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 - 16 avril 2024 - Saint Benoît-Joseph Labre
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Mater et Magistra

Deuxième partie : Précisions et développements apportés aux enseignements de Rerum Novarum

Initiative personnelle et intervention des pouvoirs publics en matière économique

Qu’il soit entendu avant toute chose que le monde économique résulte de l’initiative Personnelle des particuliers, qu’ils agissent individuellement ou associés de manières diverses à la poursuite d’intérêts communs.

Toutefois, en vertu des raisons déjà admises par Nos Prédécesseurs, les pouvoirs publics doivent, d’autre part, exercer leur présence active en vue de dûment promouvoir le développement de la production, en fonction du progrès social et au bénéfice de tous les citoyens. Leur action a un caractère d’orientation, de stimulant, de suppléance et d’intégration. Elle doit être inspirée par le principe de subsidiarité , formulé par Pie XI dans l’encyclique Quadragesimo anno : « Il n’en reste pas moins indiscutable qu’on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale ; de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens. Ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. » .

Il est vrai que de nos jours le développement des sciences et des techniques de production offre aux pouvoirs publics de plus amples possibilités de réduire les déséquilibres entre les divers secteurs de production, entre les différentes zones à l’intérieur des communautés politiques, entre les divers pays sur le plan mondial. Il permet aussi de limiter les oscillations dans les alternances de la conjoncture économique, de faire front aux phénomènes de chômage massif, avec la perspective de résultats positifs. En conséquence, les pouvoirs publics, responsables du bien commun, ne peuvent manquer de se sentir engagés à exercer dans le domaine économique une action aux formes multiples, plus vaste, plus profonde, plus organique ; à s’adapter aussi, dans ce but, aux structures, aux compétences, aux moyens, aux méthodes.

Mais il faut toujours rappeler ce principe : la présence de l’Etat dans le domaine économique, si vaste et pénétrante qu’elle soit, n’a pas pour but de réduire de plus en plus la sphère de liberté de l’initiative personnelle des particuliers, tout au contraire elle a pour objet d’assurer à ce champ d’action la plus vaste ampleur possible, grâce à la protection effective, pour tous et pour chacun, des droits essentiels de la personne humaine. Et il faut retenir parmi ceux-ci le droit qui appartient à chaque personne humaine d’être et demeurer normalement première responsable de son entretien et de celui de sa famille, Cela comporte que, dans tout système économique, soit permis et facilité le libre exercice des activités productrices.

Au reste, le développement même de l’histoire fait apparaître chaque jour plus clairement qu’une vie commune ordonnée et féconde n’est possible qu’avec l’apport dans le domaine économique, tant des particuliers que des pouvoirs publics, apport simultané, réalisé dans la concorde, en des proportions qui répondent aux exigences du bien commun, eu égard aux situations changeantes et aux vicissitudes humaines.

Au fait, l’expérience enseigne que là où fait défaut l’initiative personnelle des individus surgit la tyrannie politique, mais languissent aussi les secteurs économiques orientés surtout à produire la gamme indéfinie des biens de consommation et services satisfaisant en plus des besoins matériels les exigences de l’esprit : biens et services qui engagent de façon spéciale le génie créateur des individus. Tandis que là où vient à manquer l’action requise de l’Etat, apparaît un désordre inguérissable, l’exploitation des faibles par les forts moins scrupuleux, qui croissent en toute terre et en tout temps, comme l’ivraie dans le froment.

La "socialisation"

Origine et amplitude du phénomène

La « socialisation » est un des aspects caractéristiques de notre époque. Elle est une multiplication progressive des relations dans la vie commune ; elle comporte des formes diverses de vie et d’activités associées et l’instauration d’institutions juridiques. Ce fait s’alimente à la source de nombreux facteurs historiques, parmi lesquels il faut compter les progrès scientifiques et techniques, une plus grande efficacité productive, un niveau de vie plus élevé des habitants.

