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 - 28 mars 2024 - Saint Gontran
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Redemptoris Mater

Deuxième Partie - la mère de Dieu au centre de l’Eglise en marche

1. L’Eglise, Peuple de Dieu présent dans toutes les nations de la terre

25. « L’Eglise "avance dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu" 52, annonçant la Croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne (cf. 1 Co 11, 26 » 53. « Tout comme l’Israel selon la chair cheminant dans le désert reçoit déjà le nom d’Eglise de Dieu (cf. 2 Esd 13, 1 ; Nb 20, 4 ; Dt 23, 1 ss.), ainsi le nouvel Israël ... est appelé lui aussi l’Eglise du Christ (cf. Mt 16,18) : c’est le Christ, en effet, qui l’a acheté de son sang (cf. Ac 20,28), empli de son Esprit et pourvu des moyens adaptés pour son unité visible et sociale. L’ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus, auteur du salut, principe d’unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Eglise, pour qu’elle soit, aux yeux de tous et de chacun le sacrement visible de cette unité salvifique » 54.

Le Concile Vatican II parle de l’Eglise en marche, établissant une analogie avec l’Israël de l’Ancienne Alliance en marche à travers le désert. Le pèlerinage garde encore un caractère extérieur, visible dans le temps et dans l’espace où il est historiquement réalisé. L’Eglise est destinée, en effet, « à s’étendre à toutes les parties du monde, elle prend place dans l’histoire humaine, bien qu’elle soit en même temps transcendante aux limites des peuples dans le temps et dans l’espace » 55. Cependant le caractère essentiel de son pèlerinage est intérieur : il s’agit d’un pèlerinage par la foi, « par la vertu du Seigneur ressuscité » 56, un pèlerinage dans l’Esprit Saint donné à l’Eglise comme le Consolateur invisible (paraklètos) (cf. Jn 14,26 ; 15, 26 ; 16, 7). « Marchant à travers les tentations, les tribulations, l’Eglise est soutenue par la vertu de la grâce de Dieu, à elle promise par le Seigneur pour que ... elle se renouvelle sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la Croix, elle arrive à la lumière sans couchant » 57.

C’est justement dans ce cheminement, ce pèlerinage ecclésial à travers l’espace et le temps, et plus encore à travers l’histoire des âmes, que Marie est présente, comme celle qui est « heureuse parce qu’elle a cru », comme celle qui avançait dans le pèlerinage de la foi, participant comme aucune autre créature au mystère du Christ. Le Concile dit encore que, « intimement présente ... à l’histoire du salut, Marie rassemble et reflète en elle-même d’une certaine façon les requêtes suprêmes de la foi » 58. Au milieu de tous les croyants, elle est comme un « miroir » dans lequel se reflètent « les merveilles de Dieu » (Ac 2,11) de la manière la plus profonde et la plus limpide.

26. L’Eglise, établie par le Christ sur le fondement des Apôtres, a pris une pleine conscience de ces merveilles de Dieu le jour de la Pentecôte, lorsque ceux qui étaient rassemblés dans le Cénacle « furent tous remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Ac 2,4). A ce moment commence aussi le cheminement de la foi, le pèlerinage de l’Eglise à travers l’histoire des hommes et des peuples. On sait qu’au début de ce cheminement Marie est présente, nous la voyons au milieu des Apôtres dans le Cénacle « appelant de ses prières le don de l’Esprit » 59.

Son cheminement de foi est, en un sens, plus long. L’Esprit Saint est déjà descendu sur elle ; elle est devenue son épouse fidèle à l’Annonciation, elle accueille le Verbe du vrai Dieu et rend « "un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle" dans un assentiment volontaire à la révélation qu’il fait », et même s’en remet tout entière à Dieu par « l’obéissance de la foi » 60, ce pourquoi elle répond à l’ange : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole ! ». L’itinéraire de la foi de Marie, que nous voyons en prière au Cénacle, est donc plus long que celui des autres rassemblés là : Marie les « précède », « occupe la première place » 61. Le moment de la Pentecôte à Jérusalem a été préparé par la Croix mais aussi par le moment de l’Annonciation à Nazareth. Au Cénacle, l’itinéraire de Marie croise le cheminement de l’Eglise dans la foi. De quelle manière ?

