7e dimanche de Pâques

En ce dernier dimanche avant la Pentecôte, la liturgie nous invite à nous préparer à l’accueil de l’Esprit Saint, en nous plongeant dans l’intimité de la prière de Jésus, qui intercède pour nous auprès de son Père.
« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » : cette parole est pour nous tous une immense consolation et le fondement de notre espérance. Elle nous concerne en effet, puisque Jésus ne prie pas seulement pour ses apôtres, mais aussi pour « ceux qui accueilleront leur parole et croiront en lui ».
Et comment cela se fera-t-il ? Comment serons-nous associés au Christ au point d’être avec lui là où il sera ? Jésus répond : en étant introduits dans sa propre communion avec le Père puisque telle est sa demeure : au matin de Pâques, Jésus ne dit-il pas à Marie-Magdeleine : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17). La prière que Jésus adresse au Père : « Qu’ils soient un en nous », signifie donc : « qu’en m’étant unis dans l’amour, Père, ceux que tu m’as donnés entrent dans la demeure éternelle de notre amour mutuel ».
Le terme « demeure(r) » - si important dans le quatrième Evangile - précise que cette unité entre Jésus et son Père ne résulte pas d’une juxtaposition de leurs Personnes ; mais elle se fonde sur une mystérieuse inhabitation réciproque : le Père est dans le Fils comme la Source de son être et de sa vie ; et le Fils est dans le Père comme son expression vivante. Le Fils est engendré dans un amour éternel - le Père « l’a aimé avant même la création du monde » - amour que Jésus désigne par le terme « gloire ». Cette « gloire » est donc l’Amour subsistant du Père dans lequel il engendre son Fils, et que nous nommons l’Esprit Saint.
Or la grande révélation du passage d’Evangile que nous méditons, c’est que Jésus nous a donné cette gloire en partage, pour que nous soyons unis entre nous, « comme » lui et le Père sont un. Le « comme » n’est pas à interpréter comme introduisant une comparaison, une analogie ; Jésus signifie que nous sommes appelés à l’« unité parfaite » - et donc divine - qui règne entre le Père et le Fils, par le partage de la gloire - c’est-à-dire de l’Esprit d’amour - qui les unit parfaitement depuis toute éternité. Puisque c’est le même Esprit qui nous unit entre nous, et qui unit le Père et le Fils, c’est donc que nous sommes appelés à la même inhabitation en eux et entre nous : « Qu’ils soient un en nous, eux aussi ».
Jésus nous révèle dans cet ultime entretien, l’éternel dessein d’amour du Père, le but de la création et le terme de l’œuvre de rédemption : « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52) par la foi au Fils unique, afin qu’ils soient unis en lui au Père, Source et Fin de tout le dynamisme de la charité divine.
Tout procède du Père, qui glorifie son Fils, c’est-à-dire lui communique sa propre vie dans l’Esprit. Le Fils à son tour, grâce au pouvoir qu’il a acquis sur toute chair par son incarnation, glorifie son Eglise en répandant sur elle ce même Esprit par lequel elle lui est unie, et en lui au Père. C’est ainsi que la gloire de Dieu descend du ciel sur terre, attirant tous les hommes au Christ par le ministère de l’Eglise son Epouse. Puis, à la fin des temps, « quand tout sera sous le pouvoir du Fils, il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28).
Cette prière sacerdotale du Christ nous fait tous vibrer, car elle vient au devant de notre désir le plus profond d’unité, c’est-à-dire d’intégration personnelle et de communion aux autres dans l’amour. Hélas, il suffit de relire notre vie quotidienne pour nous rendre compte qu’une telle unité reste pour nous un vœu pieux, une utopie qui dépasse largement nos pauvres forces humaines : que de familles, de communautés divisées par la haine, le ressentiment, les rancœurs, les jalousies, les envies, les divisions de toutes sortes…
De fait, chaque fois que nous nous égarons loin des chemins de la charité, nous brisons l’unité, nous nous mettons au service du diviseur, du dia-bolos, celui qui déconstruit, sépare, oppose ; par contre chaque fois qu’avec l’aide de la grâce, nous œuvrons pour l’unité, la réconciliation, la paix, nous permettons à l’Esprit Saint d’étendre le Royaume de Dieu : « Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,7). Hélas nous sommes bien plus souvent actifs sur le chantier de la déconstruction que sur celui de l’édification.
