Catholic.net International English Espanol Deutsh Italiano Slovensko
 - 28 mars 2024 - Saint Gontran

 

Populorum Progressio

Deuxième partie : Vers le développement solidaire de l’humanité

Introduction

43. Le développement intégral de l’homme ne peut aller sans le développement solidaire de l’humanité. Nous le disions à Bombay : "l’homme doit rencontrer l’homme, les nations doivent se rencontrer comme des frères et sœurs, comme les enfants de Dieu. Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles, dans cette communion sacrée, Nous devons également commencer à œuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun de l’humanité (47). Aussi suggérions-Nous la recherche de moyens concrets et pratiques d’organisation et de coopération, pour mettre en commun les ressources disponibles et réaliser ainsi une véritable communion entre toutes les nations.

Fraternité des peuples

44. Ce devoir concerne en premier lieu les plus favorisés. Leurs obligations s’enracinent dans la fraternité humaine et surnaturelle et se présentent sous un triple aspect : devoir de solidarité, l’aide que les nations riches doivent apporter aux pays en voie de développement ; devoir de justice sociale, le redressement des relations commerciales défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; devoir de charité universelle, la promotion d’un monde plus humain. pour tous, où tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres. La question est grave, car l’avenir de la civilisation mondiale en dépend.

1. L’ASSISTANCE AUX FAIBLES

Lutte contre la faim...

45. "Si un frère ou une sœur sont nus, dit saint Jacques, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dise : "Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous" sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ?" (48). Aujourd’hui, personne ne peut plus l’ignorer, sur des continents entiers, innombrables sont les hommes et les femmes torturés par la faim, innombrables les enfants sous-alimentés, au point que bon nombre d’entre eux meurent en bas âge, que la croissance physique et le développement mental de beaucoup d’autres en sont compromis, que des régions entières sont de ce fait condamnées au plus morne découragement.

Aujourd’hui

46. Des appels angoissés ont déjà retenti. Celui de Jean XXIII a été chaleureusement accueilli (49). Nous l’avons Nous-même réitéré en Notre message de Noël 1963 (50), et de nouveau en faveur de l’Inde en 1966 (51). La campagne contre la faim engagée par l’Organisation internationale pour l’alimentation et l’agriculture (F. A. O.) et encouragée par le Saint-Siège a été généreusement suivie, Notre Caritas internationalis est partout à l’œuvre et de nombreux catholiques, sous l’impulsion de nos frères dans l’épiscopat, donnent et se dépensent eux-mêmes sans compter pour aider ceux qui sont dans le besoin, élargissant progressivement le cercle de leur prochain.

Demain

47. Mais cela, pas plus que les investissements privés et publics réalisés, les dons et les prêts consentis, ne saurait suffire. Il ne s’agit pas seulement de vaincre la faim ni même de faire reculer la pauvreté. Le combat contre la misère, urgent et nécessaire, est insuffisant. Il s’agit de construire un monde où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse vivre une vie pleinement humaine, affranchie des servitudes qui lui viennent des hommes et d’une nature insuffisamment maîtrisée ; un monde où la liberté ne soit pas un vain mot et où le pauvre Lazare puisse s’asseoir à la même table que le riche (52). Cela demande à ce dernier beaucoup de générosité, de nombreux sacrifices, et un effort sans relâche. A chacun d’examiner sa conscience qui a une voix nouvelle pour notre époque. Est-il prêt à soutenir de ses deniers les œuvres et les missions organisées en faveur des plus pauvres ? A payer davantage d’impôts pour que les pouvoirs publics intensifient leur effort pour le développement ? A acheter plus cher les produits importés pour rémunérer plus justement le producteur ? A s’expatrier lui-même au besoin, s’il est jeune, pour aider cette croissance des jeunes nations ?

