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 - 16 avril 2024 - Saint Benoît-Joseph Labre
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Homélie

Sainte Claire, vierge,

Pierre s’approche de Jésus pour lui poser sa question comme à voix basse. Vu le tempérament « entier » de Pierre tel qu’il ressort des récits évangéliques, on peut imaginer qu’il vient d’avoir un échange un peu vigoureux avec l’un ou l’autre apôtre. Le différend portait probablement sur une broutille comme cela se passe dans toute vie communautaire. Oui mais voilà : les mêmes causes engendrant les mêmes effets, et la vie quotidienne étant assez répétitive, ce genre de situation a elle aussi la fâcheuse tendance à se réitérer. Bougonnant, cherchant peut-être à obtenir de Jésus une approbation - contre son frère ! - notre rude maître-pêcheur exprime son mécontentement par une question à laquelle il n’attend probablement pas de réponse. Comment imaginer de compter les pardons accordés : un, deux… six, sept ! Terminé : l’heure de la vengeance a sonné. On imagine sans peine que la facture à la huitième offense ferait un « prix de gros », de sorte que les pardons antérieurs seraient tout simplement nuls et non advenus.
Mais alors comment en sortir ? On voit bien que si le pardon a une extension limitée, le jour où la barre est franchie, le déferlement de violence rend vains et stériles tous les efforts antérieurs. Mais d’un autre côté, on ne peut tout de même pas s’engager dans une démarche de pardon inconditionnel ? Ce serait de la pure folie : le premier venu abuserait de nous !...
J’imagine Jésus marquant un temps de silence ; puis plongeant ses yeux dans ceux de son apôtre, et posant ses mains sur les solides épaules de son grand gaillard de Pierre, Notre-Seigneur lui dit avec un sourire affectueux : « Je te demande de pardonner, “pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois ” ; car c’est pour cela que je suis venu : pour renverser la logique de Lamek, qui se vantait d’avoir fait payer au coupable “soixante-dix-sept fois” son forfait (Gn 4, 24).
Il me semble que si nous entendons vraiment cette Parole, si nous la laissons descendre en nous, le sol se dérobe sous nos pieds. Quel vertige : ne rien retenir qui enchaînerait l’autre à moi par quelque lien que ce soit : la haine, le ressentiment, la rancœur, etc. Le laisser totalement libre des actes coupables qu’il aurait pu commettre envers moi ; refuser de revendiquer mon droit non par faiblesse, mais pour ne pas être un obstacle sur sa route, dans la certitude que Jésus marche avec lui et saura écrire droit sur ses lignes courbes… Quel vertige, et en même temps : quelle liberté ; non seulement pour l’offenseur absous, mais aussi pour l’offensé, qui se trouve libéré de ses ressentiments.
Somme toute, n’est-ce pas cela aimer ? Le premier mot de l’amour n’est-il pas le respect, en particulier le respect de ce que mon prochain a de plus précieux : cette liberté qui le configure à son Créateur ? « Aimer mon ennemi » signifierait donc avant tout lui pardonner, refuser de le lier par mes sentiments négatifs ; le laisser libre malgré la dette qu’il a contractée envers moi par son offense. Ce qui implique de combattre généreusement, au cœur même de l’offense, du mépris, de l’humiliation, contre les passions qui assaillent inévitablement mon âme.
Jésus sait bien que pour nous une telle attitude est impossible ! Nous pouvons à peine entrevoir intellectuellement ce chemin : comment pourrions-nous y avancer ? L’illustration qu’il nous propose veut nous aider à oser néanmoins tout miser sur cette folie d’amour. C’est de moi, de ma vie que me parle Jésus dans cette parabole par laquelle il désire m’aider à choisir entre les deux voies qui s’ouvrent devant moi à chaque rencontre avec mon prochain : la voie « de la vie et du bonheur » (Dt 30, 15), pour que je vive, moi et ma descendance (cf. Dt 30, 19), en bénissant au lieu de maudire ; ou la voie « de la mort et du malheur » en refusant de partager le bon pain de la miséricorde, dont j’ai pourtant été moi-même le premier bénéficiaire. Car qui donc est ce Roi qui se laisse attendrir par le malheur de son serviteur insolvable et le laisse repartir, libre, alors que le droit élémentaire (dans l’esprit de l’époque) l’autorisait à le garder définitivement à son service ? Qui donc manifeste une telle miséricorde sinon notre Père céleste, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45) ?
C’est peut-être parce qu’il n’a pas pris conscience du prix de sa propre liberté, que ce serviteur ingrat se retire sans même un mot de remerciement, et se jette sur son compagnon endetté. Spontanément nous ressentons tous un malaise devant ce comportement ; bien plus : il nous attriste, comme il « attristait profondément les compagnons » du mauvais serviteur et qu’il attriste Dieu. A nos yeux, cet homme qui vient d’être remis gratuitement dans sa pleine dignité en retrouvant sa liberté, a à nouveau perdu ce bien précieux en refusant de pardonner à son prochain. Puissions-nous nous en souvenir, et éviter d’agir comme lui.

« C’est donc cela que tu voulais me dire Seigneur : tu verserais avec joie “soixante-dix fois sept fois” ton sang pour moi, pour me restaurer gratuitement dans ma dignité filiale. Mais ce qui t’attriste profondément, ce qui attriste le Père et contriste l’Esprit, c’est l’ingratitude qui non seulement me conduit à vivre comme si je n’avais pas envers toi une dette de charité, mais à traiter mes frères comme si je disposais envers eux du jugement et de la justice. Seigneur vient déchirer le voile de mes ténèbres, inonde mon cœur de la douce lumière de ta miséricorde pour que je puisse sans cesse me souvenir en contemplant ta sainte Face, du prix de ma liberté et du prix de la liberté de tous mes frères. Afin que plus jamais je ne prétende réclamer auprès d’eux un dû, alors que toi tu as définitivement épongé toutes nos dettes ».


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