la communion d’amour du Père, du Fils et de l’Esprit Saint dans notre vie qui s’ouvre dès maintenant à la vie éternelle dans la participation à la vie divine.

38. La vie éternelle est donc la vie même de Dieu ainsi que la vie des fils de Dieu. Le croyant ne peut manquer d’être saisi d’un émerveillement toujours renouvelé et d’une reconnaissance sans limites face à cette vérité surprenante et ineffable qui nous vient de Dieu dans le Christ. Le croyant fait siennes les paroles de l’Apôtre Jean : « Voyez quel grand amour le Père nous a donné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes !... Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, lors de cette manifestation, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3,1-2).

C’est ainsi que la vérité chrétienne sur la vie parvient à sa plénitude. La dignité de la vie n’est pas seulement liée à ses origines, au fait qu’elle vient de Dieu, mais aussi à sa fin, à sa destinée qui est d’être en communion avec Dieu pour le con- naître et l’aimer. C’est à la lumière de cette vérité que saint Irénée précise et complète son exal- tation de l’homme : la « gloire de Dieu » est bien « l’homme vivant », mais « la vie de l’homme est la vision de Dieu ».

Il en résulte des conséquences immédiates pour la vie humaine dans sa condition terrestre même, où a déjà germé et où croît la vie éternelle. Si l’homme aime instinctivement la vie parce qu’elle est un bien, cet amour trouve une autre motivation et une autre force, une ampleur et une profondeur nouvelles, dans les dimensions divines de ce bien. Dans une telle perspective, l’amour de tout être humain pour la vie ne se réduit pas à la seule recherche d’un espace d’expression de soi et de relation avec les autres, mais il se développe dans la conscience joyeuse de pouvoir faire de son existence le « lieu » de la manifestation de Dieu, de la rencontre et de la communion avec lui. La vie que Jésus nous donne ne retire pas sa valeur à notre existence dans le temps, mais elle l’assume et la conduit à son destin final : « Je suis la résurrection et la vie... ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,25.26).

« A chacun je demanderai compte de la vie de son frère » (Gn 9, 5) : vénération et amour pour la vie de tous

39. La vie de l’homme vient de Dieu, c’est son don, son image et son empreinte, la participation à son souffle vital. Dieu est donc l’unique Seigneur de cette vie : l’homme ne peut en disposer. Dieu luimême le répète à Noé après le déluge : « De votre sang, qui est votre propre vie, je demanderai compte... à tout homme : à chacun je demanderai compte de la vie de son frère » (Gn 9, 5). Et le texte biblique prend soin de souligner que le caractère sacré de la vie a son fondement en Dieu et dans son action créatrice : « Car à l’image de Dieu l’homme a été fait » (Gn 9, 6).

La vie et la mort de l’homme sont donc dans les mains de Dieu, en son pouvoir : « Il tient en son pouvoir l’âme de tout vivant et le souffle de toute chair d’homme », s’écrie Job (12, 10). « Le Seigneur fait mourir et fait vivre, il fait descendre au shéol et en remonter » (1 S 2, 6). Il est seul à pouvoir dire : « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » (Dt 32, 39).

Dieu n’exerce pas ce pouvoir de manière arbitraire et tyrannique, mais comme une prévenance et une sollicitude aimantes à l’égard de ses créatures. S’il est vrai que la vie de l’homme est dans les mains de Dieu, il n’en est pas moins vrai que ce sont des mains pleines de tendresse, comme celles d’une mère qui accueille, qui nourrit et qui prend soin de son enfant : « Je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère » (Ps 131 130, 2 ; cf. Is 49, 15 ; 66, 12-13 ; Os 11, 4). Ainsi, dans l’histoire des peuples et dans la condition des individus, Israël ne voit pas la conséquence d’un pur hasard ou d’un destin aveugle, mais le résultat d’un dessein d’amour par lequel Dieu reprend toutes les potentialités de la vie et s’oppose aux forces de mort qui naissent du péché : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il a tout créé pour l’être » (Sg 1, 13-14).

40. La vie étant sacrée, elle est dotée d’une inviolabilité inscrite depuis les origines dans le cœur de l’homme, dans sa conscience. La question « qu’as-tu fait ? » (Gn 4, 10), posée par Dieu à Caïn après qu’il a tué son frère Abel, traduit l’expérience de tout homme : au plus profond de sa conscience, il lui est toujours rappelé l’inviolabilité de la vie - de sa vie et de celle des autres -, en tant que réalité qui ne lui appartient pas, parce qu’elle est propriété et don de Dieu son Créateur et Père.

