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 - 28 mars 2024 - Saint Gontran
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Fides et Ratio

Chapitre 1 : La révélation de la Sagesse de Dieu

Jésus révèle le Père

7. Au point de départ de toute réflexion que l’Eglise entreprend, il y a la conscience d’être dépositaire d’un message qui a son origine en Dieu même (cf. 2 Co 4, 1-2). La connaissance qu’elle propose à l’homme ne lui vient pas de sa propre spéculation, fût-ce la plus élevée, mais du fait d’avoir accueilli la parole de Dieu dans la foi (cf. 1 Th 2,13). A l’origine de notre être de croyants se trouve une rencontre, unique en son genre, qui a fait s’entrouvrir un mystère caché depuis les siècles (cf. 1 Co 2, 7 ; Rm 16,25-26), mais maintenant révélé : « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1,9), par lequel les hommes ont accès auprès du Père par le Christ, Verbe fait chair, dans l’Esprit Saint, et sont rendus participants de la nature divine ».5 C’est là une initiative pleinement gratuite, qui part de Dieu pour rejoindre l’humanité et la sauver. En tant que source d’amour, Dieu désire se faire connaître, et la connaissance que l’homme a de Lui porte à son accomplissement toute autre vraie connaissance que son esprit est en mesure d’atteindre sur le sens de son existence.

8. Reprenant presque littéralement l’enseignement donné par la Constitution Dei Filius du Concile Vatican I et tenant compte des principes proposés par le Concile de Trente, la Constitution Dei Verbum de Vatican II a continué le processus séculaire d’intelligence de la foi et a réfléchi sur la Révélation à la lumière de l’enseignement biblique et de l’ensemble de la tradition patristique. Au premier Concile du Vatican, les Pères avaient souligné le caractère surnaturel de la révélation de Dieu. La critique rationaliste, qui s’attaquait alors à la foi en partant de thèses erronées et très répandues, portait sur la négation de toute connaissance qui ne serait pas le fruit des capacités naturelles de la raison. Ce fait avait obligé le Concile à réaffirmer avec force que, outre la connaissance propre de la raison humaine, capable par nature d’arriver jusqu’au Créateur, il existe une connaissance qui est propre à la foi. Cette connaissance exprime une vérité fondée sur le fait même que Dieu se révèle, et c’est une vérité très certaine car Dieu ne trompe pas et ne veut pas tromper.6

9. Le Concile Vatican I enseigne donc que la vérité atteinte par la voie de la réflexion philosophique et la vérité de la Révélation ne se confondent pas, et que l’une ne rend pas l’autre superflue : « Il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par leur principe mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l’un c’est par la raison naturelle et dans l’autre par la foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s’ils ne sont divinement révélés ».7 La foi, qui est fondée sur le témoignage de Dieu et bénéficie de l’aide surnaturelle de la grâce, est effectivement d’un ordre différent de celui de la connaissance philosophique. Celle-ci, en effet, s’appuie sur la perception des sens, sur l’expérience, et elle se développe à la lumière de la seule intelligence. La philosophie et les sciences évoluent dans l’ordre de la raison naturelle, tandis que la foi, éclairée et guidée par l’Esprit, reconnaît dans le message du salut la « plénitude de grâce et de vérité » (cf. Jn 1,14) que Dieu a voulu révéler dans l’histoire et de manière définitive par son Fils Jésus Christ (cf. 1 Jn 5,9 ; Jn 5,31-32).

10. Les Pères du Concile Vatican II, fixant leur regard sur Jésus qui révèle, ont mis en lumière le caractère salvifique de la révélation de Dieu dans l’histoire et ils en ont exprimé la nature dans les termes suivants : « Par cette révélation, le Dieu invisible (cf. Col 1,15 ; 1 Tm 1, 17), dans son amour surabondant, s’adresse aux hommes comme à des amis (cf. Ex 33, 11 ; Jn 15,14-15) et est en relation avec eux (cf. Ba 3, 38), pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion. Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles, si bien que les œuvres, accomplies par Dieu dans l’histoire du salut, manifestent et corroborent la doctrine et les réalités signifiées par les paroles, et que les paroles, de leur côté, proclament les œuvres et élucident le mystère qui y est contenu. Par cette révélation, la vérité profonde sur Dieu aussi bien que sur le salut de l’homme se met à briller pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation ».8

11. La révélation de Dieu s’inscrit donc dans le temps et dans l’histoire. Et même l’incarnation de Jésus Christ advient à la « plénitude du temps » (Ga 4,4). Deux mille ans après cet événement, j’éprouve le besoin de réaffirmer avec force que, « dans le christianisme, le temps a une importance fondamentale ».9 En lui, en effet, vient à la lumière toute l’œuvre de la création et du salut et surtout est manifesté le fait que, par l’incarnation du Fils de Dieu, nous vivons et nous anticipons dès maintenant ce qui sera l’accomplissement du temps (cf. He 1,2).

