Vendredi Saint

La célébration de la Croix ne se prête pas aux longues homélies. Elle est un temps de silence respectueux et amoureux. Un temps où l’homme se tait devant le mystère, où l’Esprit est le seul qu’on peut laisser bruire dans le silence de la nuit pour ouvrir nos yeux au mystère du salut. Partageons seulement quelques mots entendus, qui frappent les esprits et déchirent les cœurs.

D’abord Jésus, déjà abandonné des siens, dans le jardin. Il dit « C’est moi » ! Il se présente à sa mort. Il décrète souverainement l’entrée dans sa Passion. Il se livre, librement, il se constitue prisonnier pour que nous ayons la liberté : « ceux-là, laissez-les partir ».

Le deuxième mot retentit dans le monde païen. « Ecce homo », « voici l’homme ». Voilà bien l’homme en effet. Voilà bien notre portrait. Dans le visage tuméfié de Jésus, nous contemplons les ravages du péché sur notre humanité. Le plus beau des enfants des hommes n’avait plus figure humaine. Plus tard, Pilate insiste : « ecce Rex », « voici votre roi ». Nous contemplons bien la royauté de Jésus, mais elle vécue dans l’ignominie et la souffrance. À cause du péché, voici le roi nu au centre de l’Histoire, comme jadis l’homme s’est trouvé nu au centre de la Création.

Puis Jésus monte enfin sur le trône de la Croix. Dépouillé de sa tunique, de sa robe sacerdotale, il est exposé entre deux malfaiteurs. Comme jadis Moïse soutenu par Aaron et Hour, Jésus exerce son sacerdoce, gardant les bras étendus entre ciel et terre, intercédant pour les siens jusqu’à la victoire.

« J’ai soif ». Jésus a soif de nous donner la vie divine, de nous donner l’Esprit, de nous conduire au Père. Puis il incline la tête et rend l’Esprit au Père. C’est là le sommet et le centre de sa vie : le don ultime et total. Jésus abandonne au Père sa soif et sa vie et devient pour nous source d’eau vive, source de l’Esprit.

« Tout est accompli ». Tout a été dit. A travers les résistances et les grandeurs des hommes, Dieu a écrit jusqu’au bout l’histoire du salut.

Jésus est alors enseveli, dans un jardin. Il s’agit bien entendu d’une réminiscence du jardin de la Genèse. Le péché d’Adam a mûri et porte aujourd’hui son fruit. Il en est toujours ainsi du péché. Il se présente d’abord sous des aspects engageants et séducteurs, mais ses conséquences nous demeurent cachées jusqu’à ce que le péché soit consommé et que son fruit de mort ait fait son œuvre. Alors on mesure l’ampleur insoupçonnée des dégâts. Ce soir nous découvrons que le désir d’autonomie qui habite nos cœurs a tué le Fils de Dieu.

Mais cette évocation n’est pas morbide, car l’amour a le dernier mot. Au cœur de la violence qui lui est faite, Jésus fait le don de lui-même. Il répond à la violence par un acte d’amour en faveur des hommes, par le don de son Esprit.

Nous pouvons donc lire le jardin de l’ensevelissement comme une harmonique du jardin du Cantique des Cantiques. Il est le lieu du rendez-vous amoureux de l’âme et de son bien-aimé. La myrrhe et l’aloès qu’apporte Nicodème sont aussi les parfums précieux avec lesquels on fête les noces du roi.

Voilà pourquoi nous n’hésitons pas à contempler cette croix. Elle est l’arbre de vie qui trône au milieu du jardin où sont célébrées les noces de l’Agneau. Les portes du jardin de la Genèse ont été fermées suite à notre révolte, mais voici que ce soir un monde nouveau est inauguré. Du côté ouvert du crucifié a jailli la source de vie, manifestée par l’eau et le sang.

Voilà pourquoi nous n’avons pas peur de la Croix. Nous en sommes fiers. Nous la vénérons dans sa beauté. La mort de Jésus est l’achèvement de l’œuvre de salut et l’accomplissement de l’Écriture. L’Heure de Jésus est celle de sa Gloire. Sa crucifixion est l’élévation du Roi de Vérité sur son trône de Juge universel, Prince de Paix victorieux à jamais.