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 - 24 avril 2024 - Sainte Marie-Euphrasie Pelletier
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Homélie

25e dimanche du Temps Ordinaire

« Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits », dit le Seigneur. Il faut dire qu’il y a de quoi se scandaliser ! Voici que certains commerçants aisés ne cherchent qu’à s’enrichir davantage, au point que le temps sacré du sabbat est devenu pour eux un empêchement à faire des affaires – sur le dos des pauvres. Pourtant, ils ne pouvaient invoquer la crise pour excuser leur âpreté au gain. À cette époque paisible, l’économie était prospère ; on se croyait même des croyants exemplaires pour avoir extirpé l’idolâtrie du pays en mettant fin au culte des Baals. Pourtant les pauvres n’avaient jamais été aussi pauvres.

La racine de ce péché se dévoile dans le rapport que les hommes entretiennent avec le jour du Seigneur, le sabbat de Dieu. Celui qui ne sait pas s’arrêter est celui qui ne sait pas compter sur Dieu, celui qui n’a pas confiance en Dieu pour faire fructifier ce qu’il a planté, celui qui attend la fin du sabbat avec impatience parce qu’elle marque la fin d’une impuissance forcée, celui-là sert un autre maître : l’Argent. L’injustice qui pousse à fausser les balances prend racine dans une manière injuste de vivre le sabbat.

« Non, jamais je n’oublierai », déclare solennellement le Seigneur. L’homme peut s’habituer à l’iniquité et justifier son péché, mais la réalité le rattrape un jour ou l’autre. Une société fondée sur l’injustice ne peut qu’offenser Dieu. Car il existe une idolâtrie qui le blesse plus encore que le culte des Baals : l’idolâtrie de l’Argent, qui rend le cœur de l’homme insatiable et le pousse à réduire son frère en esclavage.

La première arme pour lutter contre corruption de la société est la prière. « J’insiste avant tout pour qu’on fasse des prières (…) pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités », nous dit saint Paul. Il s’explique : « voilà une vraie prière, que Dieu, notre sauveur, peut accepter ». La volonté de Dieu est en effet que tous arrivent « à connaître pleinement la vérité », c’est-à-dire que, pour sortir de leurs prisons d’iniquités, les hommes ont besoin de savoir de quel amour Dieu les aiment et de vivre de cet amour. C’est ainsi que, à chaque eucharistie, notre prière se fait universelle. En demandant à Dieu de faire connaître son amour à tous les hommes, nous lui demandons de nous montrer comment agir concrètement auprès d’eux pour bâtir un monde plus juste.

Dans un tel monde, les relations mutuelles ont une saveur particulière : on les appelle fraternelles. Pour l’illustrer, Jésus raconte une parabole. La scène se déroule chez un riche propriétaire dont le domaine est confié à un gérant qui se trouve être un escroc doublé d’un faussaire. Démasqué, sommé de rendre ses comptes, l’homme est acculé. Le suspense de cette parabole vient de ce point, et du fait que l’on ne connaît pas tout de suite le plan qu’il a imaginé. On le voit seulement à l’œuvre, allégeant les dettes des débiteurs de son maître. Qu’il est facile d’être généreux avec la fortune des autres !

Étonnamment, le maître fit son éloge… Non parce qu’il est malhonnête, mais parce qu’il est habile dans les relations mutuelles. Il y a dans cette attitude un exemple pour tous les croyants. En effet, toute notre vie est orientée vers Dieu, et nous sommes invités à ne regarder les choses de ce bas monde qu’en tant que moyens pour rejoindre ce terme. L’argent est donc lui aussi un moyen pour nous, comme il est un moyen pour ce gérant trompeur. L’usage que nous avons à en faire doit être soumis à la fin surnaturelle à laquelle Dieu nous appelle. Ainsi, faire l’aumône ou remettre les intérêts d’une dette est faire des pauvres que nous aidons, ceux qui nous accueilleront demain dans leur maison, au jour où la mort sera venue nous séparer de toute fortune et de tout recours matériel. Or la maison de ces pauvres, Jésus nous l’a enseigné, c’est le Royaume de Dieu ! Donnons aujourd’hui pour être reçu demain dans la maison du Père.

Mais l’exemple porte aussi sur notre vie spirituelle. Nous sommes en effet tous établis gérants de la grâce de Dieu – certes à des titres divers. Tous les baptisés ont reçu l’Esprit de sainteté en héritage. Et il est si facile d’être généreux avec la fortune des autres ! Dès lors, pourquoi épargner l’Esprit de charité et rester enfermés dans nos égoïsmes ? Comment recevoir l’Esprit de vérité, et taire la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ ? Pourquoi étouffer l’Esprit de compassion, et abonner nos frères à leurs misères ? Partageons, donnons tout ce que nous avons reçu, comme des gérants habiles. Voilà l’attitude qui plaît à notre maître. Voilà l’attitude qui nous assure non seulement sa reconnaissance, mais une place dans la Maison de son Père, à laquelle il veut conduire toute l’humanité.