La « socialisation » est à la fois cause et effet d’une intervention croissante des pouvoirs publics, même dans les domaines les plus délicats : soins médicaux, instruction et éducation des générations nouvelles, orientation professionnelle, méthodes de récupération et réadaptation des sujets diminués. Elle est aussi le fruit et l’expression d’une tendance naturelle, quasi incoercible, des humains : tendance à l’association en vue d’atteindre des objectifs qui dépassent les capacités et les moyens dont peuvent disposer les individus. Pareille disposition a donné vie, surtout en ces dernières décennies, à toute une gamme de groupes, de mouvements, d’associations, d’institutions, à buts économiques, culturels, sociaux, sportifs, récréatifs, professionnels, politiques, aussi bien à l’intérieur des communautés politiques que sur le plan mondial.

Estimation

Il est clair que la « socialisation », ainsi comprise, apporte beaucoup d’avantages. En fait, elle permet d’obtenir la satisfaction de nombreux droits personnels, en particulier ceux qu’on appelle économiques et sociaux. Par exemple, le droit aux moyens indispensables à un entretien vraiment humain, aux soins médicaux, à une instruction de base plus élevée, à une formation professionnelle plus adéquate, au logement, au travail, à un repos convenable, à la récréation, En outre, grâce à une organisation de plus en plus parfaite des moyens modernes de diffusion de la pensée - presse, cinéma, radio, télévision - il est loisible à toute personne de participer aux vicissitudes humaines sur un rayon mondial.

Par contre, la « socialisation » multiplie les méthodes d’organisation, et rend de plus en plus minutieuse la réglementation juridique des rapports humains, en tous domaines. Elle réduit en conséquence le rayon d’action libre des individus. Elle utilise des moyens, emploie des méthodes, crée des ambiances qui rendent difficile pour chacun une pensée indépendante des influences extérieures, une action d’initiative propre, l’exercice de sa responsabilité, l’affirmation et l’enrichissement de sa personne. Faut-il conclure que la « socialisation », croissant en amplitude et profondeur, transformera nécessairement les hommes en automates ? A cette question, il faut répondre négativement.

Il ne faut pas considérer la « socialisation » comme le résultat de forces naturelles mues par un déterminisme. Elle est, au contraire, comme nous l’avons noté, œuvre des hommes, êtres conscients, libres, portés par nature à agir comme responsables, même s’ils sont tenus, dans leur action, à reconnaître et respecter les lois du développement économique et du progrès social, s’ils ne Peuvent se soustraire entièrement à la pression de l’ambiance.

Aussi bien, concluons-Nous que la « socialisation » peut et doit être réalisée de manière à en tirer les avantages qu’elle comporte, et conjurer ou comprimer ses effets négatifs.

Dans ce but, il est requis que les hommes investis d’autorité publique soient animés par une saine conception du bien commun. Celui-ci comporte l’ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur personnalité. Nous estimons, en outre, nécessaire que les corps intermédiaires et les initiatives sociales diverses, par lesquelles surtout s’exprime et se réalise la « socialisation », jouissent d’une autonomie efficace devant les pouvoirs publics, qu’ils poursuivent leurs intérêts spécifiques en rapports de collaboration loyale entre eux et de subordination aux exigences du bien commun.

Il n’est pas moins nécessaire que ces corps sociaux se présentent en forme de vraie communauté ; cela signifie que leurs membres seront considérés et traités comme des personnes, stimulés à participer activement à leur vie.

Les organisations de la société contemporaine se développent et l’ordre s’y réalise de plus en plus, grâce à un équilibre renouvelé : exigence d’une part de collaboration autonome apportée par tous, individus et groupes ; d’autre part, coordination en temps opportun et orientation venue des pouvoirs publics.

Si la « socialisation » s’exerçait dans le domaine moral suivant les lignes indiquées, elle ne comporterait pas par nature de périls graves d’étouffement aux dépens des particuliers. Elle favoriserait, au contraire, le développement en eux des qualités propres à la personne, Elle réorganiserait même la vie commune, telle que Notre Prédécesseur Pie XI la préconisait dans l’encyclique Quadragesimo anno comme condition indispensable en vue de satisfaire les exigences de la justice sociale.