Devoir de solidarité

48. Le devoir de solidarité des personnes est aussi celui des peuples : "les nations développées ont le très pressant devoir d’aider les nations en voie de développement" (53). Il faut mettre en œuvre cet enseignement conciliaire. S’il est normal qu’une population soit la première bénéficiaire des dons que lui a faits la Providence comme des fruits de son travail, aucun peuple ne peut, pour autant, prétendre réserver ses richesses à son seul usage. Chaque peuple doit produire plus et mieux, à la fois pour donner à tous ses ressortissants un niveau de vie vraiment humain et aussi pour contribuer au développement solidaire de l’humanité. Devant l’indigence croissante des pays sous-développés, on doit considérer comme normal qu’un pays évolué consacre une partie de sa production à satisfaire leurs besoins ; normal aussi qu’il forme des éducateurs, des ingénieurs, des techniciens, des savants qui mettront science et compétence à leur service.

Superflu

49. Il faut aussi le redire : le superflu des pays fiches doit servir aux pays pauvres. La règle qui valait autrefois en faveur des plus proches doit s’appliquer aujourd’hui à la totalité des nécessiteux du monde. Les riches en seront d’ailleurs les premiers bénéficiaires. Sinon, leur avarice prolongée ne pourrait que susciter le jugement de Dieu et la colère des pauvres, aux imprévisibles conséquences. Repliées dans leur égoïsme, les civilisations actuellement florissantes porteraient atteinte à leurs valeurs les plus hautes, en sacrifiant la volonté d’être plus au désir d’avoir davantage. Et la parabole s’appliquerait à elles de l’homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté, et qui ne savait où entreposer sa récolte : "Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même on va te redemander ton âme" (54).

Programmes

50. Ces efforts, pour atteindre leur pleine efficacité, ne sauraient demeurer dispersés et isolés, moins encore opposés pour des raisons de prestige ou de puissance : la situation exige des programmes concertés. Un programme est en effet plus et mieux qu’une aide occasionnelle laissée à la bonne volonté d’un chacun. Il suppose, Nous l’avons dit plus haut, études approfondies, fixation des buts, détermination des moyens, regroupement des efforts, pour répondre aux besoins présents et aux exigences prévisibles. Bien plus, il dépasse les perspectives de la croissance économique et du progrès social : il donne sens et valeur à l’œuvre à réaliser. En aménageant le monde, il valorise l’homme.

Fonds mondial

51. Il faudrait encore aller plus loin. Nous demandions à Bombay la constitution d’un grand Fonds mondial alimenté par une partie des dépenses militaires, pour venir en aide aux plus déshérités (55). Ce qui vaut pour la lutte immédiate contre la misère vaut aussi à l’échelle du développement. Seule une collaboration mondiale, dont un fonds commun serait à la fois le symbole et l’instrument, permettrait de surmonter les rivalités stériles et de susciter un dialogue fécond et pacifique entre tous les peuples.

Ses avantages

52. Sans doute des accords bilatéraux ou multilatéraux peuvent être maintenus : ils permettent de substituer aux rapports de dépendance et aux amertumes issues de l’ère coloniale d’heureuses relations d’amitié, développées sur un pied d’égalité juridique et politique. Mais incorporés dans un programme de collaboration mondiale, ils seraient exempts de tout soupçon. Les méfiances des bénéficiaires en seraient atténuées. Ils auraient moins à redouter dissimulées sous l’aide financière ou l’assistance technique, certaines manifestations de ce qu’on a appelé le néocolonialisme, sous forme de pressions politiques et de dominations économiques visant à défendre ou à conquérir une hégémonie dominatrice.

Son urgence

53. Qui ne voit par ailleurs qu’un tel fonds faciliterait les prélèvements sur certains gaspillages, fruits de la peur ou de l’orgueil ? Quand tant de peuples ont faim, quand tant de foyers souffrent de la misère, quand tant d’hommes demeurent plongés dans l’ignorance, quand tant d’écoles, d’hôpitaux, d’habitations dignes de ce nom demeurent à construire, tout gaspillage public ou privé, toute dépense d’ostentation nationale ou personnelle, toute course épuisante aux armements devient un scandale intolérable. Nous Nous devons de le dénoncer. Veuillent les responsables Nous entendre avant qu’il ne soit trop tard.