Parmi ceux qui étaient assidus à la prière au Cénacle, se préparant à aller « dans le monde entier » après avoir reçu l’Esprit Saint, certains avaient, les uns après les autres, été appelés par Jésus depuis le début de sa mission en Israël. Onze d’entre eux avaient été établis comme Apôtres, et Jésus leur avait confié la mission qu’il avait lui-même reçue du Père : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21), avait-il dit aux Apôtres après la Résurrection. Et quarante jours plus tard, avant de retourner vers le Père, il avait ajouté : quand « l’Esprit Saint descendra sur vous, vous serez mes témoins... jusqu’aux extrémités de la terre » (cf. .Ac 1,8). Cette mission des Apôtres commence dès qu’ils sortent du Cénacle de Jérusalem. L’Eglise naît et grandit alors grâce au témoignage que Pierre et les autres Apôtres rendent au Christ crucifié et ressuscité (cf. Ac 2,31-34 ; 3, 15-18 ; 4, 10-12 ; 5, 30-32).

Marie n’a pas reçu directement cette mission apostolique. Elle n’était pas parmi ceux que Jésus envoya pour « faire des disciples de toutes les nations » (cf. Mt 28,19), lorsqu’il leur conféra cette mission. Mais elle était dans le Cénacle où les Apôtres se préparaient à assumer cette mission grâce à la venue de l’Esprit de Vérité : elle était avec eux. Au milieu d’eux, Marie était « assidue à la prière » en tant que « Mère de Jésus » (cf. Ac 1,13-14), c’est-à-dire du Christ crucifié et ressuscité. Et le premier noyau de ceux qui regardaient « avec la foi vers Jésus auteur du salut » 62 savait bien que Jésus était le Fils de Marie et qu’elle était sa Mère, et que, comme telle, elle était depuis le moment de la conception et de la naissance, un témoin unique du mystère de Jésus, de ce mystère qui s’était dévoilé et confirmé sous leurs yeux par la Croix et la Résurrection. Dès le premier moment, l’Eglise « regardait » donc Marie à travers Jésus, comme elle « regardait » Jésus à travers Marie. Celle-ci fut pour l’Eglise d’alors et de toujours un témoin unique des années de l’enfance de Jésus et de sa vie cachée à Nazareth, alors qu’« elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2,19 ; cf. Lc 2,51).

Mais dans l’Eglise d’alors et de toujours, Marie a été et demeure avant tout celle qui est « heureuse parce qu’elle a cru » : elle a cru la première. Dès le moment de l’Annonciation et de la conception, dès le moment de la Nativité dans la grotte de Bethléem, Marie, au long de son pèlerinage maternel dans la foi, suivait Jésus pas à pas. Elle le suivait au cours des années de sa vie cachée à Nazareth, elle le suivait aussi dans la période de l’éloignement apparent, lorsqu’il commença à « faire et enseigner » (cf. Ac 1,1) en Israël, elle le suivit surtout dans l’expérience tragique du Golgotha. Et maintenant, alors que Marie se trouve avec les Apôtres au Cénacle de Jérusalem à l’aube de l’Eglise, sa foi, née dans les paroles de l’Annonciation, reçoit sa confirmation. L’ange lui avait dit : « Tu concevras et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand... ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin ». Les événements récents du Calvaire avaient enveloppé de ténèbres cette promesse ; et pourtant, même au pied de la Croix, la foi de Marie n’avait pas défailli. Elle était encore celle qui, comme Abraham, « crut, espérant contre toute espérance » (Rm 4,18). Et voici qu’après la Résurrection, l’espérance avait dévoilé son véritable visage et la promesse avait commencé à devenir réalité. En effet, Jésus, avant de retourner vers le Père, avait dit aux Apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples... Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (cf. Mt 28,19. 20). Telles étaient les paroles de celui qui s’était révélé, par sa Résurrection, comme le vainqueur de la mort, comme le détenteur du règne qui « n’aura pas de fin » ainsi que l’ange l’avait annoncé.

