Catholic.net International English Espanol Deutsh Italiano Slovensko
 - 16 avril 2024 - Saint Benoît-Joseph Labre
Navigation: Ut unum sint

 

Ut unum sint

Chapitre 1 : L’engagement oecuménique de l’Eglise Catholique

Le dessein de Dieu et la communion

5. Avec tous les disciples du Christ, l’Eglise catholique fonde sur le plan de Dieu son engagement œcuménique de les rassembler tous dans l’unité. En effet, « l’Eglise est une réalité non pas repliée sur elle-même, mais plutôt ouverte de manière permanente à la dynamique missionnaire et œcuménique, puisqu’elle est envoyée au monde pour annoncer et témoigner, actualiser et diffuser le mystère de communion qui la constitue : rassembler tout et tous dans le Christ ; être pour tous sacrement inséparable d’unité ».

Dans l’Ancien Testament déjà, évoquant ce qu’était alors la situation du peuple de Dieu, le prophète Ezéchiel recourait au symbolisme simple de deux morceaux de bois d’abord distincts, ensuite rapprochés l’un de l’autre, pour exprimer la volonté divine de « rassembler de tous côtés » les membres de son peuple déchiré : « Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. Et les nations sauront que je suis le Seigneur qui sanctifie Israël » (cf. Ez 37, 16-28). L’Evangile johannique, pour sa part, devant la situation du peuple de Dieu en son temps, voit dans la mort de Jésus la raison de l’unité des fils de Dieu : « Jésus allait mourir pour la nation, et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (11, 51-52). En effet, ainsi que l’expliquera la Lettre aux Ephésiens, « détruisant la barrière qui les séparait, ... par la Croix, en sa personne il a tué la haine », de ce qui était divisé, il n’en a fait qu’un (cf. 2, 14-16).

6. L’unité de toute l’humanité déchirée est voulue par Dieu. C’est pourquoi il a envoyé son Fils, afin que, mourant et ressuscitant pour nous, il nous donne son Esprit d’amour. A la veille du sacrifice de la Croix, Jésus lui-même demande au Père pour ses disciples, et pour tous ceux qui croiront en lui, qu’ils soient un, une communion vivante. Il en découle non seulement le devoir, mais encore la responsabilité qui reviennent, devant Dieu et en fonction du plan de Dieu, à ceux et à celles qui par le Baptême deviennent le Corps du Christ, le Corps dans lequel la réconciliation et la communion doivent se réaliser en plénitude. Comment serait-il possible de rester divisés, si, par le Baptême, nous avons été « plongés » dans la mort du Seigneur, c’est-à-dire dans l’acte même par lequel Dieu, en son Fils, a détruit les barrières de la division ? La « division contredit ouvertement la volonté du Christ, et est un sujet de scandale pour le monde et une source de préjudices pour la très sainte cause de la prédication de l’Evangile à toute créature ».

La route œcuménique : route de l’Eglise

7. « Le Maître des siècles, qui poursuit avec sagesse et patience son dessein de grâce à l’égard des pécheurs que nous sommes, a commencé ces derniers temps à répandre plus abondamment sur les chrétiens divisés entre eux l’esprit de repentance et le désir de l’union. De très nombreux hommes ont partout été touchés par cette grâce, et chez nos frères séparés aussi est né, sous l’effet de la grâce de l’Esprit Saint, un mouvement qui s’amplifie de jour en jour en vue de rétablir l’unité de tous les chrétiens. A ce mouvement qui vise à l’unité, et qui est appelé œcuménique, prennent part ceux qui invoquent le Dieu trine et confessent Jésus comme Seigneur et Sauveur, non seulement des chrétiens pris individuellement, mais encore des chrétiens réunis en groupes, dans lesquels ils ont entendu l’Evangile et qu’ils appellent chacun son Eglise et Eglise de Dieu. Presque tous cependant aspirent, même si c’est de façon diverse, à une Eglise de Dieu une et visible qui soit vraiment universelle et envoyée au monde entier, pour que celui-ci se convertisse à l’Evangile et qu’il soit ainsi sauvé pour la gloire de Dieu ».

8. Cette déclaration du décret Unitatis redintegratio doit être lue dans le contexte de tout l’enseignement conciliaire. Le Concile Vatican II exprime la décision de l’Eglise de s’engager dans l’effort œcuménique pour l’unité des chrétiens et de le proposer avec conviction et avec vigueur : « Ce saint Concile exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre une part active à l’action œcuménique ».

En énonçant les principes catholiques de l’œcuménisme, le décret Unitatis redintegratio se réfère avant tout à l’enseignement sur l’Eglise de la constitution Lumen gentium, dans le chapitre qui traite du peuple de Dieu. Il tient compte en même temps de ce que le Concile affirme dans la déclaration Dignitatis humanæ sur la liberté religieuse.

L’Eglise catholique considère dans l’espérance l’engagement œcuménique comme un impératif de la conscience chrétienne éclairée par la foi et guidée par la charité. Ici encore, on peut appliquer la parole de saint Paul aux premiers chrétiens de Rome : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit » ; ainsi « l’espérance ne déçoit point » (Rm 5,5). C’est l’espérance de l’unité des chrétiens qui trouve sa source divine dans l’unité trinitaire du Père et du Fils et de l’Esprit Saint.

9. A l’heure de sa Passion, Jésus lui-même a prié « afin que tous soient un » (Jn 17,21). L’unité, que le Seigneur a donnée à son Église et dans laquelle il veut que tous soient inclus, n’est pas secondaire, elle est au centre même de son œuvre. Et elle ne représente pas non plus un attribut accessoire de la communauté de ses disciples. Au contraire, elle appartient à l’être même de cette communauté. Dieu veut l’Eglise parce qu’il veut l’unité et que, dans l’unité, s’exprime toute la profondeur de son agapè.