Dialogue à instaurer

54. C’est dire qu’il est indispensable que s’établisse entre tous ce dialogue que Nous appelions de Nos vœux dans Notre première encyclique, Ecclesiam Suam (56). Ce dialogue entre ceux qui apportent les moyens et ceux qui en bénéficient permettra de mesurer les apports, non seulement selon la générosité et les disponibilités des uns, mais aussi en fonction des besoins réels et des possibilités d’emploi des autres. Les pays en voie de développement ne risqueront plus dès lors d’être accablés de dettes dont le service absorbe le plus clair de leurs gains. Taux d’intérêt et durée des prêts pourront être aménagés de manière supportable pour les uns et pour les autres, équilibrant les dons gratuits, les prêts sans intérêts ou à intérêt minime, et la durée des amortissements. Des garanties pourront être données à ceux qui fournissent les moyens financiers, sur l’emploi qui en sera fait selon le plan convenu et avec une efficacité raisonnable, car il ne s’agit pas de favoriser paresseux et parasites. Et les bénéficiaires pourront exiger qu’on ne s’ingère pas dans leur politique, qu’on ne perturbe pas leur structure sociale. États souverains, Il leur appartient de conduire eux-mêmes leurs affaires, de déterminer leur politique, et de s’orienter librement vers la société de leur choix. C’est donc une collaboration volontaire qu’il faut instaurer, une participation efficace des uns avec les autres, dans une égale dignité, pour la construction d’un monde plus humain.

Sa nécessité

55. La tâche pourrait sembler impossible dans des régions où le souci de la subsistance quotidienne accapare toute l’existence de familles incapables de concevoir un travail susceptible de préparer un avenir moins misérable. Ce sont pourtant ces hommes et ces femmes qu’il tant aider, qu’il faut convaincre d’opérer eux-mêmes leur propre développement et d’en acquérir progressivement les moyens. Cette œuvre commune n’ira certes pas sans effort concerté, constant, et courageux. Mais que chacun en soit bien persuadé : Il y va de la vie des peuples pauvres, de la paix civile dans les pays en voie de développement, et de la paix du monde.

2. L’ÉQUITÉ DANS LES RELATIONS COMMERCIALES

56. Les efforts, même considérables, qui sont faits pour aider au plan financier et technique les pays en voie de développement seraient illusoires, si leurs résultats étaient partiellement annulés par le jeu des relations commerciales entre pays riches et pays pauvres. La confiance de ces derniers serait ébranlée s’ils avaient l’impression qu’une main leur enlève ce que l’autre leur apporte.

Distorsion croissante

57. Les nations hautement industrialisées exportent en effet surtout des produits fabriqués, tandis que les économies peu développées n’ont à vendre que des produits agricoles et des matières premières. Grâce au progrès technique, les premiers augmentent rapidement de valeur et trouvent un marché suffisant. au contraire, les produits primaires en provenance des pays sous-développés subissent d’amples et brusques variations de prix, bien loin de cette plus-value progressive. Il en résulte pour les nations peu industrialisées de grandes difficultés, quand elles doivent compter sur leurs exportations pour équilibrer leur économie et réaliser leur plan de développement. Les peuples pauvres restent toujours pauvres, et les riches deviennent toujours plus riches.

Au-delà du libéralisme

58. C’est dire que la règle de libre échange ne peut plus - à elle seule - régir les relations internationales. Ses avantages sont certes évidents quand les partenaires ne se trouvent pas en conditions trop inégales de puissance économique : elle est un stimulant au progrès et récompense l’effort. C’est pourquoi les pays industriellement développés y voient une loi de justice. Il n’en est plus de même quand les conditions deviennent trop inégales de pays à pays : les prix qui se forment "librement" sur le marché peuvent entraîner des résultats iniques. Il faut le reconnaître : c’est le principe fondamental du libéralisme comme règle des échanges commerciaux qui est ici mis en question.

