Catholic.net International English Espanol Deutsh Italiano Slovensko
 - 21 avril 2024 - Saint Anselme de Cantorbéry
Navigation: Mater et Magistra

 

Mater et Magistra

Première partie : Les enseignements de l’encyclique Rerum Novarum et ses développements opportuns dans le magistère de Pie XI et de Pie XII

L’époque de l’Encyclique "Rerum Novarum"

Léon XIII parla à une époque de transformations radicales, de contrastes accusés et d’âpres révoltes. Les ombres de ce temps-là nous font d’autant mieux apprécier la lumière qui émane de son enseignement.

Comme on le sait, la conception du monde économique alors la plus répandue et traduite le plus communément dans les faits était une conception naturaliste, qui nie tout lien entre morale et économie. Le motif unique de l’activité économique, affirmait-on, est l’intérêt individuel. La loi suprême qui règle les rapports entre les facteurs économiques est la libre concurrence illimitée. L’intérêt du capital, le prix des biens et services, le profit et le salaire sont exclusivement et automatiquement déterminés par les lois du marché. L’Etat doit s’abstenir de toute intervention dans le domaine économique. Les syndicats, suivant les pays, sont interdits, ou tolérés, ou considérés comme personnes juridiques de droit privé.

Dans un monde économique ainsi conçu, la loi du plus fort trouvait sa pleine justification sur le plan théorique et l’emportait dans les rapports concrets entre les hommes, Il en résultait un ordre social radicalement bouleversé.

Tandis que d’immenses richesses s’accumulaient entre les mains de quelques-uns, les masses laborieuses se trouvaient dans des conditions de gêne croissante : salaires insuffisants, ou de famine, conditions de travail épuisantes et sans aucun égard pour la santé physique, les mœurs et la foi religieuse ; inhumaines surtout les conditions de travail auxquelles étaient soumis les enfants et les femmes ; spectre du chômage toujours menaçant ; la famille livrée à un processus de désintégration.

En conséquence, les classes laborieuses étaient en proie à une insatisfaction profonde ; l’esprit de protestation et de révolte s’insinuait, se développait parmi elles. Ce qui explique la grande faveur que trouvaient dans ces classes des théories extrémistes proposant des remèdes pires que les maux.

Les voies de la reconstruction

Dans ce chaos, il échut à Léon XIII de publier son message social, basé sur la nature humaine et pénétré des principes et de l’esprit de l’Evangile ; message qui, dés son apparition, suscita, même au milieu d’oppositions bien compréhensibles, l’admiration universelle et l’enthousiasme.

Ce n’était certes pas la première fois que le Siège apostolique s’occupait des intérêts matériels pour prendre la défense des humbles. D’autres documents du même Léon XIII avaient déjà aplani la route ; mais cette fois étaient formulées une synthèse organique des principes et une perspective historique tellement vaste qu’elles firent de l’encyclique Rerum novarum une Somme catholique en matière économique et sociale.

Ce ne fut pas un acte dépourvu de courage. Tandis que certains osaient accuser l’Eglise catholique de se borner, devant la question sociale, à prêcher la résignation aux Pauvres et exhorter les riches à la générosité, Léon XIII n’hésita pas à proclamer et à défendre les droits légitimes de l’ouvrier. S’apprêtant à exposer les principes de la doctrine catholique dans le domaine social, il déclarait solennellement : « c’est avec assurance que Nous abordons ce sujet, et dans toute la plénitude de Notre droit ; car la question qui s’agite est d’une nature telle, qu’à moins de faire appel à la religion et à l’Eglise, il est impossible de lui trouver jamais une solution efficace. »

Ils vous sont bien connus, vénérables Frères, ces principes de base que l’immortel Pontife exposait avec une clarté égale à l’autorité et selon lesquels doit être réorganisé le secteur économique et social de la société humaine.

Ceux-ci concernent d’abord le travail, qui doit être traité non plus comme une marchandise, mais comme une expression de la personne humaine. Pour la grande majorité des hommes, le travail est la source unique d’où ils tirent leurs moyens de subsistance. En conséquence, sa rétribution ne peut pas être abandonnée au jeu automatique des lois du marché. Elle doit, au contraire, être déterminée selon la justice et l’équité, qui, autrement, resteraient profondément lésées, même si le contrat de travail avait été arrêté en toute liberté entre les parties. La propriété privée même des biens de production est un droit naturel que l’Etat ne peut supprimer. Elle comporte une fonction sociale intrinsèque ; elle est donc un droit exercé à l’avantage personnel du possédant et dans l’intérêt d’autrui.