27. A l’aube de l’Eglise, au commencement du long cheminement dans la foi qui s’ouvrait par la Pentecôte à Jérusalem, Marie était avec tous ceux qui constituaient le germe du « nouvel Israël ». Elle était présente au milieu d’eux comme un témoin exceptionnel du mystère du Christ. Et l’Eglise était assidue dans la prière avec elle et, en même temps, « la contemplait dans la lumière du Verbe fait homme ». Et il en serait toujours ainsi. En effet, quand l’Eglise « pénètre plus avant dans le mystère suprême de l’Incarnation », elle pense à la Mère du Christ avec une vénération et une piété profondes 63. Marie appartient au mystère du Christ inséparablement, et elle appartient aussi au mystère de l’Eglise dès le commencement, dès le jour de sa naissance. A la base de ce que l’Eglise est depuis le commencement, de ce qu’elle doit constamment devenir de génération en génération au milieu de toutes les nations de la terre, se trouve celle « qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1,45). Précisément cette foi de Marie, qui marque le commencement de l’Alliance nouvelle et éternelle de Dieu avec l’humanité en Jésus Christ, cette foi héroïque « précède » le témoignage apostolique de l’Eglise et demeure au cœur de l’Eglise, cachée comme un héritage spécial de la révélation de Dieu. Tous ceux qui participent à cet héritage mystérieux de génération en génération, acceptant le témoignage apostolique de l’Eglise, participent, en un sens, à la foi de Marie.

Les paroles d’Elisabeth, « heureuse celle qui a cru », continuent encore à suivre la Vierge à la Pentecôte ; elles la suivent d’âge en âge, partout où se répand la connaissance du mystère salvifique du Christ, par le témoignage apostolique et l’œuvre de l’Eglise. Ainsi s’accomplit la prophétie du Magnificat : « Tous les ages me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! » (Lc 1,48-49). En effet, de la connaissance du mystère du Christ découle la bénédiction de sa Mère, sous la forme d’une vénération spéciale pour la Théotokos. Mais dans cette vénération est toujours comprise la bénédiction de sa foi, car la Vierge de Nazareth est devenue bienheureuse surtout par cette foi, selon les paroles d’Elisabeth. Ceux qui à chaque génération accueillent avec foi le mystère du Christ, Verbe incarné et Rédempteur du monde, dans les différents peuples et nations de la terre, non seulement se tournent avec vénération vers Marie et recourent à elle avec confiance comme à sa Mère, mais ils cherchent dans sa foi un soutien pour leur foi. Et c’est précisément cette vive participation à la foi de Marie qui détermine sa présence particulière dans le pèlerinage de l’Eglise comme nouveau Peuple de Dieu sur toute la terre.

28. Comme le dit le Concile, « intimement présente à l’histoire du salut, Marie ... appelle les fidèles à son Fils et à son sacrifice, ainsi qu’à l’amour du Père, lorsqu’elle est l’objet de la prédication et de la vénération » 64. C’est pourquoi, en se fondant sur le témoignage apostolique de l’Eglise, en quelque manière, la foi de Marie devient constamment la foi du Peuple de Dieu en marche, des personnes et des communautés, des milieux et des assemblées, et finalement des différents groupes qui se trouvent dans l’Eglise. C’est une foi qui est transmise en même temps par la connaissance et par le cœur ; elle s’acquiert ou se renouvelle sans cesse par la prière. « C’est pourquoi, dans l’exercice de son apostolat, I’Eglise regarde à juste titre vers celle qui engendra le Christ, conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge précisément afin de naître et de grandir aussi par l’Eglise dans le cœur des fidèles » 65.

Aujourd’hui, alors que dans ce pèlerinage de la foi nous nous approchons du terme du second millénaire chrétien, l’Eglise, par l’enseignement du Concile Vatican II, attire l’attention sur ce qu’elle découvre en elle-même, « l’unique Peuple de Dieu présent à tous les peuples de la terre », et sur la vérité que tous les fidèles, même « dispersés à travers le monde, sont, dans l’Esprit Saint, en communion avec les autres » 66, au point de pouvoir dire que dans cette union se réalise en continuité le mystère de la Pentecôte. En même temps, les Apôtres et les disciples du Seigneur, dans toutes les nations de la terre, « sont assidus à la prière avec Marie, la mère de Jésus » (Ac 1,14). Constituant de génération en génération le « signe du Royaume » qui n’est pas de ce monde 67, ils ont aussi conscience de ce qu’au milieu de ce monde ils doivent se rassembler autour du Roi auquel les nations ont été données pour héritage (cf. Ps 2, 8), auquel le Père a donné « le trône de David, son père », afin qu’il « règne sur la maison de Jacob pour les siècles et que son règne n’ait pas de fin ».