La vérité que Dieu a confiée à l’homme sur lui-même et sur sa vie s’inscrit donc dans le temps et dans l’histoire. Il est certain qu’elle a été prononcée une fois pour toutes dans le mystère de Jésus de Nazareth. La Constitution Dei Verbum le dit clairement : « Après avoir, à maintes reprises et sous bien des formes, parlé par les prophètes, Dieu, "en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils" (He 1,1-2). Il a, en effet, envoyé son Fils, à savoir le Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour qu’il habitât parmi les hommes et leur fît connaître les profondeurs de Dieu (cf. Jn 1,1-18). Jésus Christ donc, Verbe fait chair, envoyé "comme homme vers les hommes", "prononce les paroles de Dieu" (Jn 3,34) et achève l’œuvre de salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jn 5,36 ; 17, 4). C’est pourquoi lui-même - qui le voit, voit aussi le Père (cf. Jn 14,9) -, par toute sa présence et par toute la manifestation de lui-même, par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d’entre les morts, enfin par l’envoi de l’Esprit de vérité, achève la Révélation en l’accomplissant ».10

L’histoire constitue pour le peuple de Dieu un chemin à parcourir entièrement, de façon que la vérité révélée exprime en plénitude son contenu grâce à l’action constante de l’Esprit Saint (cf. Jn 16,13). C’est encore une fois ce que dit la Constitution Dei Verbum quand elle affirme que « l’Eglise, tandis que les siècles s’écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu ».11

12. L’histoire devient donc le lieu où nous pouvons constater l’action de Dieu en faveur de l’humanité. Il nous rejoint en ce qui pour nous est le plus familier et le plus facile à vérifier parce que cela constitue notre cadre quotidien, sans lequel nous ne pourrions nous comprendre.

L’incarnation du Fils de Dieu permet de voir se réaliser la synthèse définitive que l’esprit humain, à partir de lui-même, n’aurait même pas pu imaginer : l’Eternel entre dans le temps, le Tout se cache dans le fragment, Dieu prend le visage de l’homme. La vérité exprimée dans la révélation du Christ n’est donc plus enfermée dans un cadre territorial et culturel restreint, mais elle s’ouvre à quiconque, homme ou femme, veut bien l’accueillir comme parole de valeur définitive pour donner un sens à l’existence. Or tous ont dans le Christ accès au Père ; en effet, par sa mort et sa résurrection, le Christ a donné la vie divine que le premier Adam avait refusée (cf. Rm 5,12-15). Par cette Révélation est offerte à l’homme la vérité ultime sur sa vie et sur le destin de l’histoire : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné », affirme la Constitution Gaudium et spes.12 En dehors de cette perspective, le mystère de l’existence personnelle reste une énigme insoluble. Où l’homme pourrait-il chercher la réponse à des questions dramatiques comme celles de la souffrance, de la souffrance de l’innocent et de la mort, sinon dans la lumière qui vient du mystère de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ ?

La raison devant le mystère

13. Il ne faudra pas oublier en tout cas que la Révélation demeure empreinte de mystère. Certes, par toute sa vie, Jésus révèle le visage du Père, puisqu’il est venu pour faire connaître les profondeurs de Dieu ;13 et pourtant la connaissance que nous avons de ce visage est toujours marquée par un caractère fragmentaire et par les limites de notre intelligence. Seule la foi permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension cohérente.