L’Etat, dont la raison d’être est la réalisation du bien commun dans l’ordre temporel, ne peut rester absent du monde économique ; il doit être présent pour y promouvoir avec opportunité la production d’une quantité suffisante de biens matériels, « dont l’usage est nécessaire à l’exercice de la vertu » , et pour protéger les droits de tous les citoyens, surtout des plus faibles, comme les ouvriers, les femmes et les enfants. C’est également son devoir inflexible de contribuer activement à l’amélioration des conditions de vie des ouvriers.

C’est, en outre, le devoir de l’Etat de veiller à ce que les relations de travail se développent en justice et équité, que dans les milieux de travail la dignité de la personne humaine, corps et esprit, ne soit pas lésée. A cet égard, l’encyclique de Léon XIII marque les traits dont s’est inspirée la législation sociale des Etats contemporains ; traits, comme l’observait déjà Pie XI, dans l’encyclique Quadragesimo anno , qui ont contribué efficacement à l’apparition et au développement d’une nouvelle branche du droit, « le droit du travail ».

Aux travailleurs, affirme encore l’encyclique, on reconnaît le droit naturel de créer des associations pour ouvriers seuls ou pour ouvriers et patrons, comme aussi le droit de leur donner la structure organique qu’ils estimeront la plus apte à la poursuite de leurs intérêts légitimes, économiques et professionnels, et le droit d’agir d’une manière autonome, de leur propre initiative, à l’intérieur de ces associations, en vue de la poursuite de leurs intérêts.

Les ouvriers et les employeurs doivent régler leurs rapports en s’inspirant du principe de la solidarité humaine et de la fraternité chrétienne, puisque tant la concurrence au sens du libéralisme économique que la lutte des classes dans le sens marxiste, sont contre nature et opposées à la conception chrétienne de la vie. Voilà, vénérables Frères, les principes fondamentaux sur lesquels repose un ordre économique et social qui soit sain.

Nous ne devons donc pas nous étonner si les catholiques les plus éminents, sensibles aux avertissements de l’encyclique, ont créé de multiples initiatives pour traduire ces principes dans les faits. Dans la même direction et sous l’impulsion des exigences objectives de la nature, des hommes de bonne volonté de tous les pays du monde se sont aussi mis en branle. C’est pourquoi, à bon droit, l’encyclique a été et continue à être reconnue comme la « grande charte » de la reconstruction économique et sociale de l’époque moderne.

L’Encyclique "Quadragesimo Anno"

Pie XI, Notre Prédécesseur de sainte mémoire, à quarante ans de distance, commémora l’encyclique Rerum novarum par un nouveau document solennel : l’encyclique Quadragesimo anno .

Dans ce document, le Souverain Pontife rappelle le droit et le devoir pour l’Eglise d’apporter sa contribution irremplaçable à l’heureuse solution des problèmes sociaux les plus graves et les plus urgents qui tourmentent la famille humaine. Il réaffirme les principes fondamentaux et les directives historiques de l’encyclique de Léon XIII. Il saisit, en outre, l’occasion de préciser quelques points de doctrine sur lesquels des doutes s’étaient élevés parmi les catholiques eux-mêmes et pour expliquer la pensée sociale chrétienne eu égard aux conditions nouvelles des temps. Les doutes exprimés concernaient spécialement la propriété privée, le régime des salaires, le comportement des catholiques en présence d’une forme de socialisme modéré.

Quant à la propriété privée, Notre Prédécesseur affirme à nouveau son caractère de droit naturel, accentue son aspect et sa fonction sociale.

A propos du régime des salaires, il rejette la thèse qui le déclare injuste par nature ; il réprouve cependant les formes inhumaines et injustes selon lesquelles il est parfois pratiqué ; redit et développe les normes dont il doit s’inspirer et les conditions auxquelles il doit satisfaire pour ne léser ni la justice ni l’équité.

En cette matière, indique clairement Notre Prédécesseur, il est opportun, étant donné les conditions actuelles, de tempérer le contrat de travail par des éléments empruntés au contrat de société, de manière à ce que « les ouvriers et employés soient appelés à participer à la propriété de l’entreprise, à sa gestion, et, en quelque manière, aux profits qu’elle apporte » .

On doit considérer de la plus haute importance doctrinale et pratique l’affirmation selon laquelle il est impossible « d’estimer le travail à sa juste valeur et de lui attribuer une exacte rémunération si l’on néglige de prendre en considération son aspect à la fois individuel et social » .

En conséquence, pour déterminer la rémunération du travail, la justice exige, déclare le Pape, que l’on tienne compte non seulement des besoins des travailleurs et de leurs responsabilités familiales, mais aussi de la situation de l’entreprise, où les ouvriers apportent leur travail, et des exigences de l’économie générale .