En cette période de vigile, par la foi même qui l’a rendue bienheureuse, spécialement depuis le moment de l’Annonciation, Marie est présente dans la mission de l’Eglise, présente dans l’action de l’Eglise qui fait entrer dans le monde le Règne de son Fils 68. Cette présence de Marie connait de multiples modes d’expression à l’heure actuelle comme dans toute l’histoire de l’Eglise. Son action rayonne aussi de multiples manières : par la foi et la piété des fidèles individuellement, par les traditions des familles chrétiennes ou des « églises domestiques », des communautés paroissiales et missionnaires, des instituts religieux, des diocèses, par la force d’attraction et de rayonnement des grands sanctuaires où non seulement les individus ou les groupes locaux, mais parfois des nations et des continents entiers cherchent la rencontre avec la Mère du Seigneur, avec celle qui est bienheureuse parce qu’elle a cru, celle qui est la première parmi les croyants et pour cela est devenue Mère de l’Emmanuel. C’est là ce qu’évoque la Terre de Palestine, patrie spirituelle de tous les chrétiens, parce qu’elle est la patrie du Sauveur du monde et de sa Mère. C’est là ce qu’évoquent les innombrables sanctuaires que la foi chrétienne a élevés au cours des siècles à Rome et dans le monde entier. C’est là ce qu’évoquent des centres comme Guadalupe, Lourdes, Fatima et d’autres dispersés dans différents pays, parmi lesquels comment pourrais je ne pas rappeler celui de ma terre natale, Jasna Góra ? On pourrait parler peut-être d’une véritable « géographie » de la foi et de la piété mariale, qui comprend tous ces lieux de pèlerinage particulier du Peuple de Dieu à la recherche d’une rencontre avec la Mère de Dieu pour trouver, dans le rayonnement de la présence maternelle de « celle qui a cru », l’affermissement de sa propre foi. En effet, dans la foi de Marie, dès l’Annonciation et de manière achevée au pied de la Croixs s’est rouvert en l’homme l’espace intérieur dans lequel le Père éternel peut nous combler « de toutes sortes de bénédictions spirituelles » : l’espace « de l’Alliance nouvelle et éternelle » 69. Cet espace subsiste dans l’Eglise, qui est en Jésus Christ « un sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » 70.

Dans la foi que Marie professa à l’Annonciation comme « servante du Seigneur » et dans laquelle elle « précède » sans cesse le Peuple de Dieu en marche sur toute la terre, I’Eglise, « perpétuellement, tend à récapituler l’humanité entière... sous le Christ chef, dans l’unité de son Esprit » 71.

2. La marche de l’Eglise et l’unité de tous les chrétiens

29. « L’Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et l’action qui tendent à l’union paisible de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l’unique Pasteur » 72. La marche de l’Eglise, particulièrement à notre époque, est marquée par le signe de l’œcuménisme : les chrétiens cherchent les moyens de reconstruire l’unité que le Christ demanda au Père pour ses disciples à la veille de sa passion : « Afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21). L’unité des disciples du Christ est donc un signe marquant pour susciter la foi du monde, alors que leur division constitue un scandale 73.

Le mouvement œcuménique, par une conscience plus claire et plus répandue de ce qu’il y a urgence à parvenir à l’unité de tous les chrétiens, a connu dans l’Eglise catholique son expression la plus forte avec "œuvre du Concile Vatican II : il faut que les chrétiens approfondissent personnellement et dans chacune de leurs communautés l’« obéissance de la foi » dont Marie est l’exemple premier et le plus éclairant. Et « parce qu’elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage », « le saint Concile trouve une grande joie et consolation au fait que, parmi nos frères désunis, il n’en manque pas qui rendent à la Mère du Seigneur et Sauveur l’honneur qui lui est dû, chez les Orientaux en particulier » 74.