La rémunération du travail

Normes de justice et d’équité

Notre âme est saisie de profonde amertume devant le spectacle infiniment triste : une foule de travailleurs, en de nombreux pays et sur des continents entiers, reçoivent un salaire qui les oblige, eux et leurs familles, à des conditions de vie sous-humaines, Cela est dû sans doute aussi à ce que dans ces pays et continents le processus d’industrialisation en est encore à ses débuts, ou en période insuffisamment avancée,

Pourtant, en certains de ces pays, criant et outrageant est le contraste entre l’extrême misère des multitudes et l’abondance, le luxe effréné de quelques privilégiés. En d’autres pays, la génération actuelle est contrainte à subir des privations inhumaines, en vue d’accroître l’efficacité de l’économie nationale suivant un rythme d’accélération disproportionné avec les exigences de la justice et de l’humanité. En d’autres, une part considérable du revenu est employée à mettre en valeur ou entretenir un prestige national mal compris, des sommes immenses sont dépensées en armements.

De plus, dans les pays économiquement développés, il n’est pas rare que des rétributions élevées, très élevées, soient accordées à des prestations peu absorbantes ou de valeur discutable, tandis que des catégories entières de citoyens honnêtes et travailleurs ne reçoivent pour leur activité assidue et féconde que des rémunérations trop infimes, insuffisantes ou, en tout état de cause, disproportionnées à leur apport au bien commun, au rendement de l’entreprise comme au revenu global de l’économie nationale.

Aussi bien, Nous estimons être de Notre devoir d’affirmer une fois de plus que la rétribution du travail ne peut être ni entièrement abandonnée aux lois du marché ni fixée arbitrairement : elle est déterminée en justice et équité. Cela exige que soit accordée aux travailleurs une rémunération qui leur permette, avec un niveau de vie vraiment humain, de faire face avec dignité à leurs responsabilités familiales. Cela demande en outre que, pour déterminer les rétributions, on considère leur apport effectif à la production, les situations économiques des entreprises, les exigences du bien commun de la nation. On prendra en spéciale considération les répercussions sur l’emploi global du travail dans l’ensemble du pays, et aussi les exigences du bien commun universel, intéressant les communautés internationales, diverses en nature et en étendue.

Il est clair que les principes exprimés ci-dessus valent partout et toujours. On ne saurait toutefois déterminer la mesure dans laquelle ils doivent être appliqués sans tenir compte des richesses disponibles ; celles-ci peuvent varier, varient en effet en quantité et qualité de pays à pays, et, dans le même pays, d’une période à l’autre.

Adaptations entre développement économique et progrès social

Tandis que les économies des divers pays se développent rapidement, avec un rythme encore plus rapide depuis la dernière guerre, il Nous paraît opportun d’attirer l’attention sur un principe fondamental. Le progrès social doit accompagner et rejoindre le développement économique, de telle sorte que toutes les catégories sociales aient leur part des produits accrus, Il faut donc veiller avec attention, et s’employer efficacement, à ce que les déséquilibres économiques et sociaux n’augmentent pas, mais s’atténuent dans la mesure du possible.

« L’économie nationale elle aussi, observe à bon droit Notre Prédécesseur Pie XII, de même qu’elle est le fruit de l’activité d’hommes qui travaillent unis dans la communauté politique, ne tend pas non plus à autre chose qu’à assurer sans interruption les conditions matérielles dans lesquelles, pourra se développer pleinement la vie individuelle des citoyens. Là où cela sera obtenu, et de façon durable, un peuple sera, en vérité, économiquement riche, parce que le bien-être général, et par conséquent le droit personnel de tous à l’usage des biens terrestres, se trouve ainsi réalisé conformément au plan voulu par le Créateur. »

D’où il suit que la richesse économique d’un Peuple ne résulte pas seulement de l’abondance globale des biens, mais aussi et plus encore de leur distribution effective suivant la justice, en vue d’assurer l’épanouissement Personnel des membres de la communauté : car telle est la véritable fin de l’économie nationale.

Nous ne saurions ici négliger le fait que de nos jours les grandes et moyennes entreprises obtiennent fréquemment, en de nombreuses économies, une capacité de production rapidement et considérablement accrue, grâce à l’autofinancement. En ce cas, Nous estimons pouvoir affirmer que l’entreprise doit reconnaître un titre de crédit aux travailleurs qu’elle emploie, surtout s’ils reçoivent une rémunération qui ne dépasse pas le salaire minimum.