Entre le communisme et le christianisme, le Pape rappelle que l’opposition est radicale. Il ajoute qu’on ne peut admettre en aucune manière que les catholiques donnent leur adhésion au socialisme modéré, soit parce qu’il est une conception de vie close sur le temporel, dans laquelle le bien-être est considéré comme objectif suprême de la société ; soit parce qu’il poursuit une organisation sociale de la vie commune au seul niveau de la production, au grand préjudice de la liberté humaine ; soit parce qu’en lui fait défaut tout principe de véritable autorité sociale.

Mais il n’échappe pas à Pie XI que depuis la promulgation de l’encyclique de Léon XIII, en quarante ans, la situation historique a profondément évolué. De fait, la libre concurrence, en vertu d’une logique interne, avait fini par se détruire elle-même ou presque ; elle avait conduit à une grande concentration de la richesse et à l’accumulation d’un pouvoir économique énorme entre les mains de quelques hommes, « qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants d’un capital qu’ils administrent à leur gré » .

Entre temps, comme observe avec perspicacité le Souverain Pontife, « à la liberté du marché a succédé une dictature économique. L’appétit du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle » , déterminant l’asservissement des pouvoirs publics aux intérêts de groupes et aboutissant à l’hégémonie internationale de l’argent.

Pour porter remède à cette situation, le Pasteur suprême indique, comme principes fondamentaux, une nouvelle insertion du monde économique dans l’ordre moral et la poursuite des intérêts, individuels ou de groupes, dans la sphère du bien commun. Ceci comporte, selon son enseignement, le remaniement de la vie en commun moyennant la, reconstruction des corps intermédiaires autonomes, à but économique et professionnel, non imposés par l’Etat, mais créés spontanément par leurs membres ; la reprise de l’autorité par les pouvoirs publics pour assurer les tâches qui leur reviennent dans la réalisation du bien commun ; la collaboration économique sur le plan mondial entre communautés politiques.

Mais deux thèmes fondamentaux caractérisent la magistrale encyclique de Pie XI et s’imposent à notre considération.

Le premier interdit absolument de prendre comme règle suprême des activités et des institutions du monde économique, soit l’intérêt individuel ou d’un groupe, soit la libre concurrence, soit l’hégémonie économique, soit le prestige ou la puissance de la nation, soit d’autres normes du même genre.

On doit, au contraire, considérer comme règles suprêmes de ces activités et des institutions la justice et la charité sociales.

Le second thème recommande la création d’un ordre, juridique, national et international, doté d’institutions stables, publiques et privées, qui s’inspire de la justice sociale et auquel doit se conformer l’économie ; ainsi les facteurs économiques auront moins de difficultés à s’exercer en harmonie avec les exigences de la justice dans le cadre du bien commun.

Le radio message de la Pentecôte 1941

Pie XII, Notre Prédécesseur de vénérée mémoire, a beaucoup contribué, lui aussi, à définir et à développer la doctrine sociale chrétienne. Le 1er juin 1941, en la fête de Pentecôte, il transmettait un message radiophonique « pour attirer l’attention du monde catholique sur un anniversaire qui mérite d’être inscrit en lettres d’or dans les fastes de l’Eglise le cinquantenaire de la publication, le 15 mai 1891, de l’encyclique sociale fondamentale de Léon XIII, Rerum novarum -.., et pour rendre à Dieu tout-puissant..., d’humbles actions de grâces pour le don accordé... à l’Église avec cette encyclique de son Vicaire ici-bas, et pour le louer du souffle de l’Esprit régénérateur qui, par elle, s’est répandu depuis lors et n’a cessé de croître sur l’humanité entière » .

Dans son message radiophonique, le grand Pontife revendique « l’incontestable compétence de l’Eglise..., pour juger si les bases d’une organisation sociale donnée sont conformes à l’ordre immuable des choses que Dieu, créateur et Rédempteur, a manifesté par le droit naturel et la Révélation » . Il réaffirme l’immortelle vitalité des enseignements de l’encyclique Rerum novarum et leur fécondité inépuisable ; il saisit cette occasion « pour rappeler les principes directifs de la morale sur trois valeurs fondamentales de la vie sociale et économique..., ces trois éléments fondamentaux qui s’entrecroisent, s’unissent et s’appuient mutuellement sont : l’usage des biens matériels, le travail, la famille » .

En ce qui concerne l’usage des biens matériels, Notre Prédécesseur affirme que le droit qu’a tout homme d’user de ces biens pour son entretien est prioritaire par rapport à tout autre droit de nature économique ; et même par rapport au droit de propriété. Certes, ajoute Notre Prédécesseur, le droit de propriété des biens est aussi un droit naturel ; cependant, selon l’ordre objectif établi par Dieu, le droit de propriété doit être délimité de manière à ne pas mettre obstacle à « l’imprescriptible exigence que les biens, créés par Dieu pour tous les hommes, soient équitablement à la disposition de tous, selon les principes de la justice et de la charité » .

