16e dimanche du Temps Ordinaire

Nous pourrions intituler la liturgie de ce 16ème dimanche du Temps Ordinaire : « Dieu visite son peuple ». La première lecture nous relate le récit de l’accueil réservé par Abraham aux trois mystérieux voyageurs qui s’avèrent être des envoyés de Dieu - voire le Seigneur lui-même.
Dans l’extrait de la lettre aux Colossiens que nous lisons en seconde lecture, saint Paul nous invite à entrer dans la jubilation et l’action de grâce pour la présence du « Christ au milieu de nous, lui, l’espérance de la gloire ».
Enfin l’Évangile nous invite à faire halte avec Jésus dans la maison de Marthe, qui accueille le Seigneur et ses disciples alors « qu’ils étaient en route » vers Jérusalem.

Dans les trois situations, l’issue est pleine d’espérance : le voyageur promet à Abraham que sa femme Sara va concevoir un fils ; saint Paul nous enseigne comment vivre en présence du Christ de manière à devenir participants de sa gloire ; et le Seigneur lui-même se présente à Marthe et à Marie comme l’unique nécessaire en qui tous nos désirs seront comblés, « la meilleure part » qui ne nous « sera pas enlevée ».

Le fait que les disciples disparaissent du récit alors que l’évangéliste mentionne explicitement qu’ils faisaient route avec Jésus, laisse pressentir que l’événement a acquis au sein des premières communautés chrétiennes, une valeur exemplaire. Les trois occurrences du terme « Seigneur » - qui n’était pas utilisé avant Pâques - plaident en ce sens.
Nous apprenons en Jn 11,5 que Jésus aimait la famille de Lazare et aimait se rendre chez eux. Voilà des disciples qui ne sont pas appelés à suivre le Seigneur sur les routes, mais à offrir l’hospitalité à celui qui « n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Lc 9,58).
Le récit ne parle pas de Lazare : les deux sœurs sont seules pour accueillir le Maître. L’aînée est mise explicitement en avant : c’est elle, Marthe, qui est nommée en premier et désignée comme maîtresse de maison. Pourtant Marie apparaît comme la préférée - ce qui souligne la gratuité de l’amour divin. Marthe ne manque d’ailleurs pas de faire remarquer que les rôles sont renversés : en demandant de l’aide, elle revendique en fait la préséance qui lui revient de droit mais que Jésus accorde à sa sœur.
Chacune a librement choisi sa place et les deux attitudes sont louables. La part de Marthe est sans reproche, mais celle de Marie est « la meilleure ». Notre-Seigneur en donne la raison : contrairement à l’activité par laquelle Marthe honore son Hôte divin, la contemplation à laquelle s’adonne Marie « ne lui sera pas enlevée ».
Jésus vient de souligner l’importance du service du prochain dans la parabole du Bon Samaritain. Mais il complète ici cet enseignement en insistant sur la priorité de l’écoute de sa parole dans laquelle notre action doit puiser la charité qui lui donne son prix. Comme le rappelait le Pape Benoît XVI : « Nous avons besoin de Dieu qui se fait notre prochain, pour pouvoir parvenir à être le prochain de tous » (Jésus de Nazareth, 226).

Spontanément l’action est pour nous la sœur aînée, la maîtresse de notre maison. Ne subordonnons-nous pas facilement la prière aux activités ? Or Jésus nous invite à renverser la priorité : le temps d’intimité avec lui devrait primer sur les activités, qui sont appelées à puiser dans la contemplation leur fécondité.
Le Seigneur ne nous reproche pas de nous donner généreusement au service de nos frères en qui nous reconnaissons son visage ; mais le redoublement du « Marthe, Marthe » souligne le déséquilibre - l’activité a englouti la contemplation - et introduit une pointe de reproche dans le propos de Jésus.
Ne nous y trompons pas : nous ne reconnaîtrons plus le Christ dans nos frères si nous ne prenons pas le temps d’imprimer profondément son image dans nos cœurs.
La fécondité de nos vies dépend de l’accueil que nous réserverons, comme le fit Abraham, à l’Emmanuel, Dieu venu nous visiter pour donner à nos activités un poids d’éternité. Car nous ne sommes pas propriétaires de notre ministère, quel qu’il soit : c’est « de l’Église que nous sommes devenus ministres, et la charge que Dieu nous a confiée, c’est d’accomplir sa parole » (2nd lect.) au cœur du monde, par nos tâches quotidiennes, aussi humbles soient-elles.

Comment pourrions-nous vivre dans la paix et l’espérance les souffrances inévitables que nous avons tous à endurer, sinon à la lumière de la Parole, longuement méditée dans la prière ? C’est là, « aux pieds du Seigneur », que nous pouvons interpréter les événements douloureux de notre vie comme une participation aux « épreuves du Christ pour son corps qui est l’Église » (Ibid.).

« A l’heure la plus chaude du jour » (1ère lect.) - c’est-à-dire lorsque tout s’agite autour de nous et que nous risquons de perdre pied - ne nous raidissons pas, ne cherchons pas à « passer en force » ; mais comme Abraham, « levons les yeux », et nous verrons les trois Personnes divines qui se tiennent près de nous.
Nous aussi, comme le Patriarche, « courrons à leur rencontre, prosternons-nous jusqu’à terre et disons : “Seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur” ». Accueillons le dans la maison de notre cœur, et nous tenant assis à ses pieds, refaisons nos forces en nous rassasiant de bon pain de sa Parole.

« Sois béni Seigneur pour ta longue patience. Tu demeures près de nous et nous passons sans te voir ; tu nous offres sans cesse le réconfort de ta Parole et la consolation de ton Esprit, et nous n’en avons cure ; tu frappes à la porte de notre cœur, et nous ne t’ouvrons pas. Car notre foi est trop faible pour discerner le temps de ta visite, entendre le son de ta voix, et percevoir ta présence à nos côtés. Fais-nous la grâce de te donner la priorité dans nos vies, et de ne rien entreprendre sans toi, car nous le reconnaissons : “en dehors de toi, nous ne pouvons rien faire” (Jn 15,5) de bon. »