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 - 7 septembre 2024 - Saint Cloud
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Homélie

24ème dimanche du temps Ordinaire.

Pierre s’approche de Jésus en maugréant : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes conter moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Vu le tempérament « entier » de Pierre tel qu’il ressort des récits évangéliques, on peut imaginer qu’il vient d’avoir un échange un peu vigoureux avec l’un ou l’autre apôtre. Le différend portait probablement sur une broutille comme cela se passe dans toute vie communautaire. Oui mais voilà : nos vies quotidiennes sont tissées de situations agaçantes, qui ont la fâcheuse tendance de se reproduire sans cesse. Il n’est pas impossible que la question de Simon soit en fait une manière détournée de faire comprendre à Jésus le caractère irréaliste de l’exigence du pardon inconditionnel, à laquelle le Maître venait probablement d’inviter ses disciples.
J’imagine Jésus marquant un temps de silence ; puis plongeant ses yeux dans ceux de son apôtre, et posant ses mains sur les solides épaules de son grand gaillard de Pierre, Notre-Seigneur lui dit avec un sourire affectueux : « “Je ne te dis pas (de pardonner) jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois”, car c’est pour cela que je suis venu : pour renverser la logique de Lamek, qui se vantait d’avoir fait payer au coupable “soixante-dix-sept fois” son forfait (Gn 4, 24) ».
Pour nous aider à saisir la cohérence de cette démarche sur l’horizon de l’Evangile, Jésus propose en illustration une parabole particulièrement éloquente en raison des contrastes qui s’y enchaînent. Ce qui nous choque dans l’attitude du « serviteur mauvais », c’est son aveuglement et son intransigeance. Oubliant la grâce dont il vient d’être bénéficiaire, il exige de son compagnon, de rembourser une dette dont le montant est ridicule par rapport à celle dont lui-même a été acquitté. Spontanément nous approuvons la sanction de son Maître : cet homme n’est pas digne de clémence, et mérite d’être traité de la manière dont il s’est comporté envers son prochain.
Bien qu’elle soit un peu rapide, cette lecture n’est cependant pas fausse ; elle a en tout cas le mérite de nous acheminer vers la conclusion qui s’impose : si Dieu nous a remis gratuitement la dette insolvable de notre péché, a fortiori devons-nous acquitter ceux qui nous doivent des broutilles.
Ceci dit, nous nous doutons bien que la motivation suggérée par Jésus est plus complexe qu’une simple logique de comptable. En nous proposant une « comparaison », Notre-Seigneur nous invite avant tout à imiter le comportement déconcertant de ce Roi ; car ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons éventuellement à comprendre ses intentions. En fait, Jésus ne fait que décrire l’attitude fondamentale de Dieu son Père face au pécheur qui le supplie : « Saisi de pitié, il le laissa partir et lui remit sa dette ». Aucun calcul, et à vrai dire aucune raison ne peuvent être invoqués pour justifier une telle attitude, si ce n’est la compassion, c’est-à-dire l’amour. Le regard de celui qui est désigné comme le « Maître » n’est pas celui d’un patron, mais d’un père, qui déchire la dette de son fils. C’est ce que le mauvais serviteur n’a hélas pas compris : il n’a pas accédé au statut filial qui lui aurait permis de reconnaître un frère en son compagnon, et de lui remettre sa dette comme il sied au sein d’une même famille où règne le primat de l’amour.
Bien plus qu’une leçon de morale, c’est à une réflexion sur notre identité profonde que nous invite Jésus : « si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur » (2nd lect.). Car par sa mort et sa résurrection, le Christ est devenu « le Seigneur des morts et des vivants ». C’est donc son comportement que nous devons reproduire si nous voulons être comptés parmi les fils du Père des cieux.
« Pense à l’Alliance du Très-Haut, et oublie l’erreur de ton prochain » (1ère lect.) ; cette Alliance nouvelle et éternelle, Jésus la renouvelle quotidiennement dans chaque Eucharistie : « Prenez et mangez : ceci est mon Corps livré pour vous. Prenez et buvez : ceci est mon Sang, versé pour vous ». Celui qui dispose parfaitement de lui-même - « nul ne me prend ma vie, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10,18) - renonce à tous ses « droits », pour devenir celui dont on dispose. Par l’offrande gratuite de sa vie, il annule la dette de tous nos refus d’aimer et nous restaure dans notre condition filiale. Refuser de considérer mon prochain comme mon frère, c’est sortir de cette filiation, et me retrouver dans la situation du débiteur insