33e dimanche du Temps Ordinaire

A l’approche de la fin de l’année liturgique, l’Eglise nous invite à tourner nos regards vers la fin des temps. Mais comment évoquer une réalité qui demeure encore cachée en Dieu ? Jésus réussit cette prouesse en se servant d’images contrastées, qui suggèrent plus qu’elles ne décrivent la réalité mystérieuse de l’accomplissement de l’histoire.
Fidèle au genre littéraire apocalyptique dont il se sert, Notre-Seigneur commence par évoquer un grand ébranlement cosmique : même les luminaires ne nous serviront plus de repères pour nous orienter au cœur de la « terrible détresse » qui s’abattra sur l’humanité. Or c’est au moment où l’œuvre de la création semblera définitivement compromise, qu’apparaîtra « sur les nuées, le Fils de l’homme, avec grande puissance et grande gloire ». On dirait que Dieu éteint les lumières (le soleil, la lune, les étoiles) pour qu’éclate d’autant mieux la gloire de Celui qui surgit.
« Alors on verra le Fils de l’homme » : au sens biblique, le verbe « voir » ne désigne pas d’abord une vision sensible, mais plutôt une vision spirituelle, procédant d’une connaissance intime. Sans doute faut-il lire dans ces versets une allusion à peine voilée aux événements de la Passion : après le drame du Golgotha qui plonge la terre dans les ténèbres, la gloire du ressuscité illumine le matin de Pâque. Tous cependant ne sont pas entrés dans la joie pascale. Seuls ceux qui ont « vu » le Ressuscité de ce regard spirituel ont compris qu’un Monde Nouveau venait de faire irruption au cœur de l’ancien ; qu’une humanité nouvelle naissait de la mort-résurrection du Fils de l’homme. L’expérience des premières communautés chrétiennes est incontestablement unique ; pourtant, elle demeure d’actualité pour nous. Dans la nuit de ce monde en détresse, ne sommes-nous pas nous aussi invités à discerner la flamme de l’espérance évangélique ?
L’image apocalyptique suggérée par le Christ culmine dans le troisième volet du triptyque : le rassemblement universel de tous les élus. Le Christ élevé de terre, a « rassemblé dans l’unité tous les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). « Par son sacrifice unique, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qui reçoivent de lui la sainteté » (2nd lect.). La mission des Anges à laquelle Jésus fait allusion, consiste à porter le fruit de cette victoire « à tous ceux dont le nom se trouvera dans le livre de Dieu » (1ère lect.).
Ces événements grandioses que décrit Notre-Seigneur, ne constituent pas une prophétie pour un lointain avenir : ils sont déjà en train de se réaliser, mais dans la plus grande discrétion, au point de passer inaperçus au plus grand nombre. Il faut faire preuve de beaucoup de discernement pour lire les signes des temps et décrypter le moment de la venue du Fils de l’homme. Car il se manifeste avec la délicatesse d’un bourgeon de figuier qui éclate au soleil de printemps. Ce n’est pas dans un spectacle éblouissant qu’il nous faut attendre le retour du Seigneur : c’est enveloppé de la même humilité que celle dont il était drapé lors de sa première venue dans la nuit de Noël, qu’il continue à venir dans la nuit de notre foi.
Tous nous « dormons dans la poussière de la terre » (1ère lect.) ; entendons : nous ne percevons que les choses de ce monde et nous interprétons les événements de manière terrestre. Pourtant dans la foi nous pouvons dès à présent « garder le Seigneur devant nous sans relâche, car il se tient bien réellement à notre droite » (Ps 15). Dans la mesure même où nous mettrons en lui tout notre espoir, nos yeux aveugles s’ouvriront à la lumière, et nous découvriront le Soleil de justice, « Jésus Christ, qui, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu » (2nd lect.).
« Cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive » : toutes les générations qui se succèdent depuis la Résurrection du Seigneur sont en effet confrontées à l’urgence de ce même discernement, dont dépend le sens de leur vie. L’histoire – la nôtre et celle de l’humanité – est désormais focalisée sur Jésus ressuscité, qui ne cesse de venir au devant de chacun de nous pour nous entraîner à sa suite. L’avenir appartient définitivement au Seigneur de gloire : la Parousie est déjà donnée en germe dans la Résurrection. A nous de tirer profit du temps présent pour hâter son déploiement définitif.
Le désir du Royaume n’est pas pour autant une utopie démobilisatrice : c’est au contraire au cœur de « ce monde qui passe » que nous sommes invités à vivre toute l’exigence crucifiante de « la Parole qui ne passera pas ». C’est ici et maintenant que nous avons à semer l’Evangile des Béatitudes, sans nous soucier « du jour et de l’heure », puisque « nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père ».
Chemin difficile qui passe nécessairement par l’épreuve de la contradiction ; mais la grande espérance chrétienne illumine nos croix : Jésus ressuscité n’a-t-il pas ouvert une brèche dans l’absurde de nos souffrances et de notre mort ? Déjà les premiers rayons du Jour de Dieu déchirent nos ténèbres, et chaque Eucharistie nous permet d’anticiper le Banquet du Royaume où le Seigneur nous attend.
Oui : dans quelques instants, le Christ va se manifester parmi nous, « avec grande puissance et grande gloire ». Préparons-nous à le voir avec les yeux d’une foi renouvelée, et à l’accueillir dans un cœur brûlant de charité.

« Père, chaque matin nous rapproche du jour de la venue définitive de ton Fils, c’est-à-dire de la pleine manifestation de sa royauté sur l’univers. Ta gloire brûle déjà au cœur du monde comme un feu : donne-nous de discerner sa présence en nous et autour de nous. Accorde-nous surtout de ne pas contrister l’Esprit, mais de consentir à ses appels, afin que vienne ton Règne, et que bientôt - très bientôt - le monde soit transfiguré dans le Feu de la charité. »