Vient alors le cœur du message : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent ». Il convient d’autant plus d’y porter notre attention qu’il est peu vraisemblable que nous décidions posément de « servir l’Argent ». Nous sommes des enfants de Dieu et heureux de l’être ; pourquoi vouer un culte idolâtrique à l’argent qui passera avec ce monde et qui nous ferme les portes du Royaume ?

Jésus nous met cependant fermement en garde, parce que le terrain est glissant. Au-delà du pouvoir ostentatoire qu’il procure, l’argent est le plus redoutable quand il nous fait croire à notre propre puissance, voire à notre prétendue perfection. Le simple geste de donner l’aumône, que vient d’encourager Jésus, reste un combat du fait même qu’il implique l’argent. Car il ne suffit pas de donner, il faut aussi se séparer de l’argent. Donner de l’argent peut en effet faire de nous un « puissant », celui qui possède et qui montre son ascendance sur celui qui dépend de l’aumône d’autrui. Le geste, apparemment fraternel, devient secrètement le signe de la soumission d’un faible à un fort. Or, s’il est vrai que le pauvre a besoin du riche, le riche a tout autant besoin du pauvre, car le partage est un fondement de la vie fraternelle et du bonheur. Chacun apprend de l’autre que l’essentiel est à recevoir. De même qu’il en coûte au pauvre de recevoir d’autrui le nécessaire vital, celui qui donne doit en être rendu plus humble. Jésus invite d’ailleurs à plusieurs reprises à donner de notre nécessaire et non de notre indigence parce que seule une relation équilibrée et fait grandir chacun.

L’Argent est dangereux pour la vie fraternelle, il l’est aussi pour notre relation à Dieu. Lorsqu’il n’est pas subordonné au Royaume, l’Argent induit en effet un sentiment de suffisance qui éloigne de Dieu. Nous sommes tous menacés. Évoquons, pour l’exemple, les jeux de hasard, si médiatisés de nos jours : « tous les gagnants ont tenté leur chance » ; tous les perdants aussi... Les chrétiens savent qu’ils ne doivent pas jouer. Pourtant, combien de justifications entendons-nous : « je ne joue pas pour moi, mais pour ma famille », « pourquoi l’aide de Dieu ne passerait-elle pas par la loterie ? », « si je gagne, je ferai de grande choses pour Dieu et je partagerai », ou tout simplement : « j’ai une vie misérable, pourquoi n’aurais-je pas droit au bonheur moi aussi ? ». Les jeux de hasard ne sont pas insignifiants. Jouer, même occasionnellement, montre qu’on a davantage confiance dans l’argent qu’en Dieu pour faire notre bonheur. Ultimement, cela prouve que nous estimons que, si nous en avions les moyens, nous nous y prendrions mieux que le Bon Dieu pour agencer notre vie et celles des autres. Voilà une illusion très dommageable pour nous, car cette attitude de défiance rend Dieu impuissant dans nos vies, alors qu’il souhaite y réaliser de si grandes choses ! Si grandes que nous n’oserions jamais lui demander, plus grandes même que nous ne pourrions imaginer.

Écoutons pour finir le Saint-Père Benoît XVI s’adressant, avant-hier, aux jeunes des écoles catholiques rassemblés à Twickenham : « L’argent, leur dit-il, permet d’être généreux et de faire du bien dans le monde, mais à lui seul, il ne suffit pas à nous rendre heureux. (…) Le bonheur est quelque chose que nous voulons tous, mais un des grands drames de ce monde est que tant de personnes ne le trouvent jamais, parce qu’elles le cherchent là où il n’est pas. La clef du bonheur est très simple : le vrai bonheur se trouve en Dieu. Nous devons avoir le courage de mettre nos espérances les plus profondes en Dieu seul, non pas dans l’argent, dans la carrière, dans les succès de ce monde, ou dans nos relations avec d’autres personnes, mais en Dieu. Lui seul peut satisfaire les exigences profondes de nos cœurs ».

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent », dit Jésus. Il y a ainsi un choix radical à faire et à entretenir ; un choix dépendant d’une seule question : en qui plaçons-nous notre espérance ? En y répondant, nous saurons quel bonheur nous avons choisi : la vanité qui passe avec ce monde ou bien l’humilité qui rapproche du cœur de Dieu.

Seigneur Jésus, dispose nos cœurs à utiliser l’argent et les biens de ce monde de façon à mieux nous préparer au monde à venir. Garde-nous dans l’humilité de l’Esprit qui fait tout attendre de toi et qui nous aide à respecter la dignité de chacun de nos frères. Ainsi, nos dispositions intérieures réjouiront le cœur de notre Père des Cieux et nous contribuerons à l’avènement du Royaume ici et maintenant.


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