En effet, cette unité donnée par l’Esprit Saint ne consiste pas seulement dans le rassemblement de personnes qui s’ajoutent l’une à l’autre. C’est une unité constituée par les liens de la profession de foi, des sacrements et de la communion hiérarchique. Les fidèles sont un parce que, dans l’Esprit, ils sont dans la communion du Fils et, en lui, dans sa communion avec le Père : « Notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ » (1 Jn 1,3). Pour l’Eglise catholique, la communion des chrétiens n’est donc pas autre chose que la manifestation en eux de la grâce par laquelle Dieu les fait participer à sa propre communion, qui est sa vie éternelle. Les paroles du Christ « que tous soient un » sont donc la prière adressée au Père pour que son dessein s’accomplisse pleinement, afin de « mettre en pleine lumière le contenu du Mystère tenu caché depuis toujours en Dieu, le Créateur de toutes choses » (Ep 3,9). Croire au Christ signifie vouloir l’unité ; vouloir l’unité signifie vouloir l’Eglise ; vouloir l’Eglise signifie vouloir la communion de grâce qui correspond au dessein du Père de toute éternité. Tel est le sens de la prière du Christ : « Ut unum sint ».

10. Dans la situation de division actuelle entre les chrétiens et de recherche confiante de la pleine communion, les fidèles catholiques se sentent profondément interpellés par le Seigneur de l’Eglise. Le Concile Vatican II a affermi leur engagement grâce à une ecclésiologie lucide et ouverte à toutes les valeurs ecclésiales présentes chez les autres chrétiens. Les fidèles catholiques abordent la question œcuménique en esprit de foi.

Le Concile dit que « l’Eglise du Christ est présente dans l’Eglise catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques en communion avec lui » et il reconnaît en même temps que, « en dehors de l’ensemble organique qu’elle forme, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui, en tant que dons propres à l’Eglise du Christ, portent à l’unité catholique ». « Par conséquent, ces Eglises et ces Communautés séparées elles-mêmes, même si nous croyons qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. En effet, l’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude même de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Eglise catholique ».

11. L’Eglise catholique affirme par là que, au cours des deux mille ans de son histoire, elle a été gardée dans l’unité avec tous les biens dont Dieu veut doter son Eglise, et cela malgré les crises souvent graves qui l’ont ébranlée, les manques de fidélité de certains de ses ministres et les fautes auxquelles se heurtent quotidiennement ses membres. L’Eglise catholique sait que, en vertu du soutien qui lui vient de l’Esprit, les faiblesses, les médiocrités, les péchés et parfois les trahisons de certains de ses fils ne peuvent pas détruire ce que Dieu a mis en elle selon son dessein de grâce. Même « les portes de l’enfer ne tiendront pas contre elle » (Mt 16,18). Cependant, l’Eglise catholique n’oublie pas qu’en son sein beaucoup obscurcissent le dessein de Dieu. Évoquant la division des chrétiens, le décret sur l’œcuménisme n’ignore pas « la faute des hommes de l’une et l’autre partie », en reconnaissant que la responsabilité ne peut être attribuée uniquement « aux autres ». Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales.

En effet, les éléments de sanctification et de vérité présents dans les autres Communautés chrétiennes, à des degrés différents dans les unes et les autres, constituent la base objective de la communion qui existe, même imparfaitement, entre elles et l’Eglise catholique.

Dans la mesure où ces éléments se trouvent dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l’unique Eglise du Christ en elles. C’est pourquoi le Concile Vatican II parle d’une communion réelle, même si elle est imparfaite. La constitution Lumen gentium souligne que l’Eglise catholique « se sait unie pour plusieurs raisons » avec ces Communautés, par une certaine et réelle union, dans l’Esprit Saint.

12. La même constitution a longuement explicité « les éléments de sanctification et de vérité » qui, de diverses manières, se trouvent et agissent au-delà des frontières visibles de l’Eglise catholique : « Nombreux sont en effet ceux qui tiennent en honneur la sainte Ecriture en tant que règle de foi et de vie, manifestent un zèle religieux sincère, croient avec amour en Dieu, Père tout-puissant, et dans le Christ, Fils de Dieu et Sauveur, sont marqués du Baptême qui les unit au Christ, bien plus, reconnaissent et reçoivent d’autres sacrements dans leurs propres Eglises ou Communautés ecclésiales. Plusieurs parmi eux possèdent même l’épiscopat, célèbrent la sainte Eucharistie et favorisent la piété envers la Vierge, Mère de Dieu. A cela s’ajoutent la communion dans la prière et les autres biens spirituels, bien mieux, en quelque sorte, une véritable union dans l’Esprit Saint, puisque c’est lui qui, par ses dons et ses grâces, opère en eux aussi par sa puissance sanctifiante et a fortifié certains jusqu’à l’effusion du sang. Ainsi l’Esprit suscite dans tous les disciples du Christ un désir et une action qui tendent à l’union pacifique de tous en un seul troupeau sous un seul Pasteur, selon le mode décidé par le Christ ».

Au sujet des Eglises orthodoxes, le décret conciliaire sur l’œcuménisme a pu déclarer en particulier que, « par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur en chacune de ces Eglises, l’Eglise de Dieu s’édifie et s’accroît ». Reconnaître tout cela répond à une exigence de vérité.

13. Le même document fait ressortir avec sobriété les implications doctrinales de cette situation. Au sujet des membres de ces Communautés, il déclare : « Justifiés par la foi dans le Baptême, ils sont incorporés au Christ, ont à bon droit l’honneur de porter le nom de chrétiens et sont reconnus avec raison comme frères dans le Christ par les fils de l’Eglise catholique ».

Evoquant les nombreux biens présents dans les autres Eglises et Communautés ecclésiales, le décret ajoute : « Tout cela, provenant du Christ et conduisant à lui, appartient de droit à l’unique Eglise du Christ. Chez nos frères séparés s’accomplissent aussi de nombreuses actions sacrées de la religion chrétienne qui, de diverses manières selon les différentes conditions de chacune des Eglises ou Communautés, peuvent sans nul doute produire effectivement la vie de grâce, et il faut dire qu’elles sont aptes à donner accès à la communion du salut ».

Il s’agit là de textes œcuméniques de la plus haute importance. En dehors des limites de la communauté catholique, il n’y pas un vide ecclésial. De nombreux éléments de grande valeur (eximia) qui, dans l’Eglise catholique, s’intègrent dans la plénitude des moyens de salut et des dons de grâce qui font l’Eglise, se trouvent aussi dans les autres Communautés chrétiennes.

