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 - 16 avril 2024 - Saint Benoît-Joseph Labre
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Redemptoris missio

Chapitre 5 : Les voies de la mission

41. « L’activité missionnaire n’est rien d’autre, elle n’est rien de moins que la manifestation du dessein de Dieu, son épiphanie et sa réalisation dans le monde et son histoire, dans laquelle Dieu conduit clairement à son terme, au moyen de la mission, l’histoire du salut »68. Quels sont les chemins suivis par l’Eglise pour arriver à ce résultat ?

La mission est une réalité globale, mais complexe, qui s’accomplit de différentes manières dont certaines ont une importance particulière dans la situation actuelle de l’Eglise et du monde.

La première forme d’évangélisation est le témoignage

42. L’homme contemporain croit plus les témoins que les maitres69, l’expérience que la doctrine, la vie et les faits que les théories. Première forme de la mission, le témoignage de la vie chrétienne est aussi irremplaçable. Le Christ, dont nous continuons la mission, est le « témoin » par excellence (cf. Ap 1,5 ; 3, 14) et le modèle du témoignage chrétien. L’Esprit Saint accompagne l’Eglise dans son cheminement et l’associe au témoignage qu’Il rend au Christ (cf. Jn 15,26-27).

La première forme de témoignage est la vie même du missionnaire, de la famille chrétienne et de la communauté ecclésiale, qui rend visible un nouveau mode de comportement. Le missionnaire qui, malgré toutes ses limites et ses imperfections humaines, vit avec simplicité à l’exemple du Christ est un signe de Dieu et des réalités transcendantes. Mais tous dans l’Eglise, en s’efforçant d’imiter le divin Maitre, peuvent et doivent donner ce témoignage70 ; dans bien des cas, c’est la seule façon possible d’être missionnaire.

Le témoignage évangélique auquel le monde est le plus sensible est celui de l’attention aux personnes et de la charité envers les pauvres, les petits et ceux qui souffrent. La gratuité de cette attitude et de ces actions, qui contrastent profondément avec l’égoïsme présent en l’homme, suscite des interrogations précises qui orientent vers Dieu et vers l’Evangile. De même, l’engagement pour la paix, la justice, les droits de l’homme, la promotion de la personne humaine est un témoignage évangélique dans la mesure où il est une marque d’attention aux personnes et où il tend vers le développement intégral de l’homme71.

43. Les chrétiens et les communautés chrétiennes sont profondément intégrés à la vie de leurs peuples, et ils sont des signes évangéliques par la fidélité à leur patrie, à leur peuple, à leur culture nationale, tout en gardant la liberté que le Christ leur a acquise. Le christianisme est ouvert à la fraternité universelle, parce que tous les hommes sont fils du même Père et frères dans le Christ.

L’Eglise est appelée à rendre son témoignage au Christ en prenant des positions courageuses et prophétiques face à la corruption du pouvoir politique ou économique ; en ne recherchant ni la gloire ni les biens matériels ; en utilisant ce qu’elle possède pour servir les plus pauvres, et en imitant la simplicité de la vie du Christ. L’Eglise et les missionnaires doivent donner également le témoignage de l’humilité, d’abord envers eux-mêmes, en devenant capables d’un examen de conscience au niveau personnel et communautaire, afin de corriger dans leurs comportements ce qui s’oppose à l’Evangile et défigure le visage du Christ.

La première annonce du Christ Sauveur

44. L’annonce a, en permanence, la priorité dans la mission. L’Eglise ne peut se soustraire au mandat explicite du Christ, elle ne peut pas priver les hommes de la Bonne Nouvelle qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés par lui. « L’évangélisation contiendra aussi toujours - base, centre et sommet à la fois de son dynamisme - une claire proclamation que, en Jésus Christ ...], le salut est offert à tout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu »72. Toutes les formes de l’activité missionnaire tendent à cette proclamation qui révèle et introduit dans le mystère caché depuis les siècles et dévoilé dans le Christ (cf. Ep 3,3-9 ; Col 1,25-29), mystère qui est au cœur de la mission et de la vie de l’Eglise, et qui forme le pivot de toute l’évangélisation.

Dans la réalité complexe de la mission, la première annonce a un rôle central et irremplaçable parce qu’elle introduit « dans le mystère de l’amour de Dieu, qui appelle à nouer des rapports personnels avec lui dans le Christ »73 et qu’elle ouvre la voie à la conversion. La foi naît de l’annonce et toute communauté ecclésiale tire son origine et sa vie de la réponse personnelle de chaque fidèle à cette annonce74. De même que l’économie du salut est centrée sur le Christ, de même l’activité missionnaire tend à la proclamation de son mystère.

L’annonce a pour objet le Christ crucifié, mort et ressuscité : en lui s’accomplit la pleine et authentique libération du mal, du péché et de la mort ; en lui, Dieu donne la « vie nouvelle », divine et éternelle. Telle est la Bonne Nouvelle qui transforme l’homme et l’histoire de l’humanité et que tous les peuples ont le droit de connaître. Cette annonce doit être faite dans le contexte de la vie de l’homme et des peuples qui la reçoivent. Elle doit également être faite avec une attitude d’amour et d’estime envers celui qui écoute, dans un langage concret et adapté aux circonstances. Dans cette annonce, l’Esprit est à l’œuvre et instaure une communion entre le missionnaire et les auditeurs, ce qui est possible dans la mesure où ils communient entre eux, par le Christ, avec le Père75.