Nous rappelons à ce sujet le Principe exprimé par Notre Prédécesseur Pie XI dans l’encyclique Quadragesimo anno : « Il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné ; c’est bien injustement que l’une des parties, contestant à l’autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit. » .

Il peut être satisfait à cette exigence de justice en bien des manières que suggère l’expérience. L’une d’elles, et des plus désirables, consiste à faire en sorte que les travailleurs arrivent à participer à la propriété des entreprises, dans les formes et les mesures les plus convenables. Aussi bien, de nos jours plus qu’au temps de Notre Prédécesseur, « il faut donc tout mettre en œuvre afin que, dans l’avenir du moins, la part des biens qui s’accumule aux mains des capitalistes soit réduite à une plus équitable mesure et qu’il s’en répande une suffisante abondance parmi les ouvriers » .

Il Nous faut en outre rappeler que l’équilibre entre la rémunération du travail et le revenu doit être atteint en harmonie avec les exigences du bien commun, soit de la communauté nationale, soit de la famille humaine dans son ensemble.

Il faut considérer les exigences du bien commun sur le plan national : donner un emploi au plus grand nombre possible de travailleurs ; éviter la formation de catégories privilégiées, même parmi ces derniers ; maintenir une proportion équitable entre salaires et prix ; donner accès aux biens et services au plus grand nombre possible de citoyens ; éliminer ou réduire les déséquilibres entre secteurs : agriculture, industrie, services ; équilibrer expansion économique et développement des services publics essentiels ; adapter, dans la mesure du possible, les structures de production aux progrès des sciences et des techniques ; tempérer le niveau de vie amélioré des générations présentes par l’intention de préparer un avenir meilleur aux générations futures.

Le bien commun a en outre des exigences sur le plan mondial : éviter toute forme de concurrence déloyale entre les économies des divers pays ; favoriser, par des ententes fécondes, la collaboration entre économies nationales ; collaborer au développement économique des communautés politiques moins avancées.

Il va de soi que ces exigences du bien commun, national ou mondial, entrent aussi en considération quand il s’agit de fixer la part de revenu à attribuer sous forme de profits aux responsables de la direction des entreprises, et sous forme d’intérêts ou dividendes à ceux qui fournissent les capitaux.

Exigences de la justice au regard des structures

Structures conformes à la dignité de l’homme

La justice doit être observée non seulement dans la répartition des richesses, mais aussi au regard des entreprises ou se développent les processus de production. Il est inscrit, en effet, dans la nature des hommes qu’ils aient la possibilité d’engager leur responsabilité et de se perfectionner eux-mêmes, là où ils exercent leur activité productrice.

C’est pourquoi si les structures, le fonctionnement, les ambiances d’un système économique sont de nature à compromettre la dignité humaine de ceux qui s’y emploient, à émousser systématiquement leur sens des responsabilités, à faire obstacle à l’expression de leur initiative personnelle, pareil système économique est injuste, même si, par hypothèse, les richesses qu’il produit atteignent un niveau élevé, et sont réparties suivant les règles de la justice et de l’équité.

Rappel d’une consigne

Il n’est pas possible de fixer dans leur détail les structures d’un système économique qui répondent le mieux à la dignité de l’homme et soient le plus aptes à développer en lui le sens des responsabilités. Toutefois, Notre Prédécesseur Pie XII donne opportunément cette consigne : « La petite et moyenne propriété agricole, artisanale et professionnelle, commerciale, industrielle, doit être garantie et favorisée ; les unions coopératives devront leur assurer les avantages de la grande exploitation. Et là où la grande exploitation continue de se montrer plus heureusement productive, elle doit offrir la possibilité de tempérer le contrat de travail par un contrat de société. » .

Entreprise artisanale et coopératives de production

Il faut conserver et promouvoir, en harmonie avec le bien commun, et dans le cadre des possibilités techniques, l’entreprise artisanale, l’exploitation agricole à dimensions familiales et aussi l’entreprise coopérative, comme intégration des deux précédentes.

Sur l’exploitation agricole à dimensions familiales, Nous reviendrons plus loin. Nous estimons opportun de faire ici quelques remarques au sujet de l’entreprise artisanale et des coopératives.