14. Tous ces éléments constituent par eux-mêmes un appel à l’unité pour qu’ils trouvent en elle leur plénitude. Il ne s’agit pas de faire la somme de toutes les richesses disséminées dans les Communautés chrétiennes, afin de parvenir à une Eglise que Dieu désirerait pour l’avenir. Suivant la grande Tradition attestée par les Pères d’Orient et d’Occident, l’Eglise catholique croit que, dans l’événement de la Pentecôte, Dieu a déjà manifesté l’Eglise dans sa réalité eschatologique, qu’il préparait « depuis le temps d’Abel le Juste ». Elle est déjà donnée. C’est pourquoi nous sommes déjà dans les derniers temps. Les éléments de cette Eglise déjà donnée existent, unis dans toute leur plénitude, dans l’Eglise catholique et, sans cette plénitude, dans les autres Communautéss, où certains aspects du mystère chrétien ont parfois été mieux mis en lumière. L’œcuménisme vise précisément à faire progresser la communion partielle existant entre les chrétiens, pour arriver à la pleine communion dans la vérité et la charité.

Renouveau et conversion

15. Passant des principes et du devoir impérieux pour la conscience chrétienne à la mise en œuvre de la marche œcuménique vers l’unité, le Concile Vatican II met surtout en relief la nécessité de la conversion du cœur. L’annonce messianique « le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche » et l’appel qui suit « convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1,15), par lesquels Jésus inaugure sa mission, définissent l’élément essentiel qui doit caractériser tout nouveau commencement : le devoir fondamental de l’évangélisation, à toutes les étapes du chemin salvifique de l’Église. Cela concerne particulièrement le processus entrepris par le Concile Vatican II, qui inscrivit dans le cadre du renouveau le devoir œcuménique d’unir les chrétiens divisés. « Il n’y a pas d’œcuménisme au sens authentique du terme sans conversion intérieure ».

Le Concile appelle à la conversion personnelle autant qu’à la conversion communautaire. L’aspiration de toute Communauté chrétienne à l’unité va de pair avec sa fidélité à l’Evangile. Quand il s’agit de personnes qui vivent leur vocation chrétienne, le Concile parle de conversion intérieure, d’un renouveau de l’esprit.

Chacun doit donc se convertir plus radicalement à l’Evangile et, sans jamais perdre de vue le dessein de Dieu, il doit changer son regard. Par l’œcuménisme, la contemplation des « merveilles de Dieu » (mirabilia Dei) s’est portée sur des champs nouveaux, où Dieu Trinité suscite l’action de grâce : la perception que l’Esprit agit dans les autres Communautés chrétiennes, la découverte d’exemples de sainteté, l’expérience des richesses illimitées de la communion des saints, la mise en relation avec des aspects insoupçonnés de l’engagement chrétien. Corrélativement, la nécessité de la pénitence a été aussi plus largement ressentie : on prend conscience de certaines exclusions qui blessent la charité fraternelle, de certains refus de pardonner, d’un certain orgueil, de l’enfermement dans la condamnation des « autres » de manière non évangélique, d’un mépris qui découle de présomptions malsaines. Toute la vie des chrétiens est ainsi marquée par la préoccupation œcuménique et ils sont appelés à se laisser comme former par elle.

16. Dans l’enseignement du Concile, il y a nettement un lien entre rénovation, conversion et réforme. Il affirme : « Au cours de son pèlerinage, l’Eglise est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin, en tant qu’institution humaine et terrestre ; si donc il est arrivé que certaines choses aient été observées avec moins de soin, il faut procéder en temps opportun au redressement qui s’impose ». Aucune Communauté chrétienne ne peut se soustraire à cet appel.

En dialoguant franchement, les Communautés s’aident mutuellement à se considérer ensemble dans la lumière de la Tradition apostolique. Cela les amène à se demander si elles expriment vraiment de manière fidèle tout ce que l’Esprit a transmis par les Apôtres. En ce qui concerne l’Eglise catholique, j’ai rappelé ces exigences et ces perspectives à plusieurs reprises, par exemple à l’occasion de l’anniversaire du Baptême de la Rus’ ou lors de la commémoration, après onze siècles, de l’œuvre d’évangélisation des saints Cyrille et Méthode. Plus récemment, le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcumé- nisme, publié avec mon approbation par le Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens, les a appliquées dans le domaine pastoral.

17. En ce qui concerne les autres chrétiens, les principaux documents de la Commission Foi et Constitution et les déclarations de nombreux dialogues bilatéraux ont déjà proposé aux Communautés chrétiennes des instruments utiles pour discerner ce qui est nécessaire au mouvement œcuménique et à la conversion qu’il doit susciter. Ces études sont importantes d’un double point de vue : elles montrent les progrès considérables déjà réalisés et elles suscitent l’espérance, parce qu’elles constituent une base sûre pour la recherche qu’il faut poursuivre et approfondir.

Dans la situation actuelle du peuple chrétien, l’approfondissement de la communion dans une réforme constante, réalisée à la lumière de la Tradition apostolique, est sans aucun doute un des traits distinctifs les plus importants de l’œcuménisme. C’est d’ailleurs aussi une garantie essentielle pour son avenir. Les fidèles de l’Eglise catholique ne peuvent pas ignorer que l’élan œcuménique du Concile Vatican II est l’un des résultats de ce que l’Eglise s’est alors employée à faire pour s’examiner à la lumière de l’Evangile et de la grande Tradition. Mon prédécesseur, le Pape Jean XXIII, l’avait bien compris, lui qui, convoquant le Concile, refusa de séparer l’aggiornamento de l’ouverture œcuménique. Au terme de ces assises conciliaires, le Pape Paul VI a consacré la vocation œcuménique du Concile, renouant le dialogue de la charité avec les Eglises en communion avec le Patriarche de Constantinople et accomplissant avec lui le geste concret et hautement significatif qui a « rejeté dans l’oubli » - et fait « disparaître de la mémoire et du sein de l’Eglise » - les excommunications du passé. Il convient de rappeler que la création d’un organisme spécial pour l’œcuménisme coïncide avec la mise en route de la préparation du Concile Vatican II et que, par l’entremise de cet organisme, les avis et les appréciations des autres Communautés chrétiennes ont eu leur place dans les grands débats sur la Révélation, sur l’Eglise, sur la nature de l’œcuménisme et sur la liberté religieuse.

