jeudi, 6ème semaine du temps ordinaire

« Pour les gens, qui suis-je ? » Jésus met à profit la longue marche qu’il a avec ses disciples pour sonder l’opinion qu’ils ont de lui. Commencer par leur demander ce que le grand public pense de lui les aidera à mieux se situer de façon personnelle par rapport à lui.

Après qu’ils se soient fait l’écho de ce que pensent ceux qui les entourent, Jésus va en effet préciser sa question et les inviter chacun à une réponse personnelle. La réponse de foi est toujours personnelle même si elle demeure portée par le credo de toute une communauté. C’est cette réponse-là qu’attend Jésus de la part de Pierre et qu’il attend aussi de chacun de nous : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? » Et toi, que dis-tu ? Pour toi qui suis-je ? »
Telle est la question décisive et unique sur laquelle se joue la vie de tout homme. Car elle est la question qui oblige à situer sa vie par rapport à Celui qui en est l’origine et le terme, par rapport à Celui qui à chaque instant la soutient et la dynamise.

Pierre confesse : « Tu es le Messie » autrement dit “l’Oint de Dieu” ; celui qui vient de la part du Très-Haut. Tu es bien plus qu’un précurseur annonçant celui qui doit venir, ou qu’un prophète lui préparant la route. Le Messie c’est toi : tu es celui sur qui repose en plénitude l’esprit de Sainteté (Is 61, 1), tu es celui qui instaure le Royaume en réconciliant les hommes avec Dieu ».

Pour un juif, « dire » c’est aussi « faire ». Dire à Jésus, comme Pierre, « tu es le Messie », c’est l’accueillir comme tel dans sa vie.
Mais la foi de Pierre, au moment de sa confession, n’est pas encore totalement pure de toute conception humaine. Quelles ne sont pas encore les précompréhensions qui habitent l’intelligence de l’Apôtre au sujet de la personne même du Messie ! Car en effet, de quel Messie parle Pierre ? C’est bien parce que quelque chose n’est pas encore totalement ajusté que Jésus se défie de la messianité divine reconnue en lui par Pierre et qu’il lui défend de la divulguer. Jésus va alors faire progresser Pierre dans la compréhension du mystère de sa personne. Il va ainsi purifier sa foi et la rendre plus conforme à son objet.

« Pour la première fois, il leur enseigna qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. » En ce moment crucial où il vient expressément d’obtenir de ses disciples la première profession de foi en sa messianité, Jésus fait la première annonce de sa Passion. Au rôle glorieux du Messie, il joint le rôle douloureux du Serviteur Souffrant du livre d’Isaïe.

Dépassé par une telle révélation, Pierre se retrouve comme devant une énigme incompréhensible. Tout son être résiste. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce Roi Messie, attendu depuis si longtemps par Israël, comment se peut-il qu’il soit tué à cause des scribes et des pharisiens ? D’ailleurs ces derniers l’attendent aussi. Comment pourraient-ils faire une chose pareille ? Mettre à mort le Messie ? En tout cas, même s’il en était ainsi de leur volonté, moi Pierre je m’y opposerais.

Au lieu de demeurer dans l’unité de la révélation du Père, c’est-à-dire dans la visée de Dieu, Pierre, en projetant sur Jésus sa conception purement humaine du Messie, opère en lui une division. Le diabolos, celui qui divise, a fait son œuvre. Et ayant succombé à la tentation, Pierre par son opposition se fait le tentateur de son Seigneur.
Tombe alors la réponse de Jésus, cinglante : « Passe derrière moi Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ». La glorification de Jésus sera bien une résurrection, mais cela impliquera le passage par la souffrance et la mort. Jésus est venu accomplir toutes les Ecritures, y compris le passage du Serviteur Souffrant du chapitre 53 du livre d’Isaïe.

On comprend alors que la réponse de Pierre à la question de Jésus, « pour vous qui suis-je ? », n’était qu’une demi-réponse ou plutôt un simple commencement de réponse. Pierre n’est en fait qu’au début de son chemin à la suite de Jésus. Un jour, il lui faudra aller plus loin et se laisser même conduire par Jésus là où il ne voudrait pas aller. C’est alors seulement qu’il connaîtra qui est vraiment le Christ.

« Seigneur, viens purifier notre foi. Te suivre est bien plus que le fruit d’une sympathie humaine. Lorsque les croix se présenteront à nous, fais-nous la grâce de ne pas les rejeter mais de voir en elles l’occasion de te suivre de plus prêt sur le chemin du don qui conduit à la vie éternelle. Unis à toi dans le mystère de ta rédemption, le véritable sens de ta messianité nous sera révélé : « Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a donné son Fils, non pour juger mais sauver le monde. Qui croit en lui recevra la vie » (Cf. Jn 3,16-17).