Le commandement relatif à l’inviolabilité de la vie humaine retentit au centre des « dix paroles » lors de l’alliance au Sinaï (cf. Ex 34, 28). Il interdit d’abord l’homicide : « Tu ne tueras pas » (Ex 20, 13) ; « tu ne feras pas mourir l’innocent et le juste » (Ex 23, 7), mais il interdit aussi - comme l’expliquera par la suite la législation d’Israël - toute blessure infligée à autrui (cf. Ex 21, 12-27). Certes, il faut reconnaître que l’attention portée dans l’Ancien Testament à la valeur de la vie, bien que nettement affirmée, n’atteint pas encore la finesse du Discours sur la Montagne, comme on le voit dans certains aspects de la législation pénale alors en vigueur, qui prévoyait de lourdes peines corporelles et même la peine de mort. Mais le message d’ensemble, qu’il appartiendra au Nouveau Testament de porter à sa perfection, est un appel pressant à respecter l’inviolabilité de la vie physique et l’intégrité de la personne ; il culmine dans le commandement positif qui oblige à prendre en charge son prochain comme soi-même : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18).

41. Le commandement « tu ne tueras pas », inclus et approfondi dans le commandement positif de l’amour du prochain, est réaffirmé dans toute sa force par le Seigneur Jésus. Au jeune homme riche qui lui demande : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? », Jésus répond : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » (Mt 19,16.17). Et il cite, comme le premier d’entre eux, le commandement : « Tu ne tueras pas » (v. 18). Dans le Discours sur la Montagne, Jésus demande aux disciples une justice supérieure à celle des scribes et des pharisiens dans tous les domaines, y compris celui du respect de la vie : « Vous avez entendu qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne tueras pas ; et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal » (Mt 5,21-22).

Par ses paroles et par ses gestes, Jésus explique ensuite les exigences positives du commandement sur l’inviolabilité de la vie. Elles étaient déjà présentes dans l’Ancien Testament, où la législation prenait soin de protéger et de sauvegarder les personnes dont la vie était faible et menacée : l’étranger, la veuve, l’orphelin, le malade, le pauvre en général, la vie même avant la naissance (cf. Ex 21, 22 ; 22, 20-26). Avec Jésus, ces exigences positives prennent une force et un élan nouveaux et elles se manifestent dans toute leur ampleur et toute leur profondeur : elles vont de la nécessité de prendre soin de la vie du frère (l’homme de la même famille, appartenant au même peuple, l’étranger qui habite la terre d’Israël) à la prise en charge de l’étranger, jusqu’à l’amour de l’ennemi.

L’étranger n’est plus un étranger pour celui qui doit se rendre proche de quiconque est dans le besoin jusqu’à se sentir responsable de sa vie, comme l’enseigne de manière éloquente et vive la parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10,25-37). Même l’ennemi cesse d’être un ennemi pour celui qui est tenu de l’aimer (cf. Mt 5,38-48 ; Lc 6,27-35) et de lui « faire du bien » (cf. Lc 6,27.33.35), en se portant au-devant de ses besoins vitaux avec empressement et sens de la gratuité (cf. Lc 6,34-35). Cet amour culmine dans la prière pour l’ennemi, qui nous met en accord avec l’amour bienveillant de Dieu : « Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,44-45 ; cf. Lc 6,28.35).

Ainsi le commandement de Dieu qui porte sur la protection de la vie de l’homme arrive à son niveau le plus profond dans l’exigence de vénération et d’amour pour toute personne et pour sa vie. Tel est l’enseignement que l’Apôtre Paul, en écho aux paroles de Jésus (cf. Mt 19,17-18), adresse aux chrétiens de Rome : « Les préceptes : Tu ne commettras pas d’adultère, Tu ne tueras pas, Tu ne voleras pas, Tu ne convoiteras pas et tous les autres se résument en cette formule : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la Loi dans sa plénitude » (Rm 13,9-10).


« Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28) : les responsabilités de l’homme à l’égard de la vie

42. Défendre et promouvoir la vie, la vénérer et l’aimer, c’est là une tâche que Dieu confie à tout homme, en l’appelant, lui son image vivante, à participer à la seigneurie qu’Il a sur le monde : « Dieu les bénit et leur dit : "Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tout être vivant qui rampe sur la terre" » (Gn 1, 28).