Importance fondamentale de la doctrine

18. En reprenant une idée que le Pape Jean XXIII avait exprimée à l’ouverture du Concile, le décret sur l’œcuménisme fait figurer la manière de formuler la doctrine parmi les éléments de la réforme permanente. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de modifier le dépôt de la foi, de changer la signification des dogmes, d’en éliminer des paroles essentielles, d’adapter la vérité aux goûts d’une époque ou d’abolir certains articles du Credo sous le faux prétexte qu’ils ne sont plus compris aujourd’hui. L’unité voulue par Dieu ne peut se réaliser que dans l’adhésion commune à la totalité du contenu révélé de la foi. En matière de foi, le compromis est en contradiction avec Dieu qui est Vérité. Dans le Corps du Christ, lui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), qui pourrait considérer comme légitime une réconciliation obtenue au prix de la vérité ? La déclaration conciliaire sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ reconnaît que la recherche de la vérité appartient à la dignité humaine, « surtout en ce qui concerne Dieu et son Eglise » et l’adhésion à ses exigences. Un « être ensemble » qui trahirait la vérité s’opposerait donc à la nature de Dieu, qui offre la communion avec lui, et à l’exigence de la vérité, qui habite en profondeur tout cœur humain.

19. Toutefois, la doctrine doit être présentée d’une manière qui la rende compréhensible à ceux auxquels Dieu lui-même la destine. Dans l’encyclique Slavorum apostoli, j’ai rappelé que, pour ce motif même, Cyrille et Méthode se sont employés à traduire les notions de la Bible et les concepts de la théologie grecque dans le contexte d’une pensée et d’expériences historiques très différentes. Ils voulaient que l’unique Parole de Dieu fût « rendue ainsi accessible selon les moyens d’expression propres à chaque civilisation ». Ils comprirent donc qu’ils ne pouvaient « imposer aux peuples à qui ils devaient prêcher ni l’indiscutable supériorité de la langue grecque et de la culture byzantine, ni les usages et les comportements de la société plus avancée dans laquelle ils avaient été formés ». Ils mettaient en pratique « la parfaite communion dans l’amour [qui] préserve l’Eglise de toute forme de particularisme et d’exclusivisme ethnique ou de préjugé racial, comme de toute arrogance nationaliste ». Dans le même esprit, je n’ai pas hésité à dire aux aborigènes d’Australie : « Il ne faut pas que vous soyez un peuple divisé en deux parties [...]. Jésus vous appelle à accepter ses paroles et ses valeurs à l’intérieur de votre propre culture ». Parce que, par nature, les données de la foi sont destinées à toute l’humanité, elles doivent être traduites dans toutes les cultures. En effet, l’élément qui détermine la communion dans la vérité est le sens de la vérité. Son expression peut avoir des formes multiples. Et la rénovation des formes d’expression devient nécessaire pour transmettre à l’homme d’aujourd’hui le message évangélique dans son sens immuable.

« Cette rénovation revêt donc une insigne importance œcuménique ». Et il ne s’agit pas seulement de rénover la manière d’exprimer la foi, mais aussi la manière même de vivre la foi. On pourrait alors se demander : qui doit faire cela ? Le Concile répond clairement à cette question : cela « concerne toute l’Eglise, tant les fidèles que les pasteurs, chacun selon ses capacités propres soit dans la vie chrétienne quotidienne, soit dans les recherches théologiques et historiques ».

20. Tout cela est extrêmement important et a une portée fondamentale pour l’action œcuménique. Il en résulte indubitablement que l’œcuménisme, le mouvement pour l’unité des chrétiens, n’est pas qu’un « appendice » quelconque qui s’ajoute à l’activité traditionnelle de l’Eglise. Au contraire, il est partie intégrante de sa vie et de son action, et il doit par conséquent pénétrer tout cet ensemble et être comme le fruit d’un arbre qui, sain et luxuriant, grandit jusqu’à ce qu’il atteigne son plein développement.

C’est ainsi que le Pape Jean XXIII croyait à l’unité de l’Eglise et c’est ainsi qu’il recherchait l’unité de tous les chrétiens. Parlant des autres chrétiens, de la grande famille chrétienne, il constatait : « Ce qui nous unit est beaucoup plus fort que ce qui nous divise ». Et, pour sa part, le Concile Vatican II exhorte : « Que tous les fidèles se souviennent qu’ils feront progresser l’union des chrétiens, bien mieux qu’ils s’y exerceront d’autant mieux qu’ils s’efforceront de vivre plus purement selon l’Evangile. Plus étroite, en effet, sera leur communion avec le Père, le Verbe et l’Esprit Saint, plus ils pourront rendre intime et facile le développement de la fraternité mutuelle ».

La priorité de la prière

21. « Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, en même temps que les prières privées et publiques pour l’unité des chrétiens, sont à regarder comme l’âme de tout le mouvement œcuménique et peuvent être à bon droit appelées œcuménisme spirituel ».

On avance sur la voie qui conduit à la conversion des cœurs au rythme de l’amour qui se porte vers Dieu et, en même temps, vers les frères : vers tous les frères, également vers ceux qui ne sont pas en pleine communion avec nous. De l’amour naît le désir de l’unité, même chez ceux qui en ont toujours ignoré la nécessité. L’amour est artisan de communion entre les personnes et entre les Communautés. Si nous nous aimons, nous tendons à approfondir notre communion, à la mener vers sa perfection. L’amour se porte vers Dieu, source parfaite de communion - l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint -, afin de puiser en lui la force de susciter la communion entre les personnes et les Communautés, ou de la rétablir entre les chrétiens encore divisés. L’amour est le courant très profond qui donne vie et force à la marche vers l’unité.

Cet amour trouve son expression la plus accomplie dans la prière commune. Quand les frères qui ne sont pas dans une parfaite communion se réunissent pour prier, le Concile Vatican II définit leur prière comme l’âme de tout le mouvement œcuménique. Elle est « un moyen très efficace pour demander la grâce de l’unité », « une expression authentique des liens par lesquels les catholiques demeurent unis avec les frères séparés ». Même lorsqu’on ne prie pas formellement pour l’unité des chrétiens, mais à d’autres intentions comme, par exemple, la paix, la prière devient en soi une expression et une confirmation de l’unité. La prière commune des chrétiens invite le Christ lui-même à visiter la communauté de ceux qui l’implorent : « Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20).