Justice des contrats à l’échelle des peuples

59. L’enseignement de Léon XIII dans Rerum Novarum est toujours valable : le consentement des parties, si elles sont en situation trop inégale, ne suffit pas à garantir la justice du contrat, et la règle du libre consentement demeure subordonnée aux exigences du droit naturel (57). Ce qui était vrai du juste salaire individuel l’est aussi des contrats internationaux : une économie d’échange ne peut plus reposer sur la seule loi de libre concurrence, qui engendre trop souvent elle aussi une dictature économique. La liberté des échanges n’est équitable que soumise aux exigences de la justice sociale.

Mesures à prendre

60. Au reste, les pays développés l’ont eux-mêmes compris, qui s’efforcent de rétablir par des mesures appropriées, à l’intérieur de leur propre économie, un équilibre que la concurrence laissée à elle-même tend à compromettre. C’est ainsi qu’ils soutiennent souvent leur agriculture au prix de sacrifices imposés aux secteurs économiques plus favorisés. C’est ainsi encore que, pour soutenir les relations commerciales qui se développent entre eux, particulièrement à l’intérieur d’un marché commun, leur politique financière, fiscale et sociale s’efforce de redonner à des industries concurrentes inégalement prospères des chances comparables.

Conventions internationales

61. On ne saurait user ici de deux poids et deux mesures. Ce qui vaut en économie nationale, ce qu’on admet entre pays développés, vaut aussi dans les relations commerciales entre pays riches et pays pauvres. Sans abolir le marché de concurrence, il faut le maintenir dans des limites qui le rendent juste et moral, et donc humain. Dans le commerce entre économies développées et sous-développées, les situations sont trop disparates et les libertés réelles trop inégales. La justice sociale exige que le commerce international, pour être humain et moral, rétablisse entre partenaires au moins une certaine égalité de chances. Cette dernière est un but à long terme. Mais pour y parvenir il faut dès maintenant créer une réelle égalité dans les discussions et négociations. Ici encore des conventions internationales à rayon suffisamment vaste seraient utiles : elles poseraient des normes générales en vue de régulariser certains prix, de garantir certaines productions, de soutenir certaines industries naissantes. Qui ne voit qu’un tel effort commun vers plus de justice dans les relations commerciales entre les peuples apporterait aux pays en voie de développement une aide positive, dont les effets ne seraient pas seulement immédiats, mais durables ?

Obstacles à surmonter : nationalisme

62. D’autres obstacles encore s’opposent à la formation d’un monde plus juste et plus structuré dans une solidarité universelle : Nous voulons parler du nationalisme et du racisme. Il est naturel que des communautés récemment parvenues à leur indépendance politique soient jalouses d’une unité nationale encore fragile et s’efforcent de la protéger. Il est normal aussi que des nations de vieille culture soient fières du patrimoine que leur a livré leur histoire. Mais ces sentiments légitimes doivent être sublimés par la charité universelle qui englobe tous les membres de la famille humaine. Le nationalisme isole les peuples contre leur bien véritable. Il serait particulièrement nuisible là où la faiblesse des économies nationales exige au contraire la mise en commun des efforts, des connaissances et des moyens financiers, pour réaliser les programmes de développement et accroître les échanges commerciaux et culturels.

Racisme

63. Le racisme n’est pas l’apanage exclusif des jeunes nations, où il se dissimule parfois sous les rivalités de clans et de partis politiques, au grand préjudice de la justice et au péril de la paix civile. Durant l’ère coloniale il a sévi souvent entre colores et indigènes, mettant obstacle à une féconde intelligence mutuelle et provoquant beaucoup de rancœurs à la suite de réelles injustices. Il est encore un obstacle à la collaboration entre nations défavorisées et un ferment de division et de haine au sein même des États quand, au mépris des droits imprescriptibles de la personne humaine, individus et familles se voient injustement soumis à un régime d’exception, en raison de leur race ou de leur couleur.