Il faut noter tout d’abord que ces deux formes d’entreprises doivent, pour être viables, s’adapter constamment aux structures, au fonctionnement, aux productions, aux situations toujours nouvelles, déterminées par les progrès de la science et des techniques, et aussi par les exigences mouvantes et les préférences des consommateurs. Cette adaptation doit être réalisée en premier lieu par les artisans et les coopérateurs eux-mêmes.

A cette fin, il est nécessaire que les uns et les autres aient une bonne formation technique et humaine et soient organisés professionnellement. Il est non moins indispensable que soit appliquée une politique économique idoine, en ce qui regarde surtout l’instruction, le régime fiscal, le crédit, les assurances sociales

Au reste, l’action des pouvoirs publics en faveur des artisans et coopérateurs trouve sa justification dans ce fait aussi que leurs catégories sont porteuses de valeurs humaines authentiques et contribuent au progrès de la civilisation.

Pour ces raisons, Nous invitons en esprit paternel Nos très chers fils, les artisans et coopérateurs dispersés dans le monde entier, à prendre conscience de la noblesse de leur profession, de leur contribution importante à l’éveil du sens des responsabilités, de l’esprit de collaboration, pour que demeure vif, dans la nation, le goût d’un travail fin et original.

Présence active des travailleurs dans les moyennes et grandes entreprises

De plus, avançant sur les traces de Nos Prédécesseurs, Nous estimons légitime l’aspiration des ouvriers à prendre part active à la vie des entreprises où ils sont enrôlés et travaillent. On ne peut déterminer à l’avance le genre et le degré de cette participation, car ils sont en rapport avec la situation concrète de chaque entreprise. Cette situation peut varier d’entreprise à entreprise ; à l’intérieur de chacune d’elles elle est sujette à des changements souvent rapides et substantiels. Nous estimons toutefois opportun d’attirer l’attention sur le fait que le problème de la présence active des travailleurs existe toujours dans l’entreprise, soit privée soit publique. Il faut tendre, en tout cas, à ce que l’entreprise devienne une communauté de personnes, dans les relations, les fonctions et les situations de tout son personnel.

Cela requiert que les relations entre entrepreneurs et dirigeants d’une part, apporteurs de travail d’autre part, soient imprégnées de respect, d’estime, de compréhension, de collaboration active et loyale, d’intérêt à l’œuvre commune ; que le travail soit conçu et vécu par tous les membres de l’entreprise, non seulement comme source de revenus, mais aussi comme accomplissement d’un devoir et prestation d’un service. Cela comporte encore que les ouvriers puissent faire entendre leur voix, présenter leur apport au fonctionnement efficace de l’entreprise et à son développement. Notre Prédécesseur Pie XII fait observer : « La fonction économique et sociale que tout homme désire accomplir exige que l’activité de chacun ne soit pas totalement soumise à l’autorité d’autrui. » Une conception humaine de l’entreprise doit sans doute sauvegarder l’autorité et l’efficacité nécessaire de l’unité de direction ; mais elle ne saurait réduire ses collaborateurs quotidiens au rang de simples exécutants silencieux, sans aucune possibilité de faire valoir leur expérience, entièrement passifs au regard des décisions qui dirigent leur activité.

Il faut noter enfin que l’exercice de la responsabilité, de la part des ouvriers, dans les organismes de production, en même temps qu’il répond aux exigences légitimes inscrites au cœur de l’homme, est aussi en harmonie avec le déroulement de l’histoire en matière économique, sociale et publique.

Malheureusement, comme nous l’avons déjà noté et comme on le verra plus abondamment par la suite, nombreux sont, de notre temps, les déséquilibres économiques et sociaux qui blessent la justice et l’humanité. Des erreurs profondes affectent les activités, les buts, les structures, le fonctionnement du monde économique. C’est toutefois un fait incontestable que les régimes économiques, sous la poussée du progrès scientifique et technique, se modernisent sous nos yeux, deviennent plus efficients avec des rythmes bien plus rapides qu’autrefois. Cela demande aux travailleurs des aptitudes et des qualifications professionnelles plus relevées. En même temps et par voie de conséquence, des moyens supérieurs, des marges de temps plus étendues sont mises à leur disposition pour leur instruction et leur tenue à jour, pour leur culture et leur formation morale et religieuse. Une prolongation des années destinées à l’instruction de base et à la formation professionnelle est aussi devenu réalisable.