22. Lorsqu’on prie ensemble, entre chrétiens, le but de l’unité paraît plus proche. La longue histoire des chrétiens marquée par de multiples fragmentations semble se rebâtir, tendant vers la source de son unité qu’est Jésus Christ. Il est « le même hier, aujourd’hui et à jamais » (He 13,8) ! Le Christ est réellement présent dans la communion de la prière ; il prie « en nous », « avec nous » et « pour nous ». C’est lui qui guide notre prière dans l’Esprit Consolateur qu’il a promis et qu’il a donné dès le Cénacle de Jérusalem à son Église, quand il l’a constituée dans son unité originelle.

Sur la route œcuménique de l’unité, la priorité revient certainement à la prière commune, à l’union orante de ceux qui se rassemblent autour du Christ lui-même. Si, malgré leurs divisions, les chrétiens savent toujours plus s’unir dans une prière commune autour du Christ, alors se développera leur conscience des limites de ce qui les divise en comparaison de ce qui les unit. S’ils se rencontrent toujours plus souvent et plus assidûment devant le Christ dans la prière, ils pourront prendre courage pour faire face à toute la douloureuse et humaine réalité des divisions, et ils se retrouveront ensemble dans la communauté de l’Eglise que le Christ forme sans cesse dans l’Esprit Saint, malgré toutes les faiblesses et malgré les limites humaines.

23. Enfin, la communion de prière amène à porter un nouveau regard sur l’Eglise et sur le christianisme. On ne doit pas oublier, en effet, que le Seigneur a demandé au Père l’unité de ses disciples, afin qu’elle rende témoignage à sa mission et que le monde puisse croire que le Père l’avait envoyé (cf. Jn 17,21). On peut dire que le mouvement œcuménique s’est mis en marche, en un sens, à partir de l’expérience négative de ceux qui, annonçant l’unique Evangile, se réclamaient chacun de sa propre Eglise ou de sa Communauté ecclésiale ; une telle contradiction ne pouvait pas échapper à ceux qui écoutaient le message de salut et qui trouvaient là un obstacle à l’accueil de l’annonce évangélique. Cette grave difficulté n’est malheureusement pas surmontée. Il est vrai que nous ne sommes pas en pleine communion. Et pourtant, malgré nos divisions, nous sommes en train de parcourir la route de la pleine unité, de l’unité qui caractérisait l’Eglise apostolique à ses débuts, et que nous recherchons sincèrement : guidée par la foi, notre prière commune en est la preuve. Dans la prière, nous nous réunissons au nom du Christ qui est Un. Il est notre unité.

La prière « œcuménique » est au service de la mission chrétienne et de sa crédibilité. C’est pourquoi elle doit être particulièrement présente dans la vie de l’Eglise et dans toutes les activités qui ont pour but de favoriser l’unité des chrétiens. C’est comme si nous devions toujours retourner au Cénacle du Jeudi saint pour nous réunir, bien que notre présence commune en ce lieu doive attendre encore sa réalisation parfaite, jusqu’au moment où, les obstacles opposés à la parfaite communion ecclésiale étant surmontés, tous les chrétiens se réuniront dans l’unique célébration de l’Eucharistie.

24. C’est une joie de constater que les nombreuses rencontres œcuméniques comportent presque toujours la prière et qu’elle en est même le sommet. La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, que l’on célèbre en janvier, ou vers la Pentecôte dans certains pays, est devenue une tradition répandue et ferme. Mais en dehors de cette semaine aussi, les occasions sont nombreuses au cours de l’année où les chrétiens sont amenés à prier ensemble. A ce propos, je voudrais rappeler l’expérience particulière que représente le pèlerinage du Pape parmi les Eglises, dans les différents continents et les divers pays de l’oikoumenè contemporaine. Ce fut le Concile Vatican II, j’en suis bien conscient, qui orienta le Pape vers cet aspect particulier de l’exercice de son ministère apostolique. On peut aller plus loin. Le Concile a fait de ce pèlerinage du Pape un devoir bien défini pour remplir son rôle d’Évêque de Rome au service de la communion. Mes visites ont presque toujours comporté une rencontre œcuménique et la prière commune de frères qui cherchent l’unité dans le Christ et dans son Eglise. Je me rappelle avec une émotion toute particulière la prière commune avec le Primat de la Communion anglicane dans la cathédrale de Cantorbéry le 29 mai 1982, lorsque, dans cet admirable édifice, je reconnaissais un « témoignage éloquent à la fois de nos longues années d’héritage commun et des tristes années de division qui ont suivi » ; je ne puis oublier non plus celles qui ont eu lieu dans les pays scandinaves et nordiques (1er au 10 juin 1989), dans les Amériques ou en Afrique, ou la prière au siège du Conseil œcuménique des Eglises (12 juin 1984), l’organisme qui se donne pour fin d’appeler les Eglises et les Communautés ecclésiales qui en sont membres à aller vers « le but de l’unité visible en une seule foi et une seule communion eucharistique, s’exprimant dans le culte et la vie commune en Christ ». Et comment pourrais-je jamais oublier ma participation à la liturgie eucharistique dans l’Eglise Saint-Georges, au Patriarcat œcuménique (30 novembre 1979), et la célébration dans la Basilique Saint-Pierre, au cours de la visite à Rome de mon vénéré Frère, le Patriarche Dimitrios Ier (6 décembre 1987) ? En cette circonstance, à l’autel de la Confession, nous professions ensemble le Symbole de Nicée-Constantinople, selon le texte original grec. Ces quelques mots ne suffisent pas à décrire les traits spécifiques de chacune de ces rencontres de prière. En raison des conditionnements venus du passé qui, de diverses manières, pèsent sur chacune d’elles, elles ont toutes une éloquence propre et unique ; toutes sont gravées dans la mémoire de l’Eglise que le Paraclet oriente vers la recherche de l’unité de tous ceux qui croient au Christ.

25. Le Pape ne s’est pas fait seulement pèlerin. Au cours de ces années, de nombreux dignes représentants d’autres Eglises et Communautés ecclésiales m’ont rendu visite à Rome et j’ai pu prier avec eux, publiquement ou en privé. J’ai déjà évoqué la présence du Patriarche œcuménique Dimitrios Ier. Je voudrais rappeler aussi la rencontre de prière qui m’a uni, dans la même Basilique Saint-Pierre, aux Archevêques luthériens, primats de Suède et de Finlande, pour la célébration des vêpres, à l’occasion du sixième centenaire de la canonisation de sainte Brigitte (5 octobre 1991). C’est là un exemple, parce que la conscience du devoir de prier pour l’unité est devenue partie intégrante de la vie de l’Eglise. Il n’y a pas d’événement important et significatif qui ne soit enrichi par la présence mutuelle et par la prière des chrétiens. Il m’est impossible d’énumérer toutes ces rencontres, et pourtant chacune mériterait d’être citée. Vraiment, le Seigneur nous a pris par la main et nous conduit. Ces échanges et ces prières ont déjà écrit page après page dans notre « Livre de l’unité », un « Livre » que nous devons toujours feuilleter et relire pour en retirer des motifs d’inspiration et d’espérance.