Le texte biblique met en lumière l’ampleur et la profondeur de la seigneurie que Dieu donne à l’homme. Il s’agit avant tout de la domination sur la terre et sur tout être vivant, comme le rappelle le livre de la Sagesse : « Dieu des Pères et Seigneur de miséricorde..., par ta Sagesse, tu as formé l’homme pour dominer sur les créatures que tu as faites, pour régir le monde en sainteté et justice » (9, 1.2-3). Le Psalmiste, lui aussi, exalte la domination de l’homme comme signe de la gloire et de l’honneur reçus du Créateur : « Tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds : les troupeaux de bœufs et de brebis, et même les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans les eaux » (Ps 8, 7-9).

Appelé à cultiver et à garder le jardin du monde (cf. Gn 2, 15), l’homme a une responsabilité propre à l’égard du milieu de vie, c’est-à-dire de la création que Dieu a placée au service de la dignité personnelle de l’homme, de sa vie, et cela, non seulement pour le présent, mais aussi pour les générations futures. C’est la question de l’écologie - depuis la préservation des « habitats » naturels des différentes espèces d’animaux et des diverses formes de vie jusqu’à l’« écologie humaine » proprement dite -, qui trouve dans cette page biblique une claire et forte inspiration éthique pour que les solutions soient respectueuses du grand bien qu’est la vie, toute vie. En réalité, « la domination accordée par le Créateur à l’homme n’est pas un pouvoir absolu, et l’on ne peut parler de liberté "d’user et d’abuser", ou de disposer des choses comme on l’entend. La limitation imposée par le Créateur lui-même dès le commencement, et exprimée symboliquement par l’interdiction de "manger le fruit de l’arbre" (cf. Gn 2, 16-17), montre avec suffisamment de clarté que, dans le cadre de la nature visible, nous sommes soumis à des lois non seulement biologiques mais aussi morales, que l’on ne peut transgresser impunément ».

43. Une certaine participation de l’homme à la seigneurie de Dieu est aussi manifeste du fait de la responsabilité spécifique qui lui est confiée à l’égard de la vie humaine proprement dite. C’est une responsabilité qui atteint son sommet lorsque l’homme et la femme, dans le mariage, donnent la vie par la génération, comme le rappelle le Concile Vatican II : « Dieu lui-même, qui a dit "Il n’est pas bon que l’homme soit seul" (Gn 2, 18) et qui, dès l’origine, a fait l’être humain homme et femme (cf. Mt 19,4), a voulu lui donner une participation spéciale dans son œuvre créatrice ; aussi a-t-il béni l’homme et la femme, disant : "Soyez féconds et multipliez-vous" (Gn 1, 28) ».

En parlant d’« une participation spéciale » de l’homme et de la femme à l’« œuvre créatrice » de Dieu, le Concile veut souligner qu’engendrer un enfant est un événement profondément humain et hautement religieux, car il engage les conjoints, devenus « une seule chair » (Gn 2, 24), et simultanément Dieu lui-même, qui se rend présent. Comme je l’ai écrit dans la Lettre aux Familles, « quand, de l’union conjugale des deux, naît un nouvel homme, il apporte avec lui au monde une image et une ressemblance particulières avec Dieu lui-même : dans la biologie de la génération est inscrite la généalogie de la personne. En affirmant que les époux, en tant que parents, sont des coopérateurs de Dieu Créateur dans la conception et la génération d’un nouvel être humain, nous ne nous référons pas seulement aux lois de la biologie ; nous entendons plutôt souligner que, dans la paternité et la maternité humaines, Dieu lui-même est présent selon un mode différent de ce qui advient dans toute autre génération "sur la terre". En effet, c’est de Dieu seul que peut provenir cette "image", cette "ressemblance" qui est propre à l’être humain, comme cela s’est produit dans la création. La génération est la continuation de la création ».

C’est ce qu’enseigne, dans un langage direct et parlant, le texte sacré qui rapporte le cri de joie de la première femme, « la mère de tous les vivants » (Gn 3, 20). Consciente de l’intervention de Dieu, Ève s’écrie : « J’ai acquis un homme de par le Seigneur » (Gn 4, 1). Dans la génération, quand la vie est communiquée des parents à l’enfant, se transmet donc, grâce à la création de l’âme immortelle, l’image, la ressemblance de Dieu luimême. C’est dans ce sens que s’exprime le début du « livre de la généalogie d’Adam » : « Le jour où Dieu créa Adam, il le fit à la ressemblance de Dieu. Homme et femme il les créa, il les bénit et leur donna le nom d’"Homme", le jour où ils furent créés. Quand Adam eut cent trente ans, il engendra un fils à sa ressemblance, comme son image, et il lui donna le nom de Seth » (Gn 5, 1-3). C’est précisément dans ce rôle de collaborateurs de Dieu qui transmet son image à la nouvelle créature que réside la grandeur des époux disposés « à coopérer à l’amour du Créateur et du Sauveur qui, par eux, veut sans cesse agrandir et enrichir sa propre famille ». Dans cette perspective, l’évêque Amphiloque exaltait le « mariage qui a du prix, qui est au-dessus de tout don terrestre » parce qu’il est comme « un créateur d’humanité, comme un peintre de l’image divine ».