Vers un monde solidaire

64. Une telle situation, si lourde de menaces pour l’avenir, Nous afflige profondément. Nous gardons cependant espoir : un besoin plus senti de collaboration, un sens plus aigu de la solidarité finiront par l’emporter sur les incompréhensions et les égoïsmes. Nous espérons que les pays dont le développement est moins avancé sauront profiter de leur voisinage pour organiser entre eux, sur des aires territoriales élargies, des zones de développement concerté : établir des programmes communs, coordonner les investissements, répartir les possibilités de production, organiser les échanges. Nous espérons aussi que les organisations multilatérales et internationales trouveront, par une réorganisation nécessaire, les voies qui permettront aux peuples encore sous-développés de sortir des impasses où ils semblent enfermés et de découvrir en eux-mêmes, dans la fidélité à leur génie propre, les moyens de leur progrès social et humain.

Peuples artisans de leur destin

65. Car c’est là qu’il faut en venir. La solidarité mondiale, toujours plus efficiente, doit permettre à tous les peuples de devenir eux-mêmes les artisans de leur destin. Le passé a été trop souvent marqué par des rapports de force entre nations : vienne le jour où les relations internationales seront marquées au coin du respect mutuel et de l’amitié, de l’interdépendance dans la collaboration, et de la promotion commune sous la responsabilité de chacun. Les peuples plus jeunes ou plus faibles demandent leur part active dans la construction d’un monde meilleur, plus respectueux des droits et de la vocation de chacun. Cet appel est légitime : à chacun de l’entendre et d’y répondre.

3. LA CHARITÉ UNIVERSELLE

66. Le monde est malade. Son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou leur accaparement par quelques-uns, que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples.

Devoir d’accueil

67. Nous ne saurions trop insister sur le devoir d’accueil - devoir de solidarité humaine et de charité chrétienne - qui incombe soit aux familles, soit aux organisations culturelles des pays hospitaliers. Il faut, surtout pour les jeunes, multiplier les foyers et les maisons d’accueil. Cela d’abord en vue de les protéger contre la solitude, le sentiment d’abandon, la détresse, qui brisent tout ressort moral. Aussi, pour les défendre contre la situation malsaine où ils se trouvent, forcés de comparer l’extrême pauvreté de leur patrie avec le luxe et le gaspillage qui souvent les entourent. Encore, pour les mettre à l’abri des doctrines subversives et des tentations agressives qui les assaillent, au souvenir de tant de "misère imméritée" (58). Enfin surtout en vue de leur apporter, avec la chaleur d’un accueil fraternel, l’exemple d’une vie saine, l’estime de la charité chrétienne authentique et efficace, l’estime des valeurs spirituelles.

Drames de jeunes étudiants

68. Il est douloureux de le penser : de nombreux jeunes, venus dans des pays plus avancés pour recevoir la science, la compétence et la culture qui les rendront plus aptes à servir leur patrie, y acquièrent certes une formation de haute qualité, mais y perdent trop souvent l’estime des valeurs spirituelles qui se rencontraient souvent, comme un précieux patrimoine, dans les civilisations qui les avaient vu grandir.

Travailleurs émigrés

69. Le même accueil est dû aux travailleurs émigrés qui vivent dans des conditions souvent inhumaines, en épargnant sur leur salaire pour soulager un peu leur famille demeurée dans la misère sur le sol natal.