Le Concile déclare qu’« à Dieu qui révèle il faut apporter l’obéissance de la foi ».14 Par cette affirmation brève mais dense, est exprimée une vérité fondamentale du christianisme. On dit tout d’abord que la foi est une réponse d’obéissance à Dieu. Cela implique qu’Il soit reconnu dans sa divinité, dans sa transcendance et dans sa liberté suprême. Le Dieu qui se fait connaître dans l’autorité de sa transcendance absolue apporte aussi des motifs pour la crédibilité de ce qu’il révèle. Par la foi, l’homme donne son assentiment à ce témoignage divin. Cela signifie qu’il reconnaît pleinement et intégralement la vérité de ce qui est révélé parce que c’est Dieu lui-même qui s’en porte garant. Cette vérité, donnée à l’homme et que celui-ci ne pourrait exiger, s’inscrit dans le cadre de la communication interpersonnelle et incite la raison à s’ouvrir à elle et à en accueillir le sens profond. C’est pour cela que l’acte par lequel l’homme s’offre à Dieu a toujours été considéré par l’Eglise comme un moment de choix fondamental où toute la personne est impliquée. L’intelligence et la volonté s’exercent au maximum de leur nature spirituelle pour permettre au sujet d’accomplir un acte dans lequel la liberté personnelle est pleinement vécue.15 Dans la foi, la liberté n’est donc pas seulement présente, elle est exigée. Et c’est même la foi qui permet à chacun d’exprimer au mieux sa liberté. Autrement dit, la liberté ne se réalise pas dans les choix qui sont contre Dieu. Comment, en effet, le refus de s’ouvrir vers ce qui permet la réalisation de soi-même pourrait-il être considéré comme un usage authentique de la liberté ? C’est lorsqu’elle croit que la personne pose l’acte le plus significatif de son existence ; car ici la liberté rejoint la certitude de la vérité et décide de vivre en elle.

Les signes présents dans la Révélation viennent aussi en aide à la raison qui cherche l’intelligence du mystère. Ils servent à effectuer plus profondément la recherche de la vérité et à permettre que l’esprit, de façon autonome, scrute l’intérieur même du mystère. En tout cas, si, d’un côté, ces signes donnent plus de force à la raison parce qu’ils lui permettent de mener sa recherche à l’intérieur du mystère par ses propres moyens, dont elle est jalouse à juste titre, d’un autre côté ils l’invitent à transcender leur réalité de signes pour en recevoir la signification ultérieure dont ils sont porteurs. En eux est donc déjà présente une vérité cachée à laquelle l’esprit est renvoyé et qu’il ne peut ignorer sans détruire le signe même qui lui est proposé.

On est renvoyé là, d’une certaine façon, à la perspective sacramentelle de la Révélation et, en particulier, au signe eucharistique dans lequel l’unité indivisible entre la réalité et sa signification permet de saisir la profondeur du mystère. Dans l’Eucharistie, le Christ est véritablement présent et vivant, il agit par son Esprit, mais, comme l’avait bien dit saint Thomas, « tu ne le comprends ni ne le vois ; mais la foi vive, elle, l’affirme, en dépassant la nature. Par-dessous la double apparence, signe elle-même d’autre chose, vit la réalité sainte ».16 Le philosophe Pascal lui fait écho : « Comme Jésus Christ est demeuré inconnu parmi les hommes, ainsi sa vérité demeure parmi les opinions communes, sans différence à l’extérieur. Ainsi l’Eucharistie parmi le pain commun ».17

En somme, la connaissance de foi n’annule pas le mystère ; elle ne fait que le rendre plus évident et le manifester comme un fait essentiel pour la vie de l’homme : le Christ Seigneur, « dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui dévoile sa plus haute vocation »,18 qui est de participer au mystère de la vie trinitaire de Dieu.19

14. L’enseignement des deux Conciles du Vatican ouvre également une véritable perspective de nouveautés pour le savoir philosophique. La Révélation introduit dans l’histoire un point de repère que l’homme ne peut ignorer s’il veut arriver à comprendre le mystère de son existence ; mais, d’autre part, cette connaissance renvoie constamment au mystère de Dieu que l’esprit ne peut explorer à fond mais seulement recevoir et accueillir dans la foi. À l’intérieur de ces deux moments, la raison dispose d’un espace particulier qui lui permet de chercher et de comprendre, sans être limitée par rien d’autre que par sa finitude face au mystère infini de Dieu.