45. L’annonce n’est jamais une action personnelle, car elle est faite en union avec toute la communauté ecclésiale. Le missionnaire est présent et agit en vertu d’un mandat reçu et, même s’il est seul, il est rattaché par des liens invisibles mais profonds à l’activité évangélisatrice de toute l’Eglise76. Tôt ou tard, les auditeurs entrevoient derrière lui la communauté qui l’a envoyé et le soutient.

L’annonce est animée par la foi, qui donne au missionnaire de l’enthousiasme et de la ferveur. Pour définir cette attitude, comme on l’a déjà dit, les Actes emploient le terme parrhesia qui signifie parler avec hardiesse et courage ; ce terme se trouve dans saint Paul : « Notre Dieu nous a accordé de prêcher en toute hardiesse devant vous l’Evangile de Dieu, au milieu d’une lutte pénible » (1 Th 2,2). « Priez aussi pour moi, afin qu’il me soit donné d’ouvrir la bouche pour parler et d’annoncer hardiment le Mystère de l’Evangile, dont je suis l’ambassadeur dans mes chaînes obtenez-moi la hardiesse d’en parler comme je le dois » (Ep 6,19-20).

Dans l’annonce du Christ aux non-chrétiens, le missionnaire est convaincu qu’il existe déjà, tant chez les individus que chez les peuples, grâce à l’action de l’Esprit, une attente, même inconsciente, de connaître la vérité sur Dieu, sur l’homme, sur la voie qui mène à la libération du péché et de la mort. L’enthousiasme à annoncer le Christ vient de la conviction que l’on répond à cette attente ; c’est pourquoi le missionnaire ne se décourage pas ni ne renonce à son témoignage, même s’il est appelé à manifester sa foi dans un milieu hostile ou indifférent. Il sait que l’Esprit du Père parle en lui (cf. Mt 10,17-20 ; Lc 12,11-12) et il peut redire avec les Apôtres : « Nous sommes témoins de ces choses, nous et l’Esprit Saint » (Ac 5,32). Il sait qu’il n’annonce pas une vérité humaine, mais la « Parole de Dieu », qui a une puissance intrinsèque et mystérieuse (cf. Rm 1,16).

La preuve suprême est le don de la vie jusqu’à l’acceptation de la mort pour témoigner de la foi au Christ. Comme toujours dans l’histoire chrétienne, les « martyrs », c’est-à-dire les témoins, sont nombreux et ils sont indispensables à la marche de l’Evangile. A notre époque aussi, il en est beaucoup : évêques, prêtres, religieux et religieuses, laïcs, parfois héros inconnus, qui donnent leur vie en témoignage de la foi. Ce sont eux les messagers et les témoins par excellence.

Conversion et baptême

46. L’annonce de la Parole de Dieu est ordonnée à laconversion chrétienne, c’est-à-dire à l’adhésion pleine et sincère au Christ et à son Evangile par la foi. La conversion est un don de Dieu, une action de la Trinité : c’est l’Esprit qui ouvre les portes des cœurs afin que les hommes puissent croire au Seigneur et « le confesser » (1 Co 12, 3). De celui qui s’approche de lui par la foi, Jésus dit : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44).

La conversion s’exprime dès le début par une foi totale et radicale qui ne pose ni limites ni délais au don de Dieu. En même temps, elle déclenche un processus dynamique et permanent pour l’existence entière, exigeant un passage continu de la « vie selon la chair » à la « vie selon l’Esprit » (cf. Rm 8,3-13). La conversion signifie que l’on accepte, par une décision personnelle, la seigneurie salvifique du Christ et que l’on devient son disciple.

L’Eglise appelle tout le monde à cette conversion, à l’exemple de Jean-Baptiste qui préparait les chemins du Seigneur en « proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés » (Mc 1,4), et à l’exemple du Christ lui-même qui, « après que Jean eut été livré, vint en Galilée, proclamant l’Evangile de Dieu et disant : "Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche ; convertissez-vous et croyez à l’Evangile" » (Mc 1,14-15).

Aujourd’hui, l’appel à la conversion que les missionnaires adressent aux non-chrétiens est mis en question ou passé sous silence. On y voit un acte de « prosélytisme » ; on dit qu’il suffit d’aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur religion, qu’il suffit d’édifier des communautés capables d’œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. Mais on oublie que toute personne a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. La grandeur de cet événement est mise en relief par les paroles de Jésus à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu », comme aussi par le désir inconscient mais ardent de la femme : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif » (Jn 4,10. 15).