30. Les chrétiens savent que leur unité ne sera vraiment retrouvée que lorsqu’elle sera fondée sur l’unité de leur foi. Ils doivent surmonter des désaccords doctrinaux non négligeables au sujet du mystère et du ministère de l’Eglise et parfois aussi du rôle de Marie dans l’œuvre du salut 75. Les dialogues entrepris par l’Eglise catholique avec les Eglises et les Communautés ecclésiales d’Occident 76 convergent de plus en plus sur ces deux aspects inséparables du mystère du salut lui-même. Si le mystère du Verbe incarné nous fait entrevoir le mystère de la maternité divine et si, à son tour, la contemplation de la Mère de Dieu nous introduit dans une intelligence plus profonde du mystère de l’Incarnation, on doit en dire autant du mystère de l’Eglise et du rôle de Marie dans l’œuvre du salut. Approfondissant l’un et l’autre, éclairant l’un par l’autre, les chrétiens désireux de faire ce que Jésus leur dira -comme le leur recommande leur Mère (cf. Jn 2,5) -pourront progresser ensemble dans le « pèlerinage de la foi » dont Marie est toujours l’exemple et qui doit les conduire à l’unité voulue par leur unique Seigneur et tellement désirée par ceux qui sont attentivement à l’écoute de ce qu’aujourd’hui « l’Esprit dit aux Eglises » (Ap 2,7. ll. 17).

Il est déjà de bon augure que ces Eglises et ces Communautés ecclésiales rejoignent l’Eglise catholique sur des points fondamentaux de la foi chrétienne également en ce qui concerne la Vierge Marie. En effet, elles la reconnaissent comme la Mère du Seigneur et estiment que cela fait partie de notre foi dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme. Elles la contemplent au pied de la Croix, recevant comme son fils le disciple bien-aimé, qui à son tour la reçoit comme sa mère.

Pourquoi, alors, ne pas la considérer tous ensemble comme notre Mère commune qui prie pour l’unité de la famille de Dieu, et qui nous « précède » tous à la tête du long cortège des témoins de la foi en l’unique Seigneur, le Fils de Dieu, conçu dans son sein virginal par l’Esprit Saint ?

31. Par ailleurs, je voudrais souligner à quel point l’Eglise catholique, l’Eglise orthodoxe et les antiques Eglises orientales se sentent profondément unies dans l’amour et dans la louange de la Théotokos. Non seulement « les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne sur la Trinité, le Verbe de Dieu qui a pris chair de la Vierge Marie, ont été définis dans les Conciles œcuméniques tenus en Orient » 77, mais encore, dans leur culte liturgique « les Orientaux célèbrent en des hymnes magnifiques Marie toujours Vierge... et Très Sainte Mère de Dieu » 78.

Nos frères de ces Eglises ont connu des vicissitudes complexes, mais leur histoire a toujours été animée par un grand désir d’engagement chrétien et de rayonnement apostolique, même si elle a été marquée par des persécutions sanglantes. C’est une histoire de fidélité au Seigneur, un « pèlerinage de la foi » authentique à travers les lieux et les temps, au cours desquels les chrétiens orientaux se sont toujours tournés vers la Mère du Seigneur avec une confiance sans limite, ils l’ont célébrée par leurs louanges et l’ont invoquée par des prières constantes. Aux moments difficiles de leur existence chrétienne tourmentée, « ils se sont réfugiés sous sa protection » 79, conscients d’avoir en elle un puissant secours. Les Eglises qui professent la doctrine d’Ephèse proclament la Vierge « vraie Mère de Dieu », parce que « notre Seigneur Jésus Christ,... engendré du Père avant les siècles, selon la divinité, est né en ces derniers jours pour nous et pour notre salut, de Marie, la Vierge, Mère de Dieu, selon l’humanité » 80. Les Pères grecs et la tradition byzantine, contemplant la Vierge à la lumière du Verbe fait homme, ont cherché à pénétrer la profondeur du lien qui unit Marie, comme Mère de Dieu, au Christ et à l’Eglise : la Vierge a une présence permanente dans toute l’ampleur du mystère du salut.