Ainsi, l’homme et la femme unis par les liens du mariage sont associés à une œuvre divine : par l’acte de la génération, le don de Dieu est accueilli et une nouvelle vie s’ouvre à l’avenir.

Mais, au-delà de la mission spécifique des parents, la tâche d’accueillir et de servir la vie concerne tout le monde et doit se manifester surtout à l’égard de la vie qui se trouve dans des conditions de plus grande faiblesse. Le Christ lui-même nous le rappelle quand il demande d’être aimé et servi dans ses frères éprouvés par quelque souffrance que ce soit : ceux qui sont affamés, assoiffés, étrangers, nus, malades, emprisonnés... Ce qui est fait à chacun d’eux est fait au Christ lui-même (cf. Mt 25,31-46).

« C’est toi qui as créé mes reins » (Ps 139 138, 13) : la dignité de l’enfant non encore né

44. La vie humaine connaît une situation de grande précarité quand elle entre dans le monde et quand elle sort du temps pour aborder l’éternité. La Parole de Dieu ne manque pas d’invitations à apporter soins et respect à la vie, surtout à l’égard de celle qui est marquée par la maladie ou la vieillesse. S’il n’y a pas d’invitations directes et explicites à sauvegarder la vie humaine à son origine, en particulier la vie non encore née, comme aussi la vie proche de sa fin, cela s’explique facilement par le fait que même la seule possibilité d’offenser, d’attaquer ou, pire, de nier la vie dans de telles conditions est étrangère aux perspectives religieuses et culturelles du peuple de Dieu.

Dans l’Ancien Testament, on craint la stérilité comme une malédiction, tandis que l’on ressent comme une bénédiction le fait d’avoir beaucoup d’enfants : « Des fils, voilà ce que donne le Seigneur, des enfants, la récompense qu’il accorde » (Ps 127 126, 3 ; cf. Ps 128 127, 3-4). Dans cette conviction entre en jeu aussi la conscience qu’a Israël d’être le peuple de l’Alliance, appelé à se multiplier selon la promesse faite à Abraham : « Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu peux les dénombrer... Telle sera ta postérité » (Gn 15, 5). Mais ce qui compte surtout, c’est la certitude que la vie transmise par les parents a son origine en Dieu, comme l’attestent les nombreuses pages bibliques qui parlent avec respect et amour de la conception, de la formation de la vie dans le sein maternel, de la naissance et du lien étroit qu’il y a entre le moment initial de l’existence et l’action de Dieu Créateur.

« Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré » (Jr 1, 5) : l’existence de tout individu, dès son origine, est dans le plan de Dieu. Job, du fond de sa souffrance, s’attarde à contempler l’œuvre de Dieu dans la manière miraculeuse dont son corps a été formé dans le sein de sa mère ; il en retire un motif de confiance et il exprime la certitude d’un projet divin sur sa vie : « Tes mains m’ont façonné, créé ; puis, te ravisant, tu voudrais me détruire ! Souviens-toi : tu m’as fait comme on pétrit l’argile et tu me renverras à la poussière. Ne m’as-tu pas coulé comme du lait et fait cailler comme du laitage, vêtu de peau et de chair, tissé en os et en nerfs ? Puis tu m’as gratifié de la vie et tu veillais avec sollicitude sur mon souffle » (Jb 10, 8-12). Des accents d’émerveillement et d’adoration pour l’intervention de Dieu sur la vie en formation dans le sein maternel se font entendre également dans les Psaumes.

Comment imaginer qu’un seul instant de ce merveilleux processus de l’apparition de la vie puisse être soustrait à l’action sage et aimante du Créateur et laissé à la merci de l’arbitraire de l’homme ? Ce n’est certes pas ce que pense la mère des sept frères qui professe sa foi en Dieu, principe et garant de la vie dès sa conception, et en même temps fondement de l’espérance de la vie nouvelle au-delà de la mort : « Je ne sais comment vous êtes apparus dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie ; ce n’est pas moi qui ai organisé les éléments qui composent chacun de vous. Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé le genre humain et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il, dans sa miséricorde, et l’esprit et la vie, parce que vous vous méprisez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois » (2 M 7, 22-23).