47. Les Apôtres, poussés par l’Esprit Saint, invitaient tous les hommes à changer de vie, à se convertir et à recevoir le baptême. Aussitôt après l’événement de la Pentecôte, Pierre s’adressa à la foule de manière convaincante : « D’entendre cela, ils eurent le cœur transpercé et ils dirent à Pierre et aux Apôtres : "Frères, que devons-nous faire ?". Pierre leur répondit : "Convertissez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit" » (Ac 2,37-38). Et il baptisa en ce jour environ trois mille personnes. Pierre encore, après la guérison de l’impotent parla à la foule et répéta : « Convertissez-vous donc et revenez à Dieu afin que vos péchés soient effacés ! » (Ac 3,19).

La conversion au Christ est liée au baptême, non seulement dans la pratique de l’Eglise mais parce que c’est la volonté du Christ, qui a demandé de faire des disciples de toutes les nations et de les baptiser (cf. Mt 28,19), et aussi en raison de l’exigence intrinsèque de recevoir la plénitude de la vie en lui : « En vérité, en vérité, je te le dis - déclare Jésus à Nicodème -, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3,5). Le baptême en effet nous fait naître à la vie d’enfants de Dieu ; il nous unit à Jésus Christ ; il nous confère l’onction dans l’Esprit Saint. Le baptême n’est pas seulement le sceau de la conversion, un signe extérieur qui la fait voir et l’atteste, c’est le sacrement qui signifie et opère cette nouvelle naissance dans l’Esprit crée des liens réels et indissolubles avec la Trinité, rend membres du Corps du Christ qui est l’Eglise.

Il faut rappeler tout cela, car certains, précisément là où s’exerce la mission ad gentes, tendent à dissocier la conversion au Christ et le baptême, jugeant que celui-ci n’est pas nécessaire. Il est vrai que, dans tel ou tel milieu, on observe des conditionnements sociologiques du baptême qui en obscurcissent la véritable signification de foi. Divers facteurs historiques et culturels en sont la cause : il faut les faire disparaître là où ils subsistent encore, afin que le sacrement de la régénération spirituelle apparaisse dans toute sa valeur ; c’est le devoir des communautés ecclésiales locales de s’y employer. Il est vrai également qu’un certain nombre de personnes déclarent avoir intérieurement donné leur foi au Christ et à son message, sans pour autant vouloir s’engager sacramentellement parce que, à cause de leurs préjugés et des fautes des chrétiens elles ne parviennent pas à percevoir la vraie nature de l’Eglise, mystère de foi et d’amour77. Je voudrais encourager ces personnes à s’ouvrir pleinement au Christ, en leur rappelant que si elles se sentent attirées par le Christ, c’est lui qui a voulu l’Eglise comme le « lieu » où elles peuvent effectivement le rencontrer. En même temps, j’invite les fidèles et les communautés chrétiennes à témoigner authentiquement du Christ par leur vie nouvelle.

Certes, tout converti est un don fait à l’Eglise et représente pour elle une grave responsabilité, non seulement parce qu’il faut le préparer au baptême par le catéchuménat et poursuivre ensuite son instruction religieuse, mais parce que, surtout s’il s’agit d’un adulte, il apporte une sorte d’énergie nouvelle, l’enthousiasme de la foi, le désir de trouver dans l’Eglise même l’Evangile vécu. Il serait deçu si, une fois entré dans la communauté ecclésiale, il y trouvait une vie sans ferveur et sans signe de renouvellement. Nous ne pouvons pas prêcher la conversion sans nous convertir nous-mêmes chaque jour.

Fondation d’Eglises locales

48. La conversion et le baptême introduisent dans l’Eglise, là où elle existe déjà, ou entraînent la constitution de nouvelles communautés qui proclament que Jésus est Sauveur et Seigneur. Cela fait partie du dessein de Dieu, à qui il a plu « d’appeler les hommes à participer à sa vie non pas seulement individuellement sans aucun lien les uns avec les autres, mais de les constituer en un peuple dans lequel ses enfants, qui étaient dispersés, seraient rassemblés dans l’unité »78.

La mission ad gentes a comme objectif de fonder des communautés chrétiennes, d’amener des Eglises à leur pleine maturité. C’est le but premier et spécifique de l’activité missionnaire et on ne peut pas dire qu’il soit atteint tant qu’on n’a pas réussi à édifier une nouvelle Eglise particulière vivant normalement dans son cadre naturel. Le décret Ad gentes parle amplement de cela79 et, après le Concile, on a assisté au développement d’un courant théologique soulignant que tout le mystère de l’Eglise est contenu dans chaque Eglise particulière, à condition que celle-ci ne s’isole pas mais demeure en communion avec l’Eglise universelle et devienne, à son tour, missionnaire. Il s’agit là d’une œuvre importante et de longue haleine dont il est difficile de préciser les étapes où prend fin l’action proprement missionnaire et où l’on passe à l’activité pastorale. Mais certains points doivent rester clairs.

49. Avant tout, il est nécessaire de chercher à établir partout des communautés chrétiennes qui soient des « signes de la présence de Dieu dans le monde »80 et qui croissent jusqu’à devenir des Eglises. Malgré le grand nombre des diocèses, il y a encore de vastes zones où les Eglises locales sont entièrement absentes ou insuffisantes, compte tenu de la grande étendue du territoire ainsi que de la densité de la population. Un important travail d’implantation et de développement de l’Eglise reste à faire. Cette phase de l’histoire ecclésiale, qu’on appelle plantatio Ecclesiae, n’est pas terminée, au contraire elle est encore à entreprendre dans bien des groupements humains.

