Saint Vincent de Paul, prêtre

Le dénuement que Jésus attend de ses disciples est réel. Voilà ce qui frappe en général à lecture de cet évangile. Pas de bâton, pas de sac, pas d’argent, pas de pain.

Cette litanie de prescriptions n’a pourtant rien à voir avec une liste d’interdits. Le verset d’introduction est en effet structuré par trois verbes très explicites : « Jésus convoqua », « il leur donna », « il les envoya ». Il est donc question d’un don de la part de Jésus et d’un envoi en mission. Les douze vont illustrer par la pratique le nom qui est le leur : ils sont les apôtres, c’est-à-dire les envoyés.

Ce discours insuffle donc un élan fondamental dans la vie des disciples. Jésus leur explique comment être ce qu’ils sont appelés à devenir et leur donne les moyens d’y parvenir : ils reçoivent pouvoir, autorité et capacité à annoncer le règne de Dieu.

Ils reçoivent aussi des recommandations pratiques, celles qui ont d’abord retenu notre attention. Leur visée première est de garder les disciples dans un état de vulnérabilité. Pourquoi une tunique de rechange ? La Providence ne veille-t-elle pas sur eux ? Pourquoi du pain dans des sacs ? Ne rencontreront-ils pas des hôtes qui les soigneront et qui leur viendront en aide ? Pourquoi un bâton pour se défendre ? Les disciples sont envoyés vers ceux à qui il faut porter la Bonne Nouvelle du Salut et la paix du Royaume. S’il faut la leur porter, c’est qu’ils ne l’ont pas encore. Eux, ou d’autres, peuvent donc être des agresseurs potentiels, il est vrai. Mais la Bonne Nouvelle se propagera-t-elle si les envoyés de Jésus ne s’ouvrent pas à ces frères et s’ils se cachent derrière leurs bâtons ? La logique et la simplicité de ce discours sont évidentes, mais il est vrai que l’on trouve ici l’une des exigences les plus hautes pour les apôtres.

Quoiqu’il en soit, Jésus les invite à vivre pleinement chaque étape de leur marche. Car, aussi rassurantes soient-elles, ces sécurités et ces protections empêcheraient le dynamisme de la vie de l’Esprit. Elles opèrent en effet un détournement progressif de Dieu vers elles, qui font que, bientôt, on les croit plus capables de nous protéger que Dieu lui-même. Elles altèrent aussi les relations fraternelles, créant une distance artificielle qui handicape l’exercice de la charité.

Voilà exactement ce que Jésus ne veut pas. Une nouvelle preuve nous est donnée par sa recommandation liée à l’hébergement des apôtres. Il leur demande de rester dans les maisons qui les accueillent, jusqu’à leur départ. Il y a là, évidemment, une sagesse tout humaine, qui consiste à accepter humblement ce qui est offert, sans chercher une ascèse plus grande ni un confort meilleur. Il est important que les apôtres se sentent chez eux partout où on les accueille. Mais il y a aussi dans cette recommandation un enjeu spirituel important. Rester dans la maison des hôtes jusqu’au moment du départ, cela veut dire rester disponible pour la mission confiée au temps présent. Inutile de se réfugier dans la pensée qu’on sera bientôt parti : tant qu’on est là, il faut y être pleinement. Inutile également de vouloir prolonger le séjour : quand l’heure du départ est venue, il ne faut pas rester davantage.

Seigneur Jésus, que ces prescriptions que tu laisses à tes envoyés éclairent la journée que nous allons passer avec toi. Permets que nous soyons attentifs à honorer les invitations que pourraient nous faire les hôtes que tu places sur notre chemin : ceux qui invitent à un moment de partage, à l’échange de quelques mots, à un bout de chemin parcouru ensemble. Donne-nous d’accueillir humblement ces hospitalités qui nous sont faites et de les vivre pleinement, sans nous interroger indûment sur l’avenir, sans nous protéger abusivement dans nos rapports fraternels. Qu’en toute chose nous restions sûrs de ta présence à nos côtés, disponibles à te servir et à annoncer par notre vie la Bonne Nouvelle que tu portes aux hommes.