45. La révélation du Nouveau Testament confirme la reconnaissance incontestée de la valeur de la vie depuis son commencement. Les paroles par lesquelles Elisabeth exprime sa joie d’être enceinte manifestent l’exaltation de la fécondité et l’attente empressée de la vie : « Le Seigneur... a daigné mettre fin à ce qui faisait ma honte » (Lc 1,25). Mais la valeur de la personne dès sa conception est célébrée plus encore dans la rencontre entre la Vierge Marie et Elisabeth, et entre les deux enfants qu’elles portent en elles. Ce sont précisément eux, les enfants, qui révèlent l’avènement de l’ère messianique : dans leur rencontre, la force rédemptrice de la présence du Fils de Dieu parmi les hommes commence à agir. « Aussitôt - écrit saint Ambroise - se font sentir les bienfaits de l’arrivée de Marie et de la présence du Seigneur... Elisabeth fut la première à entendre la parole, mais Jean fut le premier à ressentir la grâce : la mère a entendu selon l’ordre de la nature, l’enfant a tressailli en raison du mystère ; elle a constaté l’arrivée de Marie, lui, celle du Seigneur ; la femme, l’arrivée de la femme, l’enfant, celle de l’Enfant. Les deux femmes échangent des paroles de grâce, les deux enfants agissent au-dedans d’elles et commencent à réaliser le mystère de la miséricorde en y faisant progresser leurs mères ; enfin, par un double miracle, les deux mères prophétisent sous l’inspiration de leurs enfants. L’enfant a exulté, la mère fut remplie de l’Esprit Saint. La mère n’a pas été remplie de l’Esprit Saint avant son fils, mais lorsque le fils fut rempli de l’Esprit Saint, il en combla aussi sa mère ».

« Je crois lors même que je dis : "Je suis trop malheureux" » (Ps 116 115, 10) : la vie dans la vieillesse et dans la souffrance

46. En ce qui concerne les derniers instants de l’existence, il serait anachronique d’attendre de la Révélation biblique une mention explicite de la problématique actuelle du respect des personnes âgées ou malades, ni une condamnation explicite des tentatives visant à anticiper par la violence la fin de la vie ; nous sommes là, en effet, dans un contexte culturel et religieux qui, loin d’être exposé à de semblables tentations, reconnaît dans la personne âgée, avec sa sagesse et son expérience, une richesse irremplaçable pour la famille et pour la société.

La vieillesse jouit de prestige et elle est entourée de vénération (cf. 2 M 6, 23). Et le juste ne demande pas d’être privé de la vieillesse ni de son fardeau ; au contraire, il prie ainsi : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse... Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m’abandonne pas, ô mon Dieu ; et je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront, tes exploits » (Ps 71 70, 5. 18). L’idéal du temps messianique est proposé comme celui où il n’y aura plus « d’homme qui ne parvienne pas au bout de sa vieillesse » (Is 65, 20).

Mais, dans la vieillesse, comment faire face au déclin inévitable de la vie ? Comment se comporter devant la mort ? Le croyant sait que sa vie est dans les mains de Dieu : « Seigneur, de toi dépend mon sort » (cf. Ps 16 15, 5), et il accepte aussi de lui la mort : « C’est la loi que le Seigneur a portée sur toute chair, pourquoi se révolter contre le bon plaisir du Très-Haut ? » (Si 41, 4). Pas plus que de la vie, l’homme n’est le maître de la mort ; dans sa vie comme dans sa mort, il doit s’en remettre totalement au « bon plaisir du Très-Haut », à son dessein d’amour.

Quand il est atteint par la maladie également, l’homme est appelé à s’en remettre de la même manière au Seigneur et à renouveler sa confiance fondamentale en lui, qui « guérit de toute maladie » (cf. Ps 103 102, 3). Lorsque toute perspective de santé semble se fermer devant l’homme - au point de l’amener à s’écrier : « Mes jours sont comme l’ombre qui décline, et moi, comme l’herbe, je sèche » (Ps 102 101, 12) -, même alors, le croyant est animé par une foi inébranlable en la puissance vivifiante de Dieu. La maladie ne l’incite pas au désespoir ni à la recherche de la mort, mais à l’invocation pleine d’espérance : « Je crois, lors même que je dis : "Je suis trop malheureux" » (Ps 116 115, 10) ; « Quand j’ai crié vers toi, Seigneur, mon Dieu, tu m’as guéri ; Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse » (Ps 30 29, 3-4).