Sens social

70. Notre seconde recommandation est pour ceux que leurs affaires appellent en pays récemment ouverts à l’industrialisation : industriels, commerçants, chefs ou représentants de plus grandes entreprises. Il arrive qu’ils ne soient pas dépourvus de sens social dans leur propre pays : pourquoi reviendraient-ils aux principes inhumains de l’individualisme quand ils opèrent en pays moins développés ? Leur situation supérieure doit au contraire les inciter à se faire les initiateurs du progrès social et de la promotion humaine, là où leurs affaires les appellent. Leur sens même de l’organisation devrait leur suggérer les moyens de valoriser le travail indigène, de former des ouvriers qualifiés, de préparer des ingénieurs et des cadres de laisser place à leur initiative, de les introduire progressivement dans les postes plus élevés, les préparant ainsi à partager avec eux dans un avenir rapproché, les responsabilités de la direction. Que, du moins, la justice règle toujours les relations entre chefs et subordonnés. Que des contrats réguliers aux obligations réciproques les régissent. Que nul enfin, quelle que soit sa situation, ne demeure injustement soumis à l’arbitraire.

Missions de développement

71. De plus en plus nombreux, Nous Nous en réjouissons, sont les experts envoyés en mission de développement par des institutions internationales ou bilatérales ou des organismes privés : "ils ne doivent pas se conduire en maîtres, mais en assistants et collaborateurs" (59). Une population perçoit vite si ceux qui viennent à son aide le font avec ou sans affection, pour appliquer des techniques ou pour donner à l’homme toute sa valeur. Leur message est exposé ä n’être point accueilli, s’il n’est comme enveloppé d’amour fraternel.

Qualités des experts

72. A la compétence technique nécessaire, il faut donc joindre les marques authentiques d’un amour désintéressé. Affranchis de toute superbe nationaliste comme de toute apparence de racisme, les experts doivent apprendre à travailler en étroite collaboration avec tous. Ils savent que leur compétence ne leur confère pas une supériorité dans tous les domaines. La civilisation qui les a formés contient certes des éléments d’humanisme universel, mais elle n’est ni unique ni exclusive, et ne peut être importée sans adaptation. Les agents de ces missions auront à cœur de découvrir, avec son histoire, les composantes et les richesses culturelles du pays qui les accueille. Un rapprochement s’établira qui fécondera l’une et l’autre civilisation.

Dialogue des civilisations

73. Entre les civilisations comme entre les personnes, un dialogue sincère est, en effet, créateur de fraternité. L’entreprise du développement rapprochera les peuples dans les réalisations poursuivies d’un commun effort si tous, depuis les gouvernements et leurs représentants jusqu’au plus humble expert, sont animés d’un amour fraternel et mus par le désir sincère de construire une civilisation de solidarité mondiale. Un dialogue centré sur !’homme, et non sur les denrées ou les techniques, s’ouvrira alors. Il sera fécond s’il apporte aux peuples qui en bénéficient les moyens de s’élever et de se spiritualiser ; si les techniciens se font éducateurs et si l’enseignement donné est marqué par une qualité spirituelle et morale si élevée qu’il garantisse un développement non seulement économique, mais humain. Passée l’assistance, les relations ainsi établies dureront. Qui ne voit de quel poids elles seront pour la paix du monde ?

Appel aux jeunes

74. Beaucoup de jeunes ont déjà répondu avec ardeur et empressement à l’appel de Pie XII pour un laïcat missionnaire (60). Nombreux sont aussi ceux qui se sont spontanément mis à la disposition d’organismes, officiels ou privés, de collaboration avec les peuples en voie de développement. Nous Nous réjouissons d’apprendre que, dans certaines nations, le "service militaire" peut devenir en partie un "service social", un "service tout court". Nous bénissons ces initiatives et les bonnes volontés qui y répondent. Puissent tous ceux qui se réclament du Christ entendre son appel : "J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir" (61). Personne ne peut demeurer indifférent au sort de ses frères encore plongés dans la misère, en proie à l’ignorance, victimes de l’insécurité. Comme le cœur du Christ, le cœur du chrétien doit compatir à cette misère : "J’ai pitié de cette foule" (62).