La responsabilité de cette tâche incombe à l’Eglise universelle et aux Eglises particulières, à tout le Peuple de Dieu et à toutes les forces missionnaires. Toute Eglise, même si elle n’est composée que de nouveaux convertis, est missionnaire par sa nature ; elle est évangélisée et évangélisatrice. La foi doit toujours être présentée comme don de Dieu qu’il faut vivre en communauté (familles, paroisses, associations) et qui doit rayonner à l’extérieur par le témoignage de la vie et celui de la parole. L’action évangélisatrice de la communauté chrétienne, d’abord sur son territoire et ensuite ailleurs comme participation à la mission universelle, est le signe le plus clair de la maturité de la foi. Il faut convertir radicalement son état d’esprit pour devenir missionnaire, et cela vaut pour les personnes comme pour les communautés. Le Seigneur appelle toujours à sortir de soi-même, à partager avec les autres les biens que nous avons, en commençant par le plus précieux, celui de la foi. C’est à la lumière de cet impératif missionnaire qu’on devra apprécier la valeur des organismes, des mouvements, des paroisses et des œuvres d’apostolat de l’Eglise. C’est seulement en devenant missionnaire que la communauté chrétienne pourra dépasser ses divisions et ses tensions internes et retrouver son unité et la vigueur de sa foi.

Les forces missionnaires provenant d’autres Eglises et d’autres pays doivent agir en communion avec les éléments locaux pour le développement de la communauté chrétienne. Il leur revient en particulier-toujours suivant les directives des évêques et en collaboration avec les responsables locaux-de promouvoir la diffusion de la foi et l’expansion de l’Eglise dans des milieux et dans des groupes non chrétiens, de communiquer un souffle missionnaire aux Eglises locales, en sorte que la préoccupation pastorale soit toujours liée au souci de la mission ad gentes. Ainsi, chaque Eglise fera vraiment sienne la sollicitude du Christ, le Bon Pasteur, qui se prodigue à son troupeau, mais pense en même temps aux « autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie » (Jn 10,16).

50. Cette sollicitude motivera et stimulera un engagement œcuménique renouvelé. Les liens existant entre l’activité œcuménique et l’activité missionnaire imposent de prendre en considération simultanément deux facteurs. D’une part, on doit reconnaître que « la division des chrétiens nuit à la cause très sacrée de la prédication de l’Evangile à toute créature, et pour beaucoup elle ferme l’accès à la foi »81. Le fait que la Bonne Nouvelle de la réconciliation soit prêchée par les chrétiens qui sont eux-mêmes divisés en affaiblit le témoignage ; il est donc urgent de travailler pour l’unité des chrétiens afin que l’activité missionnaire puisse se révéler plus convaincante. En même temps, nous ne devons pas oublier qu’en eux-mêmes les efforts déployés en vue de l’unité constituent un signe de l’œuvre de réconciliation que Dieu accomplit au milieu de nous.

D’autre part, il est vrai que tous ceux qui ont reçu le baptême dans le Christ se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite. Et c’est là le fondement de l’orientation donnée par le Concile : « Etant bannie toute apparence d’indifférentisme, de confusionnisme et d’odieuse rivalité, les catholiques collaborent avec les frères séparés, selon les dispositions du décret sur l’œcuménisme, par une commune profession de foi en Dieu et en Jésus Christ devant les nations, dans la mesure du possible, et par une coopération dans les questions sociales et techniques, culturelles et religieuses »82.

L’activité œcuménique et le témoignage concordant rendu à Jésus Christ par des chrétiens appartenant à différentes Eglises et communautés ecclésiales ont déjà porté des fruits abondants. Mais il est toujours plus urgent qu’ils collaborent et témoignent ensemble, en ce temps où des sectes chrétiennes et parachrétiennes sèment la confusion par leur action. L’expansion de ces sectes constitue une menace pour l’Eglise catholique et pour toutes les communautés ecclésiales avec lesquelles elle poursuit un dialogue. Partout où cela est possible, et suivant les conditions locales, la réponse des chrétiens pourra aussi être œcuménique.

Les « communautés ecclésiales de base », force d’évangélisation

51. Les communautés ecclésiales de base (connues aussi sous d’autres noms) constituent un phénomène au développement rapide dans les jeunes Eglises. Les évêques et leurs conférences les encouragent et en font parfois un choix prioritaire de la pastorale. Elles sont en train de faire leurs preuves comme centres de formation chrétienne et de rayonnement missionnaire. Il s’agit de groupes de chrétiens qui, au niveau familial ou dans un cadre restreint, se réunissent pour la prière, la lecture de l’Ecriture, la catéchèse ainsi que le partage de problèmes humains et ecclésiaux en vue d’un engagement commun. Elles sont un signe de la vitalité de l’Eglise, un instrument de formation et d’évangélisation, un bon point de départ pour aboutir à une nouvelle société fondée sur la « civilisation de l’amour ».