47. La mission de Jésus, avec les nombreuses guérisons opérées, montre que Dieu a aussi à cœur la vie corporelle de l’homme. « Médecin du corps et de l’esprit », Jésus est envoyé par le Père pour porter la bonne nouvelle aux pauvres et panser les cœurs meurtris (cf. Lc 4,18 ; Is 61, 1). Envoyant à son tour ses disciples à travers le monde, il leur confie une mission dans laquelle la guérison des malades s’accompagne de l’annonce de l’Evangile : « Chemin faisant, proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons » (Mt 10,7-8 ; cf. Mc 6,13 ; 16, 18).

Certes, la vie du corps dans sa condition terrestre n’est pas un absolu pour le croyant : il peut lui être demandé de l’abandonner pour un bien supérieur ; comme le dit Jésus, « qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8,35). Il y a à ce sujet un certain nombre de témoignages dans le Nouveau Testament. Jésus n’hésite pas à se sacrifier lui-même et il fait librement de sa vie une offrande à son Père (cf. Jn 10,17) et à ses amis (cf. Jn 10,15). La mort de Jean Baptiste, précurseur du Sauveur, atteste aussi que l’existence terrestre n’est pas le bien absolu : la fidélité à la parole du Seigneur est plus importante encore, même si elle peut mettre la vie en jeu (cf. Mc 6,17-29). Et Etienne, alors qu’on lui enlève la vie temporelle parce qu’il était un témoin fidèle de la Résurrection du Seigneur, suit les traces du Maître et répond par des mots de pardon à ceux qui le lapident (cf. Ac 7,59-60), ouvrant ainsi la voie à l’innombrable cohorte des martyrs vénérés par l’Eglise dès ses origines.

Toutefois, personne ne peut choisir arbitrairement de vivre ou de mourir ; ce choix, en effet, seul le Créateur en est le maître absolu, lui en qui « nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,28).

« Quiconque la garde vivra » (Ba 4, 1) : de la Loi du Sinaï au don de l’Esprit

48. La vie porte sa vérité inscrite de manière indélébile en elle. En accueillant le don de Dieu, l’homme doit s’engager à maintenir la vie dans cette vérité qui lui est essentielle. S’en écarter équivaut à se condamner soi-même au non-sens et au malheur, avec pour conséquence de pouvoir devenir aussi une menace pour l’existence d’autrui par suite de la rupture des barrières qui garantissent le respect et la défense de la vie, dans toute situation.

La vérité de la vie est révélée par le commandement de Dieu. La parole du Seigneur indique concrètement la direction que la vie doit suivre pour pouvoir respecter sa vérité et sauvegarder sa dignité. Ce n’est pas seulement le commandement spécifique « tu ne tueras pas » (Ex 20, 13 ; Dt 5, 17) qui assure la protection de la vie : la Loi du Seigneur est tout entière au service de cette protection parce qu’elle révèle la vérité dans laquelle la vie trouve son sens plénier.

Il n’est donc pas étonnant que l’Alliance de Dieu avec son peuple soit aussi fortement liée à la perspective de la vie, même dans sa composante corporelle. Le commandement est présenté en elle comme le chemin de la vie : « Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur. Si tu écoutes les commandements du Seigneur ton Dieu que je te prescris aujourd’hui, et que tu aimes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies, que tu gardes ses commandements, ses lois et ses coutumes, tu vivras et tu multiplieras, le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession » (Dt 30, 15-16). Il s’agit ici non seulement de la terre de Canaan et de l’existence du peuple d’Israël, mais du monde d’aujourd’hui et à venir, et de l’existence de toute l’humanité. En effet, il n’est absolument pas possible que la vie reste authentique et plénière si elle se détache du bien ; et le bien, à son tour, est fon- damentalement lié aux commandements du Seigneur, c’est-à-dire à « la loi de la vie » (Si 17, 11). Le bien à accomplir ne se surajoute pas à la vie comme un poids qui l’accable, car la raison même de la vie est précisément le bien, et la vie ne s’édifie que par l’accomplissement du bien.

