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 - 24 avril 2024 - Sainte Marie-Euphrasie Pelletier
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Homélie

Saint Laurent, diacre et martyr

Jésus reprend l’image familière du grain de blé. Cette fois, celui-ci ne représente pas sa parole semée dans la terre de nos cœurs, mais il est identifié à Jésus lui-même. L’antithèse est vigoureuse et paradoxale : ne pas mourir, c’est se condamner à la solitude, c’est-à-dire à la stérilité ; par contre accepter de mourir est supposé donner accès à une fécondité abondante !
Les deux versets suivants vont nous aider à approfondir cette étonnante affirmation. L’antithèse est tout aussi fortement affirmée : aimer sa vie, s’y attacher, conduit inexorablement à la perdre ; par contre, s’en détacher – littéralement la haïr – serait le seul moyen de la garder ! Tout ceci n’est-il pas contradictoire ? Comment puis-je garder ce que j’accepte de perdre, bien plus : ce dont je me défais ? Il faut donc y regarder de plus près.
Une lecture plus attentive révèle que les deux vies, celle qu’on accepte de perdre et celle qu’on garde au-delà de cette rupture consentie, ne sont en fait pas les mêmes.
Une double nuance les sépare. La première n’apparaît pas dans la traduction française : le terme grec est en effet différent dans les deux cas. La vie qu’il s’agit de perdre est la psyche, traduction de la nephesh hébraïque, terme qui désigne la vie individuelle, ce que nous appellerions le « moi ». Alors que la vie qui sera gardée est désignée par le terme « zoé », la vie au sens fort, opposée à la mort.
Ensuite le second terme, la zoé est qualifiée d’« éternelle » : la nuance est de taille et ouvre de nouveaux horizons. Toute réalité naturelle créée a nécessairement une origine temporelle ; elle pourrait donc tout au plus être immortelle mais en aucun cas éternelle, prérogative qui n’appartient qu’à Dieu seul. Pourtant la zoé est bien qualifiée d’éternelle. Il reste donc que cette vie, qui ne peut être gardée qu’au prix du renoncement au moi individuel, n’est pas la vie naturelle, mais la vie divine elle-même.
Ce terme, « zoé », éveille en moi des souvenirs d’enfance : j’avais une très, très vieille tante qui portait ce nom. Elle était si vieille aux yeux de l’enfant que j’étais, qu’elle m’apparaissait toute fripée, comme un parchemin, ou comme ces pommes qui ont passé l’hiver au grenier. Pourtant nous aimions la fréquenter, en raison de son sourire. Sans le vouloir, et sans doute sans le savoir, tante zoé nous réconciliait avec la mort.
Qu’il est important le sourire des vieillards ! Quel témoignage d’espérance. Je suis convaincu que c’est la toute première mission que leur donne le Seigneur : par leur attitude, témoigner de la jeunesse de la vie, même lorsqu’elle anime un corps qui va vers la mort. Dans le sourire d’une personne âgée, nous pressentons cette mystérieuse complicité entre la nature et la grâce, réconciliés dans la Pâque de Jésus : « Maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur s’en aller, en paix selon ta parole » ; je peux déposer ma vie naturelle : je suis sûr de ta fidélité ; tu me couvriras de ta Zoé éternelle : bénis sois-tu !
Revenons à notre Evangile ; au terme d’une lecture superficielle, on aurait pu penser que le renoncement au moi individuel et l’ouverture à l’autre permettaient de sauvegarder et d’épanouir la vie naturelle, éventuellement même de la garder au-delà de la mort physique, selon la conception grecque de l’immortalité de l’âme. Mais ce n’est pas cela qui est annoncé : il n’est pas question du prolongement de la vie naturelle, mais de l’accueil d’une autre vie, divine, transition qui suppose le passage par la mort à la vie naturelle.
Du coup, l’articulation avec les premiers versets apparaît clairement : il faut que le grain de blé meure - cette nécessité est répétée par deux fois - pour qu’il puisse accueillir une autre vie qui lui permettra de porter beaucoup de fruit, et un fruit qui demeure. Cette mort ne peut se comprendre que comme un renoncement au mouvement spontané du moi psychique, qui consiste à tout attirer à lui ; et un engagement résolu au service, au don de soi total, sans retour : « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ».
Le thème du passage obligé par la mort du vieil homme pour que puisse naître l’homme nouveau sera un thème récurrent chez Saint Paul : « Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle » (Ga 6,8).
Il ne faudrait pas édulcorer cette mort en la réduisant à une expression symbolique, signifiant tout au plus la nécessité d’inverser une tendance et de sortir de notre égoïsme spontané pour « sauver » sa vie ; encore une fois : ce serait une lecture trop superficielle. L’exigence est bien plus radicale ; il suffit de regarder la Croix pour s’en convaincre.
Une généreuse philanthropie est à la portée de l’être psychique, qui justifie ainsi sa survie. Mais les œuvres de la chair n’hériteront pas du Royaume. Le chrétien devrait se caractériser par une radicalité dans le don qui ne laisse aucun doute sur le dynamisme qui l’habite. C’est peut-être parce que nous n’osons pas faire le pas de la confiance et livrer notre moi individuel au Feu de la charité, que nous n’interpellons plus nos contemporains comme le faisaient les premiers chrétiens, en particulier Saint Laurent que nous fêtons aujourd’hui.
Mais il n’est jamais trop tard pour se convertir : c’est aujourd’hui que cette Parole nous surprend, nous dérange, nous provoque. Demandons la grâce de choisir le camp de Dieu contre notre moi psychique et acceptons de mourir à ce que nous aurons en tout cas à quitter bientôt, afin de vivre dès à présent de la « zoé » divine du Christ ressuscité.

« “A semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement, on récolte largement” (1ère lect.) : que l’exemple de Saint Laurent nous stimule, Seigneur. Sûrs que tu es “assez puissant pour nous donner toute grâce en surabondance” (Ibid.), nous voulons nous lever résolument en réponse à ton appel, afin de te suivre avec un élan renouvelé sur le chemin qui passe par le porche étroit de la Croix, pour déboucher dans la lumière de la Zoé divine qui ne finira pas. »


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