Les traditions coptes et éthiopiennes sont entrées dans cette contemplation du mystère de Marie grâce à saint Cyrille d’Alexandrie et, à leur tour, elles ont célébré ce mystère par une abondante efflorescence poétique 81. Dans son génie poétique, saint Ephrem le Syrien, appelé « la lyre de l’Esprit Saint », a inlassablement composé des hymnes à Marie, laissant son empreinte aujourd’hui encore sur toute la tradition de l’Eglise syriaque 82. Dans son panégyrique de la Théotokos, saint Grégoire de Narek, une des gloires les plus éclatantes de l’Arménie, approfondit avec une puissante inspiration poétique les différents aspects du mystère de l’Incarnation, et chacun d’eux est pour lui une occasion de chanter et d’exalter la dignité extraordinaire et l’admirable beauté de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné 83.

Il n’est donc pas surprenant que Marie occupe une place privilégiée dans le culte des antiques Eglises orientales, avec une abondance incomparable de fêtes et d’hymnes.

32. Dans la liturgie byzantine, à toutes les heures de l’Office divin, la louange de la Mère est jointe à la louange du Fils et à la louange qui, par le Fils, s’élève vers le Père dans l’Esprit Saint. Dans l’anaphore ou prière eucharistique de saint Jean Chrysostome, aussitôt après l’épiclèse, la communauté rassemblée chante ainsi la Mère de Dieu : « Il est vraiment juste de te proclamer bienheureuse, ô Théotokos, bienheureuse toujours, tout immaculée et Mère de notre Dieu. Toi qui es plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins, toi qui sans souillure as engendré Dieu le Verbe, toi qui es réellement Mère de Dieu, nous te magnifions ».

Ces louanges qui, dans toutes les célébrations de la liturgie eucharistique, s’élèvent vers Marie, ont forgé la foi, la piété et la prière des fidèles. Au cours des siècles, elles ont pénétré toute leur spiritualité, suscitant en eux une dévotion profonde envers la « Toute Sainte Mère de Dieu ».

33. On célèbre cette année le douzième centenaire du IIe Concile œcuménique de Nicée 787, qui mit fin à la controverse sur le culte des images sacrées et déclara que, suivant l’enseignement des saints Pères et la tradition universelle de l’Eglise, on pouvait proposer à la venération des fidèles, en même temps que la Croix, les images de la Mère de Dieu, des Anges et des Saints, dans les églises, dans les maisons ou le long des rues 84. Cet usage a été conservé dans tout l’Orient et aussi en Occident : les images de la Vierge ont une place d’honneur dans les églises et les maisons. Marie y est représentée comme trône de Dieu, qui porte le Seigneur et le donne aux hommes (Théotokos), ou comme la voie qui conduit au Christ et le présente (Odigitria), ou comme orante qui intercède, et signe de la présence divine sur la route des fidèles jusqu’au Jour du Seigneur (Deèsis), ou comme la protectrice qui étend son manteau sur le peuple (Pokrov), ou comme la Vierge de tendresse miséricordieuse (Elèousa). On la représente habituellement avec son Fils, l’enfant Jésus, qu’elle porte dans ses bras : c’est la relation avec son Fils, lequel glorifie sa Mère. Parfois elle l’embrasse avec tendresse (Glykophilousa) ; en d’autres cas, hiératique, elle semble absorbée dans la contemplation de celui qui est Seigneur de l’histoire (cf. Ap 5,9-14) 85.

Il convient de rappeler encore l’icône de la Vierge de Vladimir qui a constamment accompagné le pèlerinage de foi des peuples de l’antique Rous. Le premier millénaire de la conversion au christianisme de ces terres nobles approche : terres de croyants, de penseurs et de saints. Les icônes sont toujours vénérées en Ukraine, en Biélorussie, en Russie, sous divers titres : ces images témoignent de la foi et de l’esprit de prière du bon peuple qui ressent la présence et la protection de la Mère de Dieu. Dans ces icônes, la Vierge resplendit comme l’image de la beauté divine, la demeure de la Sagesse éternelle, la figure de l’orante, le modèle de la contemplation, l’icône de la gloire : celle qui, dès sa vie terrestre, a atteint dans la foi la connaissance la plus sublime, car elle possédait une science spirituelle inaccessible aux raisonnements humains. Je rappelle encore l’icône de la Vierge au Cénacle, en prière avec les Apôtres dans l’attente de l’Esprit : ne pourrait-elle pas devenir comme le signe de l’espérance pour tous ceux qui, dans le dialogue fraternel, désirent approfondir leur obéissance dans la foi ?