C’est donc l’ensemble de la Loi qui sauvegarde pleinement la vie de l’homme. Cela explique qu’il est difficile de rester fidèle au « tu ne tueras pas » quand on n’observe pas les autres « paroles de vie » (Ac 7,38) auxquelles ce commandement est connexe. En dehors de cette perspective, le commandement finit par devenir une simple obligation extrinsèque, dont on voudra voir bien vite les limites et à laquelle on cherchera des atténuations ou des exceptions. Ce n’est que si l’on s’ouvre à la plénitude de la vérité sur Dieu, sur l’homme et sur l’histoire que l’expression « tu ne tueras pas » brille à nouveau comme un bien pour l’homme dans toutes ses dimensions et ses relations. Dans cette perspective, nous pouvons saisir la plénitude de vérité contenue dans le passage du Livre du Deutéronome repris par Jésus quand il répond à la première tentation : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais... de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur » (8, 3 ; cf. Mt 4,4).

C’est en écoutant la parole du Seigneur que l’homme peut vivre en toute dignité et justice ; c’est en observant la Loi de Dieu que l’homme peut porter des fruits de vie et de bonheur : « Quiconque la garde vivra, quiconque l’abandonne mourra » (Ba 4, 1).

49. L’histoire d’Israël montre qu’il est difficile de rester fidèle à la loi de la vie, que Dieu a inscrite au cœur de l’homme et qu’il a donnée sur le Sinaï au peuple de l’Alliance. Face à la recherche de projets de vie autres que le plan de Dieu, les Prophètes, en particulier, rappellent avec force que seul le Seigneur est la source authentique de la vie. Jérémie écrit : « Mon peuple a commis deux crimes : ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau » (2, 13). Les Prophètes pointent un doigt accusateur sur ceux qui méprisent la vie et violent les droits de la personne : « Ils écrasent la tête des faibles sur la poussière de la terre » (Am 2, 7) ; « Ils ont rempli ce lieu du sang des innocents » (Jr 19, 4). Et, parmi eux, le prophète Ezéchiel stigmatise plus d’une fois la ville de Jérusalem, l’appelant « ville sanguinaire » (22, 2 ; 24, 6. 9), « ville qui répands le sang au milieu de toi » (22, 3).

Mais, tout en dénonçant les atteintes à la vie, les Prophètes ont surtout l’intention de susciter l’attente d’un nouveau principe de vie apte à fonder des rapports renouvelés de l’homme avec Dieu et avec ses frères, ouvrant des possibilités inouïes et extraordinaires pour comprendre et mettre en œuvre toutes les exigences que comporte l’Evangile de la vie. Cela ne sera possible que grâce au don de Dieu, qui purifie et renouvelle : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36, 25-26 ; cf. Jr 31, 31-34). Grâce à ce « cœur nouveau », on peut comprendre et réaliser le sens le plus vrai et le plus profond de la vie : être un don qui s’accomplit dans le don de soi. Tel est, sur la valeur de la vie, le lumineux message qui nous vient de la figure du Serviteur du Seigneur : « S’il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours... A la suite de l’épreuve endurée par son âme, il verra la lumière » (Is 53, 10. 11).

La Loi s’accomplit dans l’histoire de Jésus de Nazareth, et le cœur nouveau est donné par son Esprit. En effet, Jésus ne renie pas la Loi mais il l’accomplit (cf. Mt 5,17) : la Loi et les Prophètes se résument dans la règle d’or de l’amour mutuel (cf. Mt 7,12). En Jésus, la Loi devient définitivement « évangile », bonne nouvelle de la seigneurie de Dieu sur le monde, qui rapporte toute l’existence à ses racines et à ses perspectives originelles. C’est la Loi nouvelle, « la loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » (Rm 8,2), dont l’expression fondamentale, à l’imitation du Seigneur qui donne sa vie pour ses amis (cf. Jn 15,13), est le don de soi dans l’amour pour les frères : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères » (1 Jn 3,14). C’est une loi de liberté, de joie et de béatitude.

« Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37) : sur l’arbre de la Croix s’accomplit l’Evangile de la vie

50. Au terme de ce chapitre, dans lequel nous avons médité le message chrétien sur la vie, je voudrais m’attarder avec chacun de vous à contempler Celui qu’ils ont transpercé et qui attire à lui tous les hommes (cf. Jn 19,37 ; 12, 32). En regardant « le spectacle » de la Croix (cf. Lc 23,48), nous pourrons découvrir dans cet arbre glorieux l’accomplissement et la pleine révélation de tout l’Evangile de la vie.