26. La prière, la communauté de prière, nous permet toujours de retrouver la vérité évangélique de cette parole : « Vous n’avez qu’un seul Père » (Mt 23,9), ce Père, Abba, invoqué par le Christ lui-même, Lui qui est le Fils unique, de la même substance. Et aussi : « Vous n’avez qu’un seul maître, et tous vous êtes des frères » (Mt 23,8). La prière « œcuménique » dévoile cette dimension fondamentale de la fraternité dans le Christ, qui est mort pour rassembler les fils de Dieu dispersés, afin que, devenant « fils dans le Fils » (cf. Ep 1,5), nous reflétions plus pleinement l’insondable réalité de la paternité de Dieu et, en même temps, la vérité sur l’humanité de chacun et de tous.

La prière « œcuménique », la prière des frères et des sœurs exprime tout cela. Parce qu’ils sont divisés, ils s’unissent dans le Christ avec une espérance d’autant plus forte, en lui confiant l’avenir de leur unité et de leur communion. A ce propos, on pourrait citer une fois encore opportunément l’enseignement du Concile : « Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour lui demander que tous soient un ... comme nous, nous sommes un (Jn 17,21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison humaine, et il suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des Personnes divines et l’union des fils de Dieu dans la vérité et l’amour ».

La conversion du cœur, condition essentielle de toute recherche authentique de l’unité, naît de la prière qui l’oriente vers son accomplissement : « C’est à partir du renouveau de l’esprit, du renoncement à soi-même et de la libre effusion de la charité que naissent et mûrissent les désirs de l’unité. Par conséquent, il nous faut implorer l’Esprit divin pour lui demander la grâce d’une sincère abnégation, celle de l’humilité et de la bienveillance dans le service, celle d’une générosité fraternelle envers les autres ».

27. Prier pour l’unité n’est cependant pas réservé à ceux qui vivent dans un milieu où les chrétiens sont divisés. Du dialogue intime et personnel que chacun de nous doit entretenir avec le Seigneur par la prière, la préoccupation de l’unité ne peut être exclue. C’est seulement de cette manière, en effet, qu’elle fera pleinement et réellement partie de notre vie et des devoirs qui nous reviennent dans l’Eglise. Pour réaffirmer cette nécessité, j’ai voulu proposer aux fidèles de l’Eglise catholique un modèle qui me paraît exemplaire, celui d’une sœur trappistine, Marie-Gabrielle de l’Unité, que j’ai proclamée bienheureuse le 25 janvier 1983. Sœur Marie-Gabrielle, appelée par sa vocation à être en dehors du monde, a consacré son existence à la méditation et à la prière centrées sur le chapitre 17 de l’Evangile selon saint Jean et elle a offert sa vie pour l’unité des chrétiens. Voilà ce qui est au centre de toute prière : l’offrande totale et sans réserve de la vie au Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint. L’exemple de sœur Marie-Gabrielle nous instruit, il nous fait comprendre qu’il n’y a pas de moments, de situations ou de lieux particuliers pour prier pour l’unité. La prière du Christ au Père est un modèle pour tous, toujours et en tout lieu.

Le dialogue œcuménique

28. Si la prière est l’« âme » du renouveau œcuménique et de l’aspiration à l’unité, tout ce que le Concile définit comme « dialogue » se fonde sur elle et en reçoit un soutien. Cette définition n’est certes pas sans lien avec la pensée personnaliste actuelle. La disposition au « dialogue » se situe au niveau de la nature de la personne et de sa dignité. Du point de vue philosophique, une telle position se rattache à la vérité chrétienne exprimée par le Concile sur l’homme : en effet, il est la « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » ; l’homme ne peut donc « pleinement se trouver que par le don désintéressé de luimême ». Le dialogue est un passage obligé sur le chemin à parcourir vers l’accomplissement de l’homme par lui-même, de l’individu de même que de toute communauté humaine. Bien que le concept de « dialogue » semble mettre au premier plan le moment cognitif (dia-logos), tout dialogue comporte de soi une dimension globale et existentielle. Le sujet humain tout entier y est impliqué ; le dialogue entre les communautés engage de manière particulière en chacune d’elles sa qualité de sujet.

Cette vérité du dialogue, si profondément exprimée par le Pape Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam, a été intégrée également dans la doctrine et la pratique œcuméniques du Concile. Le dialogue ne se limite pas à un échange d’idées. En quelque manière, il est toujours un « échange de dons ».

29. Pour cette raison, le décret conciliaire sur l’œcuménisme met aussi en relief « tous les efforts pour éliminer les paroles, les jugements et les actes qui ne correspondent ni en justice ni en vérité à la situation de nos frères séparés et qui, à cause de cela, rendent plus difficiles les relations avec eux ». Ce document aborde la question du point de vue de l’Eglise catholique et il présente les critères qu’elle doit appliquer à l’égard des autres chrétiens. En tout cela s’impose aussi la réciprocité. S’en tenir à ces critères est un devoir pour chacune des parties qui veulent mener un dialogue et c’est un préalable pour l’entamer. Il faut passer d’une position d’antagonisme et de conflit à une position où l’un et l’autre se reconnaissent mutuellement comme des partenaires. Quand on commence à dialoguer, chacune des parties doit présupposer une volonté de réconciliation chez son interlocuteur, une volonté d’unité dans la vérité. Pour réaliser cela, il faut que les manifestations d’hostilité mutuelle disparaissent. C’est ainsi seulement que le dialogue aidera à surmonter la division et pourra rapprocher de l’unité.