34. Une telle richesse de louanges, rassemblée dans les différentes formes de la grande tradition de l’Eglise, pourrait nous aider à faire en sorte que celle-ci se remette à respirer pleinement de ses « deux poumons », oriental et occidental. Comme je l’ai affirmé maintes fois, cela est nécessaire aujourd’hui plus que jamais. Ce serait un soutien efficace pour faire progresser le dialogue en cours entre l’Eglise catholique et les Eglises et les Communautés ecclésiales d’Occident 86. Cela ouvrirait aussi la voie à l’Eglise en marche pour qu’elle chante et vive de manière plus parfaite son Magnificat.

3. Le « Magnificat » de l’Eglise en marche

35. Dans la phase actuelle de sa marche, l’Eglise cherche donc à retrouver l’unité de ceux qui professent la foi au Christ, afin de faire preuve d’obéissance à son Seigneur qui, avant sa passion, a prié pour cette unité. Elle « avance dans son pèlerinage..., annonçant la Croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » 87. « Marchant à travers les tentations, les tribulations, I’Eglise est soutenue par la force de la grâce de Dieu, à elle promise par le Seigneur pour que, du fait de son infirmité charnelle, elle ne manque pas à la perfection de sa fidélité mais reste de son Seigneur la digne Epouse, se renouvelant sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la Croix, elle arrive à la lumière sans couchant » 88.

La Vierge Mère est constamment présente dans ce cheminement de foi du Peuple de Dieu vers la lumière. Nous en avons pour témoignage particulier le cantique du « Magnificat » qui, jailli des profondeurs de la foi de Marie lors de la Visitation, ne cesse de résonner dans le coeur de l’Eglise à travers les siècles. Il est en effet répété quotidiennement dans la liturgie des Vêpres et dans bien d’autres actes de piété personnelle et communautaire.

« Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais, tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Son amour s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël, son serviteur,
il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1,46-55).

36. Quand Elisabeth salua sa jeune parente qui arrivait de Nazareth, Marie lui répondit par le Magnificat. En saluant Marie, Elisabeth avait commencé par l’appeler « bénie », à cause du « fruit de son sein », puis « bienheureuse » en raison de sa foi (cf. Lc 1,42. 45). Ces deux bénédictions se référaient directement au moment de l’Annonciation. Or, à la Visitation, lorsque la salutation d’Elisabeth rend témoignage à ce moment primordial, la foi de Marie devient encore plus consciente et trouve une nouvelle expression. Ce qui, lors de l’Annonciation, restait caché dans les profondeurs de l’« obéissance de la foi », se libère maintenant, dirait-on, comme une flamme claire, vivifiante, de l’esprit. Les expressions utilisées par Marie au seuil de la maison d’Elisabeth constituent une profession de foi inspirée, dans laquelle la réponse à la parole de la Révélation s’exprime par l’élévation spirituelle et poétique de tout son être vers Dieu. Dans ces expressions sublimes, qui sont à la fois très simples et pleinement inspirées par les textes sacrés du peuple d’Israël 89, transparaît l’expérience personnelle de Marie, l’extase de son cœur. En elles resplendit un rayon du mystère de Dieu, la gloire de sa sainteté ineffable, l’éternel amour qui, comme un don irrévocable, entre dans l ’ histoire de l’homme.

Marie est la première à participer à cette nouvelle révélation de Dieu et, en elle, à ce nouveau don que Dieu fait de lui-même. C’est pourquoi elle proclame : « Il a fait pour moi des merveilles ; Saint est son nom ». Ses paroles reflètent la joie de l’esprit, difficile à exprimer : « Exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ». Car « la profonde vérité ... sur Dieu et sur le salut de l’homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation » 90. Dans l’exultation de son cœur, Marie proclame qu’elle s’est trouvée au centre même de cette plénitude du Christ. En elle s’est accomplie, elle en a bien conscience, la promesse faite à nos pères, et avant tout « en faveur d’Abraham et de sa race, à jamais » ; et donc vers elle, comme Mère du Christ, s’oriente toute l’économie du salut, dans laquelle, « d’âge en âge », se manifeste le Dieu de l’Alliance, celui qui « se souvient de son amour ».