De la sorte, une ambiance humaine est créée, qui favorise pour les classes laborieuses, la prise de plus grandes responsabilités, même à l’intérieur de l’entreprise. Les communautés politiques, de leur part, ont de plus en plus intérêt à ce que tout citoyen se sente responsable de la réalisation du bien commun dans tous les secteurs de la vie sociale.

Présence des travailleurs à tous les échelons

De notre temps, le mouvement vers l’association des travailleurs s’est largement développé ; il a été généralement reconnu dans les dispositions juridiques des États et sur le plan international, spécialement en vue de la collaboration, surtout grâce au contrat collectif. Nous ne saurions toutefois omettre de dire à quel point il est opportun, voire nécessaire, que la voix des travailleurs ait la possibilité de se faire entendre et écouter hors des limites de chaque organisme de production à tous les échelons.

La raison en est que les organismes particuliers de production, si larges que soient leurs dimensions, si élevées que soient leur efficacité et leur incidence, demeurent toutefois inscrits vitalement dans le contexte économique et social de leur communauté politique, et sont conditionnés par lui.

Néanmoins, les choix qui influent davantage sur ce contexte ne sont pas décidés à l’intérieur de chaque organisme productif, mais bien par les pouvoirs publics, ou des institutions à compétence mondiale, régionale ou nationale, ou bien qui relèvent soit du secteur économique, soit de la catégorie de production. D’où l’opportunité - la nécessité - de voir présents dans ces pouvoirs ou ces institutions, outre les apporteurs de capitaux et ceux qui représentent leurs intérêts, aussi les travailleurs et ceux qui représentent leurs droits, leurs exigences, leurs aspirations.

Notre pensée affectueuse, Notre encouragement paternel se tournent vers les associations professionnelles et les mouvements syndicaux d’inspiration chrétienne présents et agissant sur plusieurs continents. Malgré des difficultés souvent graves, ils ont su agir, et agissent, pour la poursuite efficace des intérêts des classes laborieuses, pour leur relèvement matériel et moral, aussi bien à l’intérieur de chaque État que sur le plan mondial.

Nous remarquons avec satisfaction que leur action n’est pas mesurée seulement par ses résultats directs et immédiats, faciles à constater, mais aussi par ses répercussions positives sur l’ensemble du monde du travail, où ils répandent des idées correctement orientées et exercent une impulsion chrétiennement novatrice.

Nous observons aussi qu’il faut prendre en considération l’action exercée dans un esprit chrétien par Nos chers fils, dans les autres associations professionnelles et syndicales qu’animent les principes naturels de la vie commune, et qui respectent la liberté de conscience.

Nous sommes heureux d’exprimer Notre cordiale estime envers l’Organisation internationale du travail (O. I. T.). Depuis plusieurs décennies elle apporte sa contribution valide et précieuse à l’instauration dans le monde d’un ordre économique et social imprégné de justice et d’humanité, où les requêtes légitimes des travailleurs trouvent leur expression.

La propriété privée

Situation nouvelle

Durant ces dernières décennies, on le sait, la brèche entre propriété des biens de production et responsabilités de direction dans les grands organismes économiques est allée s’élargissant. Nous savons que cela pose des problèmes difficiles de contrôle aux pouvoirs publics. Comment s’assurer que les objectifs poursuivis par les dirigeants des grandes entreprises, celles surtout qui ont plus grande incidence sur l’ensemble de la vie économique dans la communauté politique, ne s’opposent pas aux exigences du bien commun ? Ces problèmes surgissent aussi bien, l’expérience le prouva, quand les capitaux qui alimentent les grandes entreprises sont d’origine privée, et quand ils proviennent d’établissements publics.

Il est vrai que de nos jours, nombreux sont les citoyens - et leur nombre va croissant - qui, du fait qu’ils appartiennent à des organismes d’assurances ou de sécurité sociale, en tirent argument pour considérer l’avenir avec sérénité ; sérénité qui s’appuyait autrefois sur la possession d’un patrimoine, fût-il modeste.