Ces communautés décentralisent et articulent la communauté paroissiale, à laquelle elles demeurent toujours unies ; elles s’enracinent dans les milieux populaires et ruraux, devenant un ferment de vie chrétienne, d’attention aux plus petits, d’engagement pour la transformation de la société. Dans ces groupes, le chrétien fait une expérience communautaire, par laquelle il se sent partie prenante et encouragé à apporter sa collaboration à l’engagement de tous. Les communautés ecclésiales de base sont de cette manière un instrument d’évangélisation et de première annonce ainsi qu’une source de nouveaux ministères, tandis que, animées de la charité du Christ, elles montrent aussi comment il est possible de dépasser les divisions, les tribalismes, les racismes.

Toute communauté doit en effet, pour être chrétienne, s’établir sur le Christ et vivre du Christ, dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans la prière centrée sur l’Eucharistie, dans la communion qui s’exprime par l’unité du cœur et de l’esprit, et dans le partage suivant les besoins de ses membres (cf. Ac 2,42-47). Toute communauté-rappelait Paul VI-doit vivre dans l’unité avec l’Eglise particulière et l’Eglise universelle, dans une communion sincère avec les Pasteurs et le magistère, dans un engagement à se faire missionnaire en évitant tout repli et toute exploitation idéologique83. Et le Synode des Evêques a déclaré : « Puisque l’Eglise est communion, les nouvelles "communautés ecclésiales de base", si elles vivent vraiment dans l’unité de l’Eglise, sont une authentique expression de communion et un moyen pour construire une communion plus profonde. Elles constituent donc un motif de grande espérance pour la vie de l’Eglise »84.

Incarner l’Evangile dans les cultures des peuples

52. En exerçant son activité missionnaire parmi les peuples, l’Eglise entre en contact avec différentes cultures et se trouve engagée dans le processus d’inculturation. C’est une exigence qui a marqué tout son parcours au long de l’histoire et qui se fait aujourd’hui particulièrement sensible et urgente.

Le processus d’insertion de l’Eglise dans les cultures des peuples demande beaucoup de temps : il ne s’agit pas d’une simple adaptation extérieure, car l’inculturation « signifie une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines »85. C’est donc un processus profond et global qui engage le message chrétien de même que la réflexion et la pratique de l’Eglise. Mais c’est aussi un processus difficile, car il ne doit en aucune manière compromettre la spécificité et l’intégrité de la foi chrétienne.

Par l’inculturation, l’Eglise incarne l’Evangile dans les diverses cultures et, en même temps, elle introduit les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté86 ; elle leur transmet ses valeurs, en assumant ce qu’il y a de bon dans ces cultures et en les renouvelant de l’intérieur87. Pour sa part, l’Eglise, par l’inculturation, devient un signe plus compréhensible de ce qu’elle est et un instrument plus adapté à sa mission.

Grâce à cette action dans les Eglises locales, l’Eglise universelle elle-même s’enrichit d’expressions et de valeurs nouvelles dans les divers secteurs de la vie chrétienne, tels que l’évangélisation, le culte, la théologie, les œuvres caritatives ; elle connaît et exprime mieux le mystère du Christ, et elle est incitée à se renouveler constamment. Ces thèmes, présents dans le Concile et, par la suite, dans les enseignements du magistère, je les ai sans cesse abordés au cours de mes visites pastorales aux jeunes Eglises88.

L’inculturation est un processus lent, qui embrasse toute l’étendue de la vie missionnaire et met en cause les divers agents de la mission ad gentes, les communautés chrétiennes au fur et à mesure qu’elles se développent, les Pasteurs qui ont la responsabilité de discernement et d’encouragement dans sa mise en œuvre89.

53. Les missionnaires originaires d’autres Eglises et d’autres pays doivent s’insérer dans le monde socio-culturel de ceux vers lesquels ils sont envoyés, en surmontant les conditionnements de leur milieu d’origine. C’est ainsi qu’ils doivent apprendre la langue de la région où ils travaillent, connaître les expressions les plus significatives de la culture des habitants, en en découvrant les valeurs par l’expérience directe. C’est seulement grâce à cette connaissance qu’ils pourront livrer aux peuples d’une manière crédible et fructueuse la connaissance du mystère caché (cf. Rm 16 25-27 ; Ep 3,5). Il ne s’agit certes pas pour eux de renoncer à leur identité culturelle, mais de comprendre, d’apprécier, de promouvoir et d’évangéliser celle du milieu où ils travaillent et donc d’être en mesure de communiquer réellement avec lui, en adoptant un style de vie qui soit un signe de leur témoignage évangélique et de leur solidarité avec les gens.