30. On peut affirmer, dans une ardente action de grâce à l’Esprit de vérité, que le Concile Vatican II a été un moment béni, pendant lequel ont été réunies les conditions essentielles de la participation de l’Eglise catholique au dialogue œcuménique. Par ailleurs, la présence de nombreux observateurs de différentes Eglises et Communautés ecclésiales, leur engagement profond dans l’événement conciliaire, les nombreuses rencontres et les prières communes que le Concile a rendues possibles, tout cela a contribué à réaliser concrètement les conditions pour dialoguer ensemble. Pendant le Concile, les représentants des autres Eglises et Communautés chrétiennes ont pu constater la disponibilité au dialogue de l’épiscopat catholique du monde entier et, en particulier, celle du Siège apostolique.

Les structures locales du dialogue

31. Loin d’être une prérogative exclusive du Siège apostolique, la responsabilité du dialogue œcuménique, clairement déclarée depuis le temps du Concile, incombe aussi aux Eglises locales ou particulières. Des commissions pour la promotion de l’esprit et de l’action œcuméniques ont été instituées par les Conférences épiscopales et par les Synodes des Eglises orientales catholiques. Des structures analogues agissent opportunément au niveau des diocèses. Ces initiatives confirment l’engagement concret et général de l’Eglise catholique dans l’application des orientations conciliaires sur l’œcuménisme : c’est là un aspect essentiel du mouvement œcuménique. Le dialogue n’a pas seulement été entrepris, il est devenu une nécessité explicite, une des priorités de l’Eglise ; par suite, la « technique » nécessaire à la conduite du dialogue a été affinée, et cela a favorisé en même temps l’esprit de dialogue. Il s’agit d’abord ici du dialogue entre les chrétiens des diverses Eglises ou Communautés, « mené entre experts convenablement informés, qui permet à chacun d’expliquer plus à fond la doctrine de sa communauté et d’en présenter de façon claire les traits caractéristiques ». Mais il convient que l’ensemble des fidèles connaissent la méthode qui permet le dialogue.

32. Ainsi que l’affirme la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, « la vérité doit être cherchée selon la manière qui est propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par la voie d’une libre recherche, par le moyen de l’enseignement ou de l’éducation, de l’échange et du dialogue, grâce auxquels les hommes exposent les uns aux autres la vérité qu’ils ont trouvée, ou qu’ils pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la recherche de la vérité ; une fois que la vérité est connue, il faut y adhérer fermement par un assentiment personnel ».

Le dialogue œcuménique a une importance primordiale. « Par ce dialogue, tous acquièrent une connaissance plus conforme à la vérité et une estime plus juste de la doctrine et de la vie de chacune des Communautés ; ces Communautés en viennent aussi à une collaboration plus large dans toutes les tâches visant le bien commun selon les exigences de toute conscience chrétienne, et se rassemblent pour la prière commune, là où c’est permis. Enfin tous examinent leur fidélité à la volonté du Christ au sujet de l’Eglise, et entreprennent avec empressement, comme il le faut, l’œuvre de rénovation et de réforme ».

Le dialogue comme examen de conscience

33. Dans l’intention du Concile, le dialogue œcuménique a le caractère d’une recherche commune de la vérité, en particulier en ce qui concerne l’Eglise. En effet, la vérité forme les consciences et oriente leur action en faveur de l’unité. En même temps, elle demande que soient confrontées à la prière du Christ pour l’unité la conscience et les œuvres des chrétiens, frères séparés. Il y a synergie entre la prière et le dialogue. Une prière plus profonde et plus lucide permet au dialogue de donner des fruits plus abondants. Si, d’une part, la prière est la condition du dialogue, d’autre part, elle en devient le fruit, d’une manière toujours plus accomplie.

34. Grâce au dialogue œcuménique, nous pouvons parler d’une plus grande maturité de notre prière œcuménique commune les uns pour les autres. Cela est rendu possible dans la mesure où le dialogue remplit en même temps le rôle d’un examen de conscience. Comment ne pas se rappeler à ce propos les paroles de la première Lettre de Jean ? « Si nous disons : "Nous n’avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui , fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité » (1, 8-9). Jean nous conduit encore plus loin quand il affirme : « Si nous disons : "Nous n’avons pas péché", nous faisons de lui un menteur, et sa parole n’est pas en nous » (1, 10). Un appel tout aussi radical à reconnaître notre condition de pécheurs doit être également l’un des traits caractéristiques de l’esprit dans lequel on aborde le dialogue œcuménique. Si celui-ci ne devenait pas un examen de conscience, en quelque sorte un « dialogue des consciences », pourrions-nous compter sur l’assurance que nous communique la même Lettre ? « Petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (2, 1-2). Tous les péchés du monde ont été portés dans le sacrifice salvifique du Christ et donc aussi ceux qui ont été commis contre l’unité des chrétiens, les péchés des chrétiens, des pasteurs non moins que des fidèles. Même après les nombreux péchés qui ont entraîné les divisions historiques, l’unité des chrétiens est possible, à condition que nous soyons humblement conscients d’avoir péché contre l’unité et convaincus de la nécessité de notre conversion. Ce ne sont pas seulement les péchés personnels qui doivent être remis et surmontés, mais aussi les péchés sociaux, pour ainsi dire les « structures » mêmes du péché, qui ont entraîné et peuvent entraîner la division et la confirmer.

35. Le Concile nous vient en aide une fois encore. On peut dire que tout le décret sur l’œcuménisme est pénétré par l’esprit de conversion. Dans ce document, le dialogue œcuménique revêt un caractère spécifique ; il se transforme en « dialogue de la conversion » et donc, selon l’expression du Pape Paul VI, en un authentique « dialogue du salut ». Le dialogue ne peut pas se dérouler suivant une démarche exclusivement horizontale, restant limité à la rencontre, à l’échange des points de vue ou même des dons propres à chacune des Communautés. Il tend aussi et surtout à avoir une dimension verticale qui l’oriente vers celui qui, Rédempteur du monde et Seigneur de l’histoire, est notre réconciliation. La dimension verticale du dialogue réside dans la reconnaissance commune et réciproque de notre condition d’hommes et de femmes qui ont péché. Et c’est ce dialogue qui ouvre pour les frères vivant dans des communautés qui ne sont pas en pleine communion entre elles l’espace intérieur où le Christ, source de l’unité de l’Eglise, peut agir efficacement avec toute la puissance de son Esprit Paraclet.