Prière et action

75. La prière de tous doit monter avec ferveur vers le Tout-Puissant, pour que l’humanité, ayant pris conscience de si grands maux, s’applique avec intelligence et fermeté à les abolir. A cette prière doit correspondre l’engagement résolu de chacun, à la mesure de ses forces et de ses possibilités, dans la lutte contre le sous-développement. Puissent les personnes, les groupes sociaux et les nations se donner la main fraternellement, le fort aidant le faible à grandir, y mettant toute sa compétence, son enthousiasme et son amour désintéressé. Plus que quiconque, celui qui est animé d’une vraie charité est ingénieux à découvrir les causes de la misère, à trouver les moyens de la combattre, à la vaincre résolument. Faiseur de paix, "il poursuivra son chemin, allumant la joie et versant la lumière et la grâce au cœur des hommes sur toute la surface de la terre, en faisant découvrir, par-delà toutes les frontières, des visages de frères, des visages d’amis" (63).

LE DÉVELOPPEMENT EST LE NOUVEAU NOM DE LA PAIX

76. Les disparités économiques, sociales et culturelles trop grandes entre peuples provoquent tensions et discordes, et mettent la paix en péril. Comme Nous le disions aux Pères conciliaires au retour de notre voyage de paix à 1’O. N. U. : "La condition des populations en voie de développement doit être l’objet de notre considération, disons mieux, notre charité pour les pauvres qui sont dans le monde — et ils sont légions infinies - doit devenir plus attentive, plus active, plus généreuse" (64). Combattre la misère et lutter contre l’injustice, c’est promouvoir, avec le mieux-être, le progrès humain et spirituel de tous, et donc le bien commun de l’humanité. La paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes (65).

Sortir de l’isolement

77. Ouvriers de leur propre développement, les peuples en sont les premiers, responsables. Mais ils ne le réaliseront pas dans l’isolement. Des accords régionaux entre peuples faibles pour se soutenir mutuellement, des ententes plus amples pour leur venir en aide, des conventions plus ambitieuses entre les uns et les autres pour établir des programmes concertés sont les jalons de ce chemin du développement qui conduit à paix.

Vers une autorité mondiale efficace

78. Cette collaboration internationale à vocation mondiale requiert des institutions qui la préparent, la coordonnent et la régissent, jusqu’à constituer un ordre universellement reconnu. De tout cœur, Nous encourageons les organisations qui ont pris en main cette collaboration au développement, et souhaitons que leur autorité s’accroisse. "Votre vocation, disions-Nous aux représentants des Nations unies à New York, est de faire fraterniser, non pas quelques-uns des peuples, mais tous les peuples [...]. Qui ne voit la nécessité d’arriver ainsi progressivement à instaurer une autorité mondiale en mesure d’agir efficacement sur le plan juridique et politique ?"( 66 ).

Espoir fondé en un monde meilleur

79. Certains estimeront utopiques de telles espérances. Il se pourrait que leur réalisme fût en défaut et qu’ils n’aient pas perçu le dynamisme d’un monde qui veut vivre plus fraternellement, et qui, malgré ses ignorances, ses erreurs, ses péchés même, ses rechutes en barbarie et ses longues divagations hors de la voie du salut, se rapproche lentement, même sans s’en rendre compte, de son Créateur. Cette voie vers plus d’humanité demande effort et sacrifice, mais la souffrance même, acceptée par amour pour nos frères, est porteuse de progrès pour toute la famille humaine. Les chrétiens savent que l’union au sacrifice du Sauveur contribue à l’édification du Corps du Christ dans sa plénitude : le peuple de Dieu rassemblé (67).

Tous solidaires

80. Dans ce cheminement, Nous sommes tous solidaires. A tous, Nous avons voulu rappeler l’ampleur du drame et l’urgence de l’œuvre à accomplir. L’heure de l’action a maintenant sonné : la survie de tant d’enfants innocents, l’accès à une condition humaine de tant de familles malheureuses, la paix du monde, l’avenir de la civilisation sont en jeu. A tous les hommes et à tous les peuples de prendre leurs responsabilités.


Accueil | Version Mobile | Faire un don | Contact | Qui sommes nous ? | Plan du site | Information légales