Les communautés ecclésiales en formation, inspirées par l’Evangile, pourront exprimer progressivement leur expérience chrétienne d’une manière originale, dans la ligne de leurs traditions culturelles, à condition de demeurer en harmonie avec les exigences objectives de la foi proprement dite. Dans ce but, spécialement en ce qui concerne les domaines les plus délicats de l’inculturation les Eglises particulières d’un même territoire devront travailler en communion les unes avec les autres90 et avec toute l’Eglise, convaincues que seule une attention à l’Eglise universelle et aux Eglises particulières les rendra capables de traduire le trésor de la foi dans la légitime variété de ses expressions91. C’est pourquoi les groupes évangélisés offriront les éléments pour une « traduction » du message évangélique92 en tenant compte des éléments positifs apportés au cours des siècles grâce au contact du christianisme avec les différentes cultures, mais sans oublier les dangers d’altération qui se sont parfois manifestés93.

54. A ce propos, certaines précisions restent fondamentales. L’inculturation correctement menée doit être guidée par deux principes : « La compatibilité avec l’Evangile et la communion avec l’Eglise universelle »94. Gardiens du « dépôt de la foi », les évêques veilleront à la fidélité et, surtout, au discernement95, ce qui requiert un profond équilibre ; car on risque de passer sans analyse critique d’une sorte d’aliénation par rapport à la culture à une surévaluation de la culture, qui est une production de l’homme, et qui est donc marquée par le péché. La culture a besoin, elle aussi, d’être « purifiée, élevée et perfectionnée »96.

Un tel processus doit s’effectuer graduellement, de façon qu’il soit vraiment l’expression de l’expérience chrétienne de la communauté : « il faudra une incubation du mystère chrétien dans le génie de votre peuple - disait Paul VI à Kampala - pour qu’ensuite sa voix originale, plus limpide et plus franche, s’élève, harmonieuse, dans le chœur des autres voix de l’Eglise universelle »97. En définitive, l’inculturation doit être l’affaire de tout le Peuple de Dieu et pas seulement de quelques experts, car on sait que le peuple reflète l’authentique sens de la foi qu’il ne faut jamais perdre de vue. Certes, elle doit être guidée et stimulée, mais pas forcée afin de ne pas provoquer de réactions négatives parmi les chrétiens : elle doit être l’expression de la vie communautaire, c’est-à-dire mûrir au sein de la communauté, et non pas le fruit exclusif de recherches érudites. La sauvegarde des valeurs traditionnelles est l’effet d’une foi mûre.

Le dialogue avec les frères d’autres religions

55. Le dialogue inter-religieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Eglise. Entendu comme méthode et comme moyen en vue d’une connaissance et d’un enrichissement réciproques, il ne s’oppose pas à la mission ad gentes, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une expression. Car cette mission a pour destinataires les hommes qui ne connaissent pas le Christ ni son Evangile et qui, en grande majorité, appartiennent à d’autres religions. Dieu appelle à lui toutes les nations dans le Christ, il veut leur communiquer la plénitude de sa révélation et de son amour, il ne manque pas non plus de manifester sa présence de beaucoup de manières, non seulement aux individus mais encore aux peuples, par leurs richesses spirituelles dont les religions sont une expression principale et essentielle, bien qu’elles comportent « des lacunes, des insuffisances et des erreurs »98. Le Concile et les enseignements ultérieurs du magistère ont amplement souligné tout cela, maintenant toujours avec fermeté que le salut vient du Christ et que le dialogue ne dispense pas de l’évangélisation99.

A la lumière de l’économie du salut, l’Eglise estime qu’il n’y a pas contradiction entre l’annonce du Christ et le dialogue inter-religieux, mais elle sent la nécessité de les coordonner dans le cadre de sa mission ad gentes. En effet, il faut que ces deux éléments demeurent intimement liés et en même temps distincts, et c’est pourquoi on ne doit ni les confondre, ni les exploiter, ni les tenir pour équivalents comme s’ils étaient interchangeables.

J’ai écrit récemment aux évêques d’Asie : « Bien que l’Eglise reconnaisse volontiers tout ce qui est vrai et saint dans les traditions religieuses du bouddhisme, de l’hindouisme et de l’islam, comme un reflet de la vérité qui éclaire tous les hommes, cela ne diminue pas son devoir et sa détermination de proclamer sans hésitation Jésus Christ qui est "la Voie, la Vérité et la Vie" ...]. Le fait que les adeptes d’autres religions puissent recevoir la grâce de Dieu et être sauvés par le Christ en dehors des moyens ordinaires qu’il a institués n’annule donc pas l’appel à la foi et au baptême que Dieu veut pour tous les peuples »100. En effet, le Christ lui-même, « en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême ...], nous a confirmé en même temps la nécessité de l’Eglise elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême »101. Le dialogue doit être conduit et mis en œuvre dans la conviction que l’Eglise est la voie ordinaire du salut et qu’elle seule possède la plénitude des moyens du salut102.

56. Le dialogue n’est pas la conséquence d’une stratégie ou d’un intérêt, mais c’est une activité qui a ses motivations, ses exigences et sa dignité propres : il est demandé par le profond respect qu’on doit avoir envers tout ce que l’Esprit, qui « souffle où il veut », a opéré en l’homme103. Grâce au dialogue, l’Eglise entend découvrir les « semences du Verbe »104, les « rayons de la vérité qui illumine tous les hommes »105, semences et rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions religieuses de l’humanité. Le dialogue est fondé sur l’espérance et la charité, et il portera des fruits dans l’Esprit. Les autres religions constituent un défi positif pour l’Eglise d’aujourd’hui ; en effet, elles l’incitent à découvrir et à reconnaître les signes de la présence du Christ et de l’action de l’Esprit, et aussi à approfondir son identité et à témoigner de l’intégrité de la Révélation dont elle est dépositaire pour le bien de tous.