Au sujet du travail, reprenant un thème que l’on retrouve dans l’encyclique de Léon XIII, Pie XII rappelle qu’il est en même temps un devoir et un droit de chaque être humain. C’est, en conséquence, aux hommes en premier lieu qu’il revient de régler leurs rapports mutuels de travail. C’est uniquement dans le cas où les intéressés ne remplissent pas ou ne peuvent pas remplir leur tâche qu’il « entre dans les attributions de l’Etat d’intervenir sur ce terrain, dans la division et la distribution du travail, sous la forme et dans la mesure que demande le bien commun justement compris » .

Pour ce qui regarde la famille, le Souverain Pontife affirme que la propriété privée des biens matériels doit être considérée comme l’ « espace vital de la famille », c’est-à-dire comme un moyen apte « à assurer au père de famille la saine liberté dont il a besoin pour pouvoir remplir les devoirs que le créateur lui a assignés, pour le bien-être physique, spirituel et religieux de la famille » .

Cela comporte aussi pour la famille le droit à l’émigration. Sur ce point, Notre Prédécesseur relève que lorsque les Etats, ceux qui permettent l’émigration comme ceux qui accueillent de nouveaux sujets, mettent tout en œuvre pour éliminer ce qui « pourrait empêcher la naissance ou le développement d’une vraie confiance » entre eux, ils obtiendront un avantage mutuel et contribueront ensemble à l’accroissement du bien-utile de l’humanité comme au progrès de la culture.

Derniers changements

La situation déjà bien évoluée au moment de la commémoration faite par Pie XII a encore subi en vingt ans de profondes transformations, soit à l’intérieur des Etats, soit dans leurs rapports mutuels.

Dans le domaine scientifique, technique et économique : la découverte de l’énergie nucléaire, ses premières applications à des buts de guerre, son utilisation croissante pour des fins pacifiques ; les possibilités illimitées offertes à la chimie par les produits synthétiques ; l’extension de l’automation dans le secteur industriel et dans celui des services ; la modernisation du secteur agricole ; l’abolition presque complète de la distance dans les communications grâce surtout à la radio et à la télévision ; la rapidité croissante des transports ; le début de la conquête des espaces interplanétaires.

Dans le domaine social : le développement des assurances sociales et, dans certains pays économiquement mieux développés, l’instauration de régimes de sécurité sociale ; la formation et l’extension, dans les mouvements syndicaux, d’une attitude de responsabilité vis-à-vis des principaux problèmes économiques et sociaux ; une élévation progressive de l’instruction de base, un bien-être toujours plus répandu ; une plus grande mobilité dans la vie sociale et la réduction des barrières entre les classes ; l’intérêt de l’homme de culture moyenne pour les événements quotidiens de portée mondiale. En outre, l’augmentation de l’efficacité des régimes économiques dans un nombre croissant de pays met mieux en relief le déséquilibre économique et social entre le secteur agricole d’une part et le secteur de l’industrie et des services d’autre part, entre les régions d’économie développée et les régions d’économie moins développée à l’intérieur de chaque pays ; et, sur le plan mondial, le déséquilibre économique et social encore plus flagrant entre les pays économiquement développés et les pays en voie de développement économique.

Dans le domaine politique : la participation à la vie publique d’un plus grand nombre de citoyens d’origine sociale variée, en de nombreux pays ; l’extension et la pénétration de l’action des pouvoirs publics dans le domaine économique et social. A cela s’ajoute sur le plan international le déclin des régimes coloniaux et la conquête de l’indépendance politique de la part des peuples d’Asie et d’Afrique ; la multiplication et la complexité des rapports entre peuples ; l’approfondissement de leur interdépendance ; la naissance et le développement d’un réseau toujours plus dense d’organismes à la dimension du monde qui tendent à s’inspirer de critères supranationaux : des organismes à buts économiques, sociaux, culturels et politiques.

Thèmes de la nouvelle Encyclique

C’est pourquoi Nous aussi Nous éprouvons le devoir de maintenir vive la flamme allumée pas Nos Prédécesseurs et d’exhorter tous les hommes à en tirer élan et lumière pour résoudre la question sociale d’une manière plus adaptée à notre temps. Ainsi donc, en commémorant solennellement l’encyclique de Léon XIII, Nous sommes heureux de saisir l’occasion de rappeler et de préciser des points de doctrine qui ont déjà été exposés par Nos Prédécesseurs et en même temps d’expliquer la pensée de l’Eglise du Christ sur les nouveaux et les plus importants problèmes du moment.


Accueil | Version Mobile | Faire un don | Contact | Qui sommes nous ? | Plan du site | Information légales