Le dialogue pour résoudre les divergences

36. Le dialogue est aussi un instrument naturel pour confronter les différents points de vue et surtout pour examiner les divergences qui font obstacle à la pleine communion des chrétiens entre eux. Le décret sur l’œcuménisme s’applique, en premier lieu, à décrire les dispositions intérieures dans lesquelles les conversations doctrinales doivent être abordées : « Dans le dialogue œcuménique, les théologiens catholiques, attachés à la doctrine de l’Eglise, doivent en outre procéder avec amour de la vérité, charité et humilité, en menant, ensemble avec les frères séparés, leurs recherches sur les divins mystères ».

L’amour de la vérité est la dimension la plus profonde d’une recherche authentique de la pleine communion entre les chrétiens. Sans cet amour, il serait impossible d’aborder les difficultés objectives d’ordre théologique, culturel, psychologique et social que l’on rencontre dans l’examen des divergences. L’esprit de charité et d’humilité doit être inséparablement associé à cette dimension intérieure et personnelle : charité envers l’interlocuteur, humilité devant la vérité que l’on découvre et qui pourrait demander la révision de certaines affirmations ou de certaines attitudes.

En ce qui concerne l’étude des divergences, le Concile requiert un exposé clair de toute la doctrine. En même temps, il demande que, dans l’exposition de la doctrine catholique, la manière et la méthode ne soient pas un obstacle au dialogue avec les frères. Il est certainement possible de témoigner de sa propre foi et d’en expliquer la doctrine d’une manière qui soit juste, loyale et compréhensible, tout en tenant compte simultanément des catégories mentales et de l’expérience historique concrète de l’autre.

Evidemment, la pleine communion devra être réalisée par l’acceptation de la vérité tout entière, à laquelle l’Esprit Saint introduit les disciples du Christ. Il faut donc éviter absolument toute forme de réductionnisme ou de « concordisme » facile. Les questions sérieuses doivent être résolues, parce que, si elles ne l’étaient pas, elles réapparaîtraient en d’autres temps, sous la même forme ou sous un autre visage.

37. Le décret Unitatis redintegratio précise aussi un critère à observer lorsqu’il s’agit pour les catholiques de présenter et de confronter les doctrines : « Ils se souviendront qu’il existe un ordre ou une "hiérarchie" des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne. Ainsi sera frayée la voie qui les incitera tous, dans une émulation fraternelle, à une connaissance plus profonde et une présentation plus claire des insondables richesses du Christ ».

38. Dans le dialogue, on se heurte inévitablement au problème des différentes formulations par lesquelles s’exprime la doctrine dans les diverses Eglises et Communautés ecclésiales, ce qui a maintes conséquences pour la tâche de l’œcuménisme.

En premier lieu, devant des formulations doctrinales qui se séparent des formules en usage dans la communauté à laquelle on appartient, il convient manifestement de discerner si les paroles ne recouvrent pas un contenu identique, ainsi qu’il a été constaté, par exemple, dans des déclarations communes récentes, signées par mes Prédécesseurs ou moi-même et des Patriarches d’Eglises avec lesquelles existait depuis des siècles un contentieux christologique. En ce qui concerne la formulation des vérités révélées, la déclaration Mysterium Ecclesiæ affirme : « Les vérités que l’Eglise entend réellement enseigner par ses formules dogmatiques sont sans doute distinctes des conceptions changeantes propres à une époque déterminée ; mais il n’est pas exclu qu’elles soient éventuellement formulées, même par le Magistère, en des termes qui portent des traces de telles conceptions. Tout considéré, on doit dire que les formules dogmatiques du Magistère ont été aptes dès le début à communiquer la vérité révélée et que, demeurant inchangées, elles la communiqueront toujours à ceux qui les interpréteront bien ». A ce sujet, le dialogue œcuménique, qui incite les parties impliquées à s’interroger, à se comprendre et à s’expliquer mutuellement, permet des découvertes inattendues. Les polémiques et les controverses intolérantes ont transformé en affirmations incompatibles ce qui était en fait le résultat de deux regards scrutant la même réalité, mais de deux points de vue différents. Il faut trouver aujourd’hui la formule qui, saisissant cette réalité intégralement, permette de dépasser des lectures partielles et d’éliminer des interprétations erronées.

L’un des avantages de l’œcuménisme est que son entremise aide les Communautés chrétiennes à découvrir l’insondable richesse de la vérité. Là aussi, toute l’œuvre de l’Esprit dans les « autres » peut contribuer à l’édification des diverses communautés et, en un sens, à les instruire sur le mystère du Christ. L’œcuménisme authentique est une grâce de vérité.

39. Enfin, le dialogue place les interlocuteurs devant les divergences réelles qui concernent la foi. Il faut surtout que ces divergences soient abordées dans un esprit sincère de charité fraternelle, de respect des exigences de sa conscience et de la conscience du prochain, avec une humilité profonde et l’amour de la vérité. Dans ce domaine, la confrontation a lieu par rapport à deux références essentielles : la sainte Ecriture et la grande Tradition de l’Eglise. Pour leur part, les catholiques sont aidés par le Magistère toujours vivant de l’Eglise.

La collaboration pratique

40. Les relations entre les chrétiens ne visent pas seulement la connaissance réciproque, la prière commune et le dialogue. Elles prévoient et demandent dès maintenant toutes les collaborations pratiques possibles à divers niveaux, pastoral, culturel, social et aussi dans le témoignage du message de l’Evangile.

« La collaboration de tous les chrétiens exprime de façon vivante l’union qui existe déjà entre eux, et fait paraître le visage du Christ Serviteur dans une lumière plus pleine ». Cette collaboration fondée sur la foi commune est riche de communion fraternelle, mais elle est aussi une épiphanie du Christ lui-même.

En outre, la collaboration œcuménique est une véritable école d’œcuménisme, c’est une voie dynamique dans le sens de l’unité. L’unité d’action mène à la pleine unité de la foi : « Par cette collaboration, tous ceux qui croient au Christ peuvent facilement apprendre comment on peut mieux se connaître les uns les autres, s’estimer davantage et préparer la voie à l’unité des chrétiens ».

Aux yeux du monde, la collaboration entre les chrétiens coïncide avec le témoignage chrétien commun et elle devient un moyen d’évangélisation au bénéfice des uns et des autres.


Accueil | Version Mobile | Faire un don | Contact | Qui sommes nous ? | Plan du site | Information légales