Aux premières heures du vendredi saint après-midi, « le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la terre entière... Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu » (Lc 23,44. 45). C’est le symbole d’un grand bouleversement cosmique et d’une lutte effroyable entre les forces du bien et les forces du mal, entre la vie et la mort. Nous aussi, aujourd’hui, nous nous trouvons au milieu d’une lutte dramatique entre la « culture de mort » et la « culture de vie ». Mais la splendeur de la Croix n’est pas voilée par cette obscurité ; la Croix se détache même encore plus nettement et plus clairement, et elle apparaît comme le centre, le sens et la fin de toute l’histoire et de toute vie humaine.

Jésus est cloué à la Croix et il est élevé de terre. Il vit le moment de son « impuissance » la plus grande et sa vie semble totalement exposée aux moqueries de ses adversaires et livrée aux mains de ses bourreaux : il est raillé, tourné en dérision, outragé (cf. Mc 15,24-36). Et pourtant, devant tout cela et « voyant qu’il avait ainsi expiré », le centurion romain s’écrie : « Vraiment cet homme était fils de Dieu » (Mc 15,39). Ainsi se révèle, au temps de son extrême faiblesse, l’identité du Fils de Dieu : sa gloire se manifeste sur la Croix !

Par sa mort, Jésus éclaire le sens de la vie et de la mort de tout être humain. Avant de mourir, Jésus prie son Père, implorant le pardon pour ses persécuteurs (cf. Lc 23,34), et, au malfaiteur qui lui demande de se souvenir de lui dans son royaume, il répond : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23,43). Après sa mort, « les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent » (Mt 27,52). Le salut opéré par Jésus est un don de vie et de résurrection. Au cours de son existence, Jésus avait aussi apporté le salut en guérissant, et en faisant du bien à tous (cf. Ac 10,38). Mais les miracles, les guérisons et les résurrections elles-mêmes étaient des signes d’un autre salut, qui consiste à pardonner les péchés, c’est-à-dire à libérer l’homme de sa maladie la plus profonde et à l’élever à la vie même de Dieu.

Sur la Croix se renouvelle et se réalise, avec une perfection pleine et définitive, le prodige du serpent élevé par Moïse dans le désert (cf. Jn 3,14-15 ; Nb 21, 8-9). Aujourd’hui encore, en tournant son regard vers Celui qui a été transpercé, tout homme menacé dans son existence trouve la ferme espérance d’obtenir sa libération et sa rédemption.

51. Mais il y a encore un autre événement précis qui attire mon regard et suscite mon ardente méditation : « Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : "Tout est achevé" et, inclinant la tête, il remit l’esprit » (Jn 19,30). Et le soldat romain, « de sa lance, lui perça le côté, et il en sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,34).

Tout est désormais arrivé à son plein accomplissement. L’expression « remit l’esprit » décrit la mort de Jésus, semblable à celle de tout autre être humain, mais elle semble faire également allusion au « don de l’Esprit » par lequel il nous rachète de la mort et nous ouvre à une vie nouvelle.

C’est à la vie même de Dieu qu’il est donné à l’homme de participer. C’est la vie qui, par les sacrements de l’Eglise - dont le sang et l’eau sortis du côté du Christ sont le symbole -, est continuellement communiquée aux fils de Dieu, qui deviennent ainsi le peuple de la Nouvelle Alliance. De la Croix, source de vie, naît et se répand le « peuple de la vie ».

La contemplation de la Croix nous conduit ainsi jusqu’aux racines les plus profondes de ce qui est advenu. Jésus, qui avait dit en entrant dans le monde : « Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté » (cf. He 10,9), voulut obéir en toute chose à son Père et, « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13,1), en se donnant totalement lui-même pour eux.

Lui qui n’était pas « venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45), il atteint sur la Croix le sommet de l’amour : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Et lui-même est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs (cf. Rm 5,8).

De cette façon, il proclame que la vie atteint son centre, son sens et sa plénitude quand elle est donnée.

Ici, la méditation se fait louange et action de grâce, et en même temps elle nous incite à imiter Jésus et à suivre ses traces (cf. 1 P 2,21).

Nous sommes, nous aussi, appelés à donner notre vie pour nos frères, réalisant ainsi dans la plénitude de la vérité le sens et le destin de notre existence.

Nous pourrons le faire car toi, Seigneur, tu nous as donné l’exemple et tu nous as communiqué la force de ton Esprit. Nous pourrons le faire si, chaque jour, avec toi et comme toi, nous obéissons au Père et nous faisons sa volonté.

Accorde-nous donc d’écouter avec un cœur docile et généreux toute parole qui sort de la bouche de Dieu ; nous apprendrons ainsi non seulement à ne pas tuer la vie de l’homme mais à la vénérer, à l’aimer et à la favoriser.


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