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 - 28 mars 2024 - Saint Gontran
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Homélie

20ème dimanche du temps Ordinaire.

Jésus vient d’avoir une controverse musclée avec les pharisiens sur la notion de « pur et impur » telle qu’elle ressort de « la tradition des anciens ». Comme il a « scandalisé » ses interlocuteurs (15, 12), Notre-Seigneur se retire prudemment dans la région de Tyr et de Sidon, terre « impure » par excellence où ses détracteurs ne le suivront pas. Sans doute veut-il faire le point avec ses disciples - élevés à la synagogue, c’est-à-dire à l’école des pharisiens - sur son enseignement quelque peu anticonformiste, pour ne pas dire révolutionnaire. Tout porte à penser que la rencontre avec la femme syro-phénicienne prolonge la réflexion sur les conceptions légalistes concernant la pureté.
En fait Jésus se rend à un rendez-vous : l’heure est venue d’accomplir la pédagogie divine concernant les rapports entre Israël et les païens. Et pour être sûr que les témoins puissent dégager le sens de l’événement, Notre-Seigneur va se situer explicitement dans la lignée prophétique, dont il va porter à terme les enseignements sur ce sujet. Reprenons le cours du récit.
La Cananéenne appartient au peuple chassé de la Terre que Dieu avait donné à Israël. La prière qu’elle adresse à Jésus témoigne cependant d’une étonnante connaissance de la tradition juive ; le titre « Seigneur, fils de David » suggère même une ébauche de foi, comme le confirme sa demande, puisqu’elle attend de Jésus qu’il prenne autorité sur le démon qui tourmente sa fille, ce qui est un pouvoir proprement divin.
En feignant ignorer la prière de cette femme, puis en repoussant sa demande sous prétexte qu’il n’est « envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël », Notre-Seigneur adopte dans un premier temps le comportement des prophètes anciens. Ceux-ci s’adressaient en effet exclusivement au peuple élu, qu’ils étaient chargés de ramener en priorité le dans la fidélité à l’Alliance.
Le silence de Jésus a sans aucun doute également une portée pédagogique ; Notre-Seigneur veut obliger ses disciples à s’interroger : cette femme païenne, habitant en terre étrangère, mais témoignant par sa foi naissante qu’elle est visitée par Dieu, est-elle « impure » en raison de son appartenance raciale, ou au contraire, faut-il juger de sa « pureté », c’est-à-dire de la qualité de sa relation à Dieu à partir de « ce qui est sorti de sa bouche et qui provient de son cœur » (15, 8) ?
A vrai dire, les disciples ne semblent pas avoir perçu le problème : leur seul souci est que le Maître donne au plus vite « satisfaction » à cette femme, pour couper court à une situation franchement embarrassante. Pensez donc : un Rabbi juif poursuivi par les cris d’une païenne : quel scandale ! Si les chefs religieux apprenaient cela à Jérusalem, ils auraient beau jeu de le diffamer. Autrement dit, les disciples demeurent tout aussi enfermés dans leur a priori et leur formalisme religieux que les pharisiens qu’ils redoutent.
La parole dure de Jésus refusant d’intervenir en faveur d’une brebis qui n’est pas du troupeau d’Israël, ne décourage cependant pas la femme cananéenne ; rassemblant son courage, « elle vint se prosterner devant lui » dans un geste d’humble adoration. Lui barrant la route, elle supplie celui en qui elle a mis toute son espérance : « Seigneur, viens à mon secours ! » Ce n’est pas pour elle mais pour ses disciples que Jésus se fait insistant, disant à haute voix ce que ceux-ci pensent tout bas dans le secret de leur cœur. Tout comme la Samaritaine, cette femme cananéenne a perçu intuitivement le mystère de la personne du Christ. Elle sait bien que le pain de sa Parole est destiné aux enfants d’Israël, puisque « le salut vient des Juifs ». Mais elle a deviné que ces enfants font preuve de bien peu d’appétit pour la nourriture que Jésus leur offre en abondance : le Rabbi ne viendrait pas en terre païenne s’il ne fuyait pas ses coreligionnaires. Aussi ajoute-t-elle avec assurance : « les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » - le terme « petits chiens » ne désigne pas les chiens errants, objet de mépris, mais les animaux domestiques qui jouissaient de la faveur de leur maître.
Jésus jubile : « Femme, ta foi est grande ». Par sa disponibilité à l’action de l’Esprit Saint, la femme syro-phénicienne accède au même héritage que les fils d’Abraham : « héritière de Dieu, héritière avec le Christ » (Rm 8,17), elle dispose en son nom propre de la victoire du Seigneur sur le démon. Elle préfigure ainsi la multitude des païens convoqués eux aussi à la Table du Royaume, conformément à la promesse que Dieu prononça par la bouche du prophète Isaïe : « Les étrangers qui se sont attachés au service du Seigneur pour l’amour de son nom et sont devenus ses serviteurs, je ferai bon accueil à leurs holocaustes et à leurs sacrifices » (1ère lect.).
Certes, « le salut vient des juifs », mais il ne leur est pas réservé : la « justice » de Dieu et son « salut » sont pour tous les hommes. Tous sont appelés au bonheur dans la maison de l’unique vrai Dieu, dont Jésus nous révèle le visage de Père. Désormais les portes du Royaume ne s’ouvrent plus par la circoncision, mais par la foi au « Seigneur, fils de David ». Le Seigneur fera même concourir l’obstination du peuple élu à la réalisation de son dessein de miséricorde - la parole est citée quatre fois par Saint Paul dans les quelques versets de la seconde lecture - qui trouvera son accomplissement dans l’obéissance d’Israël.

La liturgie de ce jour nous interpelle non seulement sur nos divergences religieuses, mais également sur nos innombrables exclusions au nom de nos différences, que nous ne parvenons pas à intégrer. Depuis que le péché est entré dans le monde, ces différences sont perçues comme des menaces, qu’il faut à tout prix éliminer. Le geste de violence meurtrière de Caïn n’a cessé de se reproduire tout au long de l’histoire : que de sang versé par jalousie envers la bénédiction divine reposant sur le prochain, dans l’oubli de celle qui repose sur nous. Certes Israël avait reçu de Dieu une mission particulière en tant que fils aîné parmi les peuples ; mais cette élection - comme toute élection - implique aussi la responsabilité de partager le don confié. Le Seigneur distribue ses grâces entre tous, afin que tous puissent participer au service du bien commun en partageant ce qu’ils ont reçu. Tout don se pervertit lorsqu’il est approprié d’une manière individualiste pour nourrir la vaine gloire ou le pouvoir de celui qui l’a reçu. Le don pascal par excellence, celui que l’Eglise du Christ a pour mission de partager avec tous, est le pain de la miséricorde, grâce auquel nous pouvons réintégrer notre condition filiale. C’est par cette miséricorde que le « salut de Dieu sera connu parmi toutes les nations » ; c’est par elle que « le Seigneur nous bénit et que la terre entière pourra enfin l’adorer » en esprit et vérité.

« Père très saint, réveille en nous la conscience de tes dons et de la responsabilité qui en découle pour nous qui en sommes bénéficiaires. “Baptisés dans le Christ, nous avons revêtus le Christ” (Ga 3,27) : ne permet pas que nos peurs ou nos jalousies fassent obstacle à son ministère de réconciliation universelle. Ouvre nos yeux sur nos complicités avec l’indifférence et l’égoïsme de ce monde, et donne-nous de dénoncer avec courage les attitudes d’exclusion préconisées autour de nous. »


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