On note enfin qu’aujourd’hui on aspire à conquérir une capacité professionnelle plus qu’à posséder des biens ; on a confiance en des ressources qui prennent leur origine dans le travail ou des droits fondés sur le travail, plus qu’en des revenus qui auraient leur source dans le capital, ou des droits fondés sur le capital.

Cela, du reste, est en harmonie avec le caractère propre du travail, qui, procédant directement de la personne, doit passer avant l’abondance des biens extérieurs, qui, par leur nature, doivent avoir valeur d’instrument ; ce qui est assurément l’indice d’un progrès de l’humanité. Ces aspects du monde économique ont certainement contribué à répandre le doute suivant : est-ce que, dans la conjoncture présente, un principe d’ordre économique et social fermement enseigné et défendu par Nos Prédécesseurs, à savoir le principe de droit naturel de la propriété privée, y compris celle des biens de production, n’aurait pas perdu sa force, ou ne serait pas de moindre importance ?

Affirmation renouvelée du droit de propriété

Ce doute n’est pas fondé. Le droit de propriété, même des biens de productions a valeur permanente, pour cette raison précise qu’il est un droit naturel, fondé sur la priorité, ontologique et téléologique, des individus sur la société. Au reste, il serait vain de revendiquer l’initiative personnelle et autonome en matière économique, si n’était pas reconnue à cette initiative la libre disposition des moyens indispensables à son affirmation. L’histoire et l’expérience attestent, de plus, que sous les régimes politiques qui ne reconnaissent pas le droit de propriété privée des biens de production, les expressions fondamentales de la liberté sont comprimées ou étouffées. Il est, par suite, légitime d’en déduire qu’elles trouvent en ce droit garantie et stimulant.

Cela explique pourquoi des mouvements sociaux et politiques, qui se proposent de concilier dans la vie commune justice et liberté, hier encore nettement opposés à la propriété privée des biens de production, aujourd’hui mieux instruits de la réalité sociale, reconsidèrent leur position et prennent à l’égard de ce droit une attitude substantiellement positive.

Aussi bien Nous faisons Nôtres, en cette matière, les remarques de Notre Prédécesseur Pie XII : « En défendant le principe de la propriété privée, l’Eglise poursuit un haut objectif tout à la fois moral et social. Ce n’est pas qu’elle prétende soutenir purement et simplement l’état actuel des choses, comme si elle y voyait l’expression de la volonté divine, ni protéger par principe le riche et le ploutocrate contre le pauvre et le prolétaire.... L’Eglise vise plutôt à faire en sorte que l’institution de la propriété devienne ce qu’elle doit être, selon les plans de la sagesse divine et selon le vœu de la nature. » C’est dire qu’elle doit être à la fois garantie de la liberté essentielle de la personne humaine et élément indispensable de l’ordre social.

Nous avons noté en outre que les économies, de nos jours, accroissent rapidement leur efficacité productive en de nombreux pays. Toutefois, tandis que s’élève le revenu, justice et équité requièrent, Nous l’avons vu, que s’élève aussi la rémunération du travail, dans les limites consenties par le bien commun. Cela donnerait aux travailleurs plus grande opportunité d’épargner, et par suite de se constituer un patrimoine. On ne voit pas alors comment pourrait être contesté le caractère naturel d’un droit qui trouve sa source principale et son aliment perpétuel dans la fécondité du travail ; qui constitue un moyen idoine pour l’affirmation de la personne et l’exercice de la responsabilité en tous domaines ; qui est élément de stabilité sereine pour la famille, d’expansion pacifique et ordonnée dans l’existence commune.

Diffusion effective

Affirmer que le caractère naturel du droit de propriété privée concerne aussi les biens de production ne suffit pas : il faut insister, en outre, pour qu’elle soit effectivement diffusée parmi toutes les classes sociales. Comme le déclare Notre Prédécesseur Pie XII : « La dignité de la personne humaine exige normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l’usage des biens de la terre ; à ce droit correspond l’obligation fondamentale d’accorder une propriété privée autant que possible à tous. » . D’autre part, il faut placer parmi les exigences qui résultent de la noblesse du travail... « la conservation et le perfectionnement d’un orare social qui rende possible et assurée, si modeste qu’elle sort, une propriété privée à toutes les classes du peuple » .