On voit par là quel esprit doit animer ce dialogue dans le contexte de la mission. L’interlocuteur doit être cohérent avec ses traditions et ses convictions religieuses et ouvert à celles de l’autre pour les comprendre, sans dissimulation ni fermeture, mais dans la vérité, l’humilité, la loyauté, en sachant bien que le dialogue peut être une source d’enrichissement pour chacun. Il ne doit y avoir ni capitulation, ni irénisme, mais témoignage réciproque en vue d’un progrès des uns et des autres sur le chemin de la recherche et de l’expérience religieuses et aussi en vue de surmonter les préjugés, l’intolérance et les malentendus. Le dialogue tend à la purification et à la conversion intérieure qui, si elles se font dans la docilité à l’Esprit, seront spirituellement fructueuses.

57. Un vaste domaine est ouvert au dialogue qui peut revêtir des formes et des expressions multiples : depuis les échanges entre experts de traditions religieuses ou entre représentants officiels de celles-ci jusqu’à la collaboration pour le développement intégral et la sauvegarde des valeurs religieuses ; de la communication des expériences spirituelles respectives à ce qu’il est convenu d’appeler « le dialogue de vie », à travers lequel les croyants de diverses confessions témoignent les uns pour les autres, dans l’existence quotidienne, de leurs valeurs humaines et spirituelles et s’entraident à en vivre pour édifier une société plus juste et plus fraternelle.

Tous les fidèles et toutes les communautés chrétiennes sont appelés à pratiquer le dialogue, même si ce n’est pas au même niveau et sous des modalités identiques. Pour ce dialogue, la contribution des laïcs est indispensable : « Par l’exemple de leur vie et par leur action, les fidèles laïcs peuvent améliorer les rapports entre les adeptes des différentes religions »106, et, de plus, certains d’entre eux seront en mesure de contribuer à la recherche et à l’étude107.

Sachant que pour beaucoup de missionnaires et de communautés chrétiennes la voie difficile et souvent incomprise du dialogue constitue l’unique manière de rendre un témoignage sincère au Christ et un service généreux à l’homme, je désire les encourager à persévérer avec foi et amour, là même où leurs efforts ne rencontrent ni attention ni réponse. Le dialogue est un chemin vers le Royaume et il donnera sûrement ses fruits, même si les temps et les moments sont réservés au Père (cf. Ac 1,7).

Promouvoir le développement en éduquant les consciences

58. La mission ad gentes se déroule encore aujourd’hui, pour une grande partie, dans les régions de l’hémisphère sud, là où l’action pour le développement intégral et la libération de toute oppression est la plus urgente. L’Eglise a toujours su éveiller, parmi les populations qu’elle a évangélisées, un élan vers le progrès, et aujourd’hui, plus que dans le passé, les gouvernements et les experts internationaux reconnaissent que les missionnaires sont aussi des promoteurs du développement et ils admirent les remarquables résultats obtenus avec très peu de moyens.

Dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis, j’ai déclaré que « l’Eglise n’a pas de solutions techniques à offrir face au problème du sous-développement comme tel », mais qu’« elle apporte sa première contribution à la solution du problème urgent du développement quand elle proclame la vérité sur le Christ, sur elle-même et sur l’homme, en l’appliquant à une situation concrète »108. La Conférence des évêques latino-américains à Puebla a affirmé que « le meilleur service à rendre à l’homme est l’évangélisation qui le dispose à s’épanouir comme fils de Dieu, le libère des injustices et encourage son développement intégral »109. La mission de l’Eglise n’est pas d’agir directement sur le plan économique, technique, politique, ou de contribuer matériellement au développement, mais elle consiste essentiellement à offrir aux peuples non pas « plus d’avoir » mais « plus d’être », en réveillant les consciences par l’Evangile. « Le développement humain authentique doit se fonder sur une évangélisation toujours plus profonde »110.

L’Eglise et les missionnaires sont des promoteurs du développement grâce à leurs écoles, à leurs hôpitaux, à leurs imprimeries, à leurs universités, à leurs exploitations agricoles expérimentales. Toutefois, le développement d’un peuple ne vient pas d’abord de l’argent, ni des aides matérielles, ni des structures techniques, mais bien plutôt de la formation des consciences, du mûrissement des mentalités et des comportements. C’est l’homme qui est le protagoniste du développement, et non pas l’argent ni la technique. L’Eglise éduque les consciences en révélant aux peuples le Dieu qu’ils cherchent sans le connaître, en leur révélant la grandeur de l’homme créé à l’image de Dieu et aimé par lui, en leur révélant l’égalité de tous les hommes comme fils de Dieu, leur empire sur la création qui est mise à leur service, leur devoir de s’engager pour le développement de tout l’homme et de tous les hommes.