La Révélation fait donc entrer dans notre histoire une vérité universelle et ultime, qui incite l’esprit de l’homme à ne jamais s’arrêter ; et même elle le pousse à élargir continuellement les champs de son savoir tant qu’il n’a pas conscience d’avoir accompli tout ce qui était en son pouvoir, sans rien négliger. Pour cette réflexion, nous sommes aidés par l’une des intelligences les plus fécondes et les plus significatives de l’histoire de l’humanité, à laquelle la philosophie aussi bien que la théologie se font un devoir de se référer : saint Anselme. Dans son Proslogion, l’archevêque de Cantorbéry s’exprime ainsi : « Comme souvent, avec ardeur, je tournais ma pensée sur ce point, ce que je cherchais parfois me semblait pouvoir être déjà saisi, et parfois fuyait tout à fait le regard de mon esprit ; désespérant à la fin, je voulus cesser comme s’il s’agissait de rechercher chose impossible à trouver. Mais, alors que je voulais absolument exclure de moi cette pensée, de peur qu’en occupant vainement mon esprit elle n’empêchât d’autres occupations où je pusse progresser, voilà qu’elle commença, d’une importunité certaine, à s’imposer de plus en plus à moi, malgré mon refus et ma défense. [...] Mais hélas, malheureux, un des autres malheureux fils d’Ève éloignés de Dieu que je suis, qu’ai-je entrepris, qu’ai-je achevé ? Où tendais-je, où en suis-je venu ? A quoi aspirais-je, en quoi soupiré-je ? [...] Par suite, Seigneur, tu n’es pas seulement tel que plus grand ne peut être pensé, (non solum es quo maius cogitari nequit), mais tu es quelque chose de plus grand qu’il ne se puisse penser (quiddam maius quam cogitari possit). [...]. Si tu n’es pas cela même, il est possible de penser quelque chose de plus grand que toi, ce qui ne peut se faire ».20

15. La vérité de la Révélation chrétienne, que l’on trouve en Jésus de Nazareth, permet à quiconque de recevoir le « mystère » de sa vie. Comme vérité suprême, tout en respectant l’autonomie de la créature et sa liberté, elle l’engage à s’ouvrir à la transcendance. Ici, le rapport entre la liberté et la vérité devient suprême, et l’on comprend pleinement la parole du Seigneur : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (Jn 8,32).

La Révélation chrétienne est la vraie étoile sur laquelle s’oriente l’homme qui avance parmi les conditionnements de la mentalité immanentiste et les impasses d’une logique technocratique ; elle est l’ultime possibilité offerte par Dieu pour retrouver en plénitude le projet originel d’amour commencé à la création. A l’homme qui désire connaître le vrai, s’il est encore capable de regarder au-delà de lui-même et de lever son regard au-delà de ses projets, est donnée la possibilité de retrouver un rapport authentique avec sa vie, en suivant la voie de la vérité. Les paroles du Deutéronome peuvent bien s’appliquer à cette situation : « Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte. Elle n’est pas dans les cieux, qu’il te faille dire : "Qui montera pour nous aux cieux nous la chercher, que nous l’entendions pour la mettre en pratique ?" Elle n’est pas au-delà des mers, qu’il te faille dire : "Qui ira pour nous au-delà des mers nous la chercher, que nous l’entendions pour la mettre en pratique ?" Car la parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique » (30, 11-14). A ce texte fait écho la célèbre pensée du saint philosophe et théologien Augustin : « Noli foras ire, in te ipsum redi. In interiore homine habitat veritas » - « Ne va pas au dehors, rentre en toi-même. C’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité ».21

A la lumière de ces considérations, une première conclusion s’impose : la vérité que la Révélation nous fait connaître n’est pas le fruit mûr ou le point culminant d’une pensée élaborée par la raison. Elle se présente au contraire avec la caractéristique de la gratuité, elle engendre une réflexion et elle demande à être accueillie comme expression d’amour. Cette vérité révélée est une anticipation, située dans notre histoire, de la vision dernière et définitive de Dieu qui est réservée à ceux qui croient en lui et qui le cherchent d’un cœur sincère. La fin ultime de l’existence personnelle est donc un objet d’étude aussi bien pour la philosophie que pour la théologie. Toutes les deux, bien qu’avec des moyens et des contenus différents, prospectent ce « chemin de la vie » (Ps 16 [15], 11) qui, comme nous le dit la foi, débouche finalement sur la joie pleine et durable de la contemplation de Dieu Un et Trine.


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