Il faut d’autant plus urger cette diffusion de la propriété en notre époque où, Nous l’avons remarqué, les structures économiques de pays de plus en plus nombreux se développent rapidement. C’est pourquoi, si on recourt avec prudence aux techniques qui ont fait preuve d’efficacité, il ne sera pas difficile de susciter des initiatives, de mettre en branle une politique économique et sociale qui encourage et facilite une plus ample accession à la propriété privée des biens durables : une maison, une terre, un outillage artisanal, l’équipement d’une ferme familiale, quelques actions d’entreprises moyennes ou grandes. Certains pays, économiquement développés et socialement avancés, en ont fait l’heureuse expérience.

Propriété publique

Ce qui vient d’être exposé n’exclut évidemment pas Que l’Etat et les établissements publics détiennent, eux aussi, en propriété légitime, des biens de production, et spécialement lorsque ceux-ci « en viennent à conférer une puissance économique telle qu’elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées » .

Notre temps marque une tendance à l’expansion de la propriété publique : Etat et collectivités. Le fait s’applique par les attributions plus étendues que le bien commun confère aux pouvoirs publics. Cependant, il convient, ici encore, de se conformer au principe de subsidiarité sus énoncé. Aussi bien l’Etat et les établissements de droit public ne doivent étendre leur domaine que dans les limites évidemment exigées par des raisons de bien commun, nullement à seule fin de réduire, pire encore, de supprimer la propriété privée.

Il convient de retenir que les initiatives d’ordre économique, qui appartiennent à l’Etat ou aux établissements publics, doivent être confiées à des personnes qui unissent à une compétence éprouvée un sens aigu de leur responsabilité devant le pays. De plus, leur activité doit être objet d’un contrôle attentif et constant, ne serait-ce que pour éviter la formation, au sein de l’Etat, ne noyaux de puissance économique au préjudice du bien de la communauté, qui est pourtant leur raison d’être.

Fonction sociale

Voici un autre point de doctrine, constamment enseigné par Nos Prédécesseurs : au droit de propriété est intrinsèquement rattachée une fonction sociale. Dans les plans du Créateur, en effet, les biens de la terre sont avant tout destinés à la subsistance décente de tous les hommes, comme l’enseigne avec sagesse Notre Prédécesseur Léon XIII dans l’encyclique Rerum novarum : « Quiconque a reçu de la divine bonté une plus grande abondance, soit des biens externes et du corps soit des biens de l’âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son propre perfectionnement, et tout ensemble, comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. » C’est pourquoi « quelqu’un a-t-il le don de la parole, qu’il prenne garde de se taire ; une surabondance de biens, qu’il ne laisse pas la miséricorde s’engourdir au fond de son cœur ; l’art de gouverner, qu’il s’applique avec soin à en partager avec son frère et l’exercice et les fruits. »

De nos jours, l’Etat et les établissements publics ne cessent d’étendre le domaine de leur initiative. La fonction sociale de la propriété privée n’en est pas pour autant désuète, comme certains auraient tendance à le croire par erreur : elle a sa racine dans la nature même du droit de propriété. Il y a toujours une multitude de situations douloureuses, d’indigences lancinantes et délicates, auxquelles l’assistance publique ne saurait atteindre ni porter remède. C’est pourquoi un vaste champ reste ouvert à la sensibilité humaine, à la charité chrétienne et privée. Notons, enfin, que souvent les initiatives variées des individus et des groupes ont plus d’efficacité que les pouvoirs publics pour susciter les valeurs spirituelles.

Il nous est agréable de rappeler ici comment l’Evangile reconnaît fondé le droit de propriété privée. Mais en même temps, le Divin Maître adresse fréquemment aux riches de pressants appels, afin qu’ils convertissent leurs biens temporels en biens spirituels, que le voleur ne prend pas, que la mite ou la rouille ne rongent pas, qui s’accumulent dans les greniers du Père céleste : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs perforent et cambriolent. » Et le Seigneur tiendra pour faite ou refusée à lui-même l’aumône faite ou refusée au pauvre : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »


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