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 - 24 avril 2024 - Sainte Marie-Euphrasie Pelletier
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Homélie

Férie de Carême

Pierre s’approche de Jésus pour lui poser sa question comme à voix basse. Vu le tempérament « entier » de Pierre tel qu’il ressort des récits évangéliques, on peut imaginer qu’il vient d’avoir un échange un peu vigoureux avec l’un ou l’autre apôtre. Le différend portait probablement sur une broutille comme cela se passe dans toute vie communautaire. Oui mais voilà : les mêmes causes engendrant les mêmes effets, et la vie quotidienne étant assez répétitive, ce genre de situation a elle aussi la fâcheuse tendance à se réitérer. Bougonnant, cherchant peut-être à obtenir de Jésus une approbation - contre son frère ! - notre rude maître-pêcheur exprime son mécontentement par une question à laquelle il n’attend probablement pas de réponse. Comment imaginer de compter les pardons accordés : un, deux… six, sept ! Terminé : l’heure de la vengeance a sonné. On imagine sans peine que la facture à la huitième offense ne ferait pas abstraction des vexations précédentes, de sorte que les pardons antérieurs seraient tout simplement nuls et non advenus.
Mais alors comment en sortir ? On voit bien que si le pardon a une extension limitée, le jour où la barre est franchie, le déferlement de violence rend vains et stériles tous les efforts antérieurs. Mais d’un autre côté, on ne peut tout de même pas s’engager dans une démarche de pardon inconditionnel ? Ce serait de la pure folie : le premier venu abuserait de nous !...
J’imagine Jésus marquant un temps de silence ; puis plongeant ses yeux dans ceux de son apôtre, et posant ses mains sur les solides épaules de son grand gaillard de Pierre, Notre-Seigneur lui dit avec un sourire affectueux : « Je te demande de pardonner, “pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois ” ; car c’est pour cela que je suis venu : pour renverser la logique de Lamek, qui se vantait d’avoir fait payer au coupable “soixante-dix-sept fois” son forfait (Gn 4, 24).
Il me semble que si nous entendons vraiment cette Parole, si nous la laissons descendre en nous, le sol se dérobe sous nos pieds. Quel vertige : ne rien retenir qui enchaînerait l’autre à moi par quelque lien que ce soit : la haine, le ressentiment, la rancœur, etc. Le laisser totalement libre des actes coupables qu’il aurait pu commettre envers moi ; refuser de revendiquer mon droit non par faiblesse, mais pour ne pas être un obstacle sur sa route, dans la certitude que Jésus marche avec lui et saura écrire droit sur ses lignes courbes… Quel vertige, mais en même temps : quelle liberté ! Pour l’offenseur bien sûr, mais aussi pour l’offensé, car je suis plus lié par mes ressentiments que par les conséquences des sévices que j’aurais pu subir.
Somme toute, n’est-ce pas cela aimer ? Le premier mot de l’amour n’est-il pas le respect, en particulier le respect de ce que mon prochain a de plus précieux : cette liberté qui le configure à son Créateur ? « Aimer mon ennemi » signifierait donc avant tout lui pardonner, dénouer tous les liens auxquels je l’avais asservi par mes sentiments négatifs. Lui rendre sa liberté, ou mieux encore : m’interdire de tendre la main vers elle puisqu’il la tient de Dieu lui-même. Autrement dit combattre généreusement, au cœur même de l’offense, du mépris, de l’humiliation, contre tout ressentiment qui pourrait permettre au démon d’aliéner mon agresseur en se servant de moi.
Jésus nous a laissés à notre réflexion, priant en silence son Père de nous envoyer son Esprit pour que nous puissions entrevoir ce chemin que sa Parole vient tout à coup d’éclairer d’une façon aussi fulgurante.


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