59. Par le message évangélique, l’Eglise apporte une force qui libère et qui agit en faveur du développement, précisément parce qu’il amène à la conversion du cœur et de l’esprit, parce qu’il fait reconnaître la dignité de chacun, parce qu’il dispose à la solidarité, à l’engagement, au service d’autrui et qu’il insère l’homme dans le projet de Dieu, qui est de construire un Royaume de paix et de justice dès cette vie. C’est la perspective biblique des « cieux nouveaux et de la terre nouvelle » (cf.Is 65, 17 ; 2 P 3,13 ; Ap 21,1), qui a été dans l’histoire le stimulant et le but de la marche en avant de l’humanité. Le développement de l’homme vient de Dieu, du modèle qu’est Jésus homme-Dieu, et il doit conduire à Dieu111. C’est la raison pour laquelle il y a un lien étroit entre l’annonce de l’Evangile et la promotion de l’homme.

La contribution de l’Eglise et de l’évangélisation au développement des peuples ne concerne pas seulement l’hémisphère sud pour y combattre la misère matérielle et le sous-développement mais également l’hémisphère nord exposé à la misère morale et spirituelle engendrée par le « sur-développement »112. Une certaine modernité a-religieuse, qui prévaut dans diverses régions du monde, se fonde sur l’idée que, pour rendre l’homme plus homme il suffit de s’enrichir et de poursuivre la croissance technique et économique. Mais un développement sans âme ne peut suffire à l’homme, et l’excès d’opulence est nocif pour lui tout comme l’excès de pauvreté. C’est le « modèle de développement » qu’a édifié l’hémisphère nord et qu’ il répand dans le sud, où le sens religieux et les valeurs humaines qui s’y trouvent risquent d’être emportés par l’envahissement de la consommation.

« Changer de vie pour lutter contre la faim », tel est le slogan qui est apparu dans des milieux ecclésiaux et qui montre aux peuples riches le chemin pour devenir frères des peuples pauvres il faut revenir à une vie plus austère afin de favoriser un nouveau modèle de développement intégrant les valeurs éthiques et religieuses. L’activité missionnaire apporte aux pauvres lumière et encouragement pour leur véritable développement. La nouvelle évangélisation devra entre autres faire prendre conscience aux riches que l’heure est venue de se montrer réellement frères des pauvres, grâce à une conversion commune au « développement intégral » ouvert sur l’Absolu113.

La charité, source et critère de la mission

60. « L’Eglise dans le monde entier-ai-je déclaré durant ma visite au Brésil-veut être l’Eglise des pauvres [...]. Elle veut mettre en lumière toute la vérité contenue dans les Béatitudes du Christ, et surtout dans la première : "Bienheureux les pauvres de cœur". Elle veut enseigner cette vérité et la mettre en pratique, comme Jésus est venu le faire et l’enseigner »114.

Les jeunes Eglises, qui vivent la plupart du temps parmi des populations souffrant d’une grande pauvreté, expriment souvent cette préoccupation comme une partie intégrante de leur mission. La Conférence générale de l’épiscopat latino-américain à Puebla, après avoir rappelé l’exemple de Jésus, écrit que « les pauvres méritent une attention préférentielle, quelle que soit la situation morale ou personnelle dans laquelle ils se trouvent. Ils sont faits à l’image et à la ressemblance de Dieu [...] pour être ses enfants, mais cette image est ternie et même outragée. Aussi, Dieu prend leur défense et les aime [...]. Il s’ensuit que les premiers destinataires de la mission sont les pauvres [...], et que leur évangélisation est par excellence un signe et une preuve de la mission de Jésus »115.

Fidèle à l’esprit des Béatitudes, l’Eglise est appelée à partager avec les pauvres et avec les opprimés de toute sorte. C’est pourquoi j’exhorte tous les disciples du Christ et toutes les communautés chrétiennes, des familles aux diocèses, des paroisses aux Instituts religieux, à faire une révision de vie sincère, dans le sens de la solidarité avec les pauvres. En même temps, je remercie les missionnaires qui, par leur présence aimante et leur humble service, œuvrent en vue du développement intégral de la personne et de la société, grâce aux écoles, aux centres sanitaires, aux léproseries, aux maisons d’accueil pour les personnes handicapées et les vieillards, aux initiatives pour la promotion de la femme, et d’autres encore. Je remercie les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs pour leur dévouement et j’adresse mes encouragements aux volontaires des Organisations non gouvernementales, aujourd’hui toujours plus nombreux, qui se consacrent à ces œuvres de charité et de promotion humaine.

Ce sont en effet ces œuvres qui témoignent de l’âme de toute l’activité missionnaire, c’est-à-dire de l’amour qui est et reste le moteur de la mission et qui est également « l’unique critère selon lequel tout doit être fait ou ne pas être fait, changé ou ne pas être changé. C’est le principe qui doit diriger toute action, et la fin à laquelle elle doit tendre. Quand on agit selon la charité ou quand on est mû par la charité, rien n’est désavantageux et tout est bon »116.


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