C’est précisément en raison de notre faiblesse que Jésus prie le Père de nous donner l’Esprit, afin qu’il accomplisse en nous et avec nous, ce qui est hors de portée de nos forces naturelles. Quel mystère que des hommes au cœur endurci - les pécheurs égarés que nous sommes - soient invités à devenir participants de la communion trinitaire dans l’amour ! Le porche d’entrée dans ce mystère est l’accueil de la « gloire » que Jésus nous donne en partage, c’est-à-dire l’accueil dans la foi, de son amour rédempteur, qui nous fait communier à sa vie filiale.
Si nous avons vraiment compris ce message de Jésus, dans lequel il nous révèle le sens de notre vie, notre souci premier devrait être de demeurer à tout prix sous l’onction de l’Esprit qui nous unit au Christ, dans la conscience qu’« hors de lui nous ne pouvons rien faire » (Jn 15,5). A l’exemple de saint Etienne, dont nous avons entendu le récit du martyr en première lecture, il nous faut garder nos yeux tournés vers le ciel pour y contempler la gloire de Dieu reposant sur « le Fils de l’homme, debout à la droite de Dieu ». Seule cette contemplation persistante peut garder vivant le désir de son retour et nous faire prier dans l’Esprit avec l’Eglise-Epouse : « Viens, Seigneur Jésus ! » (2ème lect.).
Le mystère eucharistique qui nous rassemble, résume et met en œuvre tout ce que nous venons de développer. Dans sa Lettre encyclique sur le rapport entre l’Eglise et l’Eucharistie, Jean-Paul II explique comment la communion ecclésiale « prend corps » dans la communion de chaque croyant avec le Christ, réellement présent dans son Eucharistie. L’Esprit Saint fait notre unité dans la communion au même Pain, conformément à ce que nous demandons dans la troisième prière eucharistique : « Quand nous serons nourris du corps et du sang de ton Fils, et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ ».
Chaque fois que nous participons à la célébration des saints Mystères, nous laissons le Père accomplir en nous son dessein d’amour : restaurer notre unité avec le Christ, avec lui, et entre nous, en nous donnant part à sa gloire dans l’Esprit.
Le seule signe vraiment convainquant de la venue du Royaume de Dieu, de la réconciliation du ciel et de la terre, est celui de la communion de tous les croyants dans la charité : « Que leur unité soit parfaite ; ainsi le monde saura que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ». Puisque cette unité est le don du Père et du Fils dans chaque Eucharistie, ne contristons pas l’Esprit Saint et laissons-le faire de nous des témoins de l’espérance en devenant des artisans de communion, d’unité et de paix dans nos familles, nos communautés, et dans toute forme de vie associative au cœur du monde.

« Le Fils de l’Homme et Fils de Dieu, "debout à la droite du Père" proclame : "Celui qui a soif, qu’il approche. Celui qui le désire, qu’il boive l’eau de la vie, gratuitement." Oui, Seigneur, nous avons soif d’unité, d’harmonie, de paix. "Ne nous compte pas nos péchés" : nous avons "lavé nos vêtements" dans ton sang " pour pouvoir franchir les portes de la Cité sainte et avoir droit aux fruits de l’arbre de vie". Donne-nous part à ta gloire, que nous ayons en nous l’amour dont le Père t’aime, et que toi aussi tu sois en nous. Nous pourrons alors vivre dans l’unité, manifestant ainsi au monde que tu es l’Envoyé du Père, qui accomplit toutes ses promesses. »