37. L’Eglise, qui depuis le commencement règle son cheminement terrestre sur celui de la Mère de Dieu, répète constamment à sa suite les paroles du Magnificat. Au plus profond de la foi de la Vierge à l’Annonciation et à la Visitation, elle puise la vérité sur le Dieu de l’Alliance, sur le Dieu qui est tout-puissant et fait « des merveilles » pour l’homme : « Saint est son nom ». Dans le Magnificat, elle voit écrasé jusqu’à la racine le péché situé au début de l’histoire terrestre de l’homme et de la femme, le péché d’incrédulité et du « peu de foi » envers Dieu. Contre le « soupçon » que le « père du mensonge » a fait naître dans le cœur d’Eve, la première femme, Marie, que la tradition a l’habitude d’appeler la « nouvelle Eve » 91, la vraie « mère des vivants » 92, proclame avec force la vérité non voilée sur Dieu, le Dieu saint et tout-puissant qui, depuis le commencement, est la source de tout don, celui qui « a fait des merveilles ». En créant, Dieu donne l’existence à toute la réalité. En créant l’homme, il lui donne la dignité de l’image et de la ressemblance avec lui d’une façon singulière par rapport à toutes les créatures terrestres. Et loin de s’arrêter dans sa volonté de libéralité, malgré le péché de l’homme, Dieu se donne en son Fils : il « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). Marie est le premier témoin de cette merveilleuse vérité, qui se réalisera pleinement par les actions et l’enseignement (cf. Ac 1,1) de son Fils, et définitivement par sa Croix et sa Résurrection.

L’Eglise, qui, malgré « les tentations et les tribulations », ne cesse de répéter avec Marie les paroles du Magnificat, « est soutenue » par la puissance de la vérité sur Dieu, proclamée alors avec une simplicité si extraordinaire, et, en même temps, par cette vérité sur Dieu, elle désire éclairer les chemins ardus et parfois entrecroisés de l’existence terrestre des hommes. La marche de l’Eglise, en cette fin du second millénaire du christianisme, implique donc un effort renouvelé de fidélité à sa mission. A la suite de celui qui a dit de lui-même : « [Dieu] m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (cf. Lc 4,18), l’Eglise s’est efforcée d’âge en âge et s’efforce encore aujourd’hui d’accomplir cette même mission.

Son amour préférentiel pour les pauvres est admirablement inscrit dans le Magnificat de Marie. Le Dieu de l’Alliance, chanté par la Vierge de Nazareth dans l’exultation de son esprit, est en même temps celui qui « renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles.... comble de biens les affamés, et renvoie les riches les mains vides..., disperse les superbes et étend son amour sur ceux qui le craignent ». Marie est profondément marquée par l’esprit des « pauvres de Yahvé » qui, selon la prière des psaumes, attendaient de Dieu leur salut et mettaient en lui toute leur confiance (cf. Ps 25 ; 31 ; 35 ; 55). Elle proclame en réalité l’avènement du mystère du salut, la venue du « Messie des pauvres » (cf. Is 11, 4 ; 61, 1). En puisant dans le cœur de Marie, dans la profondeur de sa foi exprimée par les paroles du Magnificat, l’Eglise prend toujours mieux conscience de ceci : on ne peut séparer la vérité sur Dieu qui sauve, sur Dieu qui est source de tout don, de la manifestation de son amour préférentiel pour les pauvres et les humbles, amour qui, chanté dans le Magnificat, se trouve ensuite exprimé dans les paroles et les actions de Jésus.

L’Eglise sait donc bien -et à notre époque, une telle certitude se renforce d’une manière particulière - que non seulement on ne peut séparer ces deux éléments du message contenu dans le Magnificat, mais que l’on doit également sauvegarder soigneusement l’importance qu’ont dans la parole du Dieu vivant « les pauvres » et « l’option en faveur des pauvres ». Il s’agit là de thèmes et de problèmes organiquement connexes avec le sens chrétien de la liberté et de la libération. « Totalement dépendante de Dieu et tout orientée vers Lui par l’élan de sa foi, Marie est, aux côtés de son Fils, I’icône la plus parfaite de la liberté et de la libération de l’humanité et du cosmos. C’est vers elle que l’Eglise, dont elle est la Mère et le modèle, doit regarder pour comprendre dans son intégralité le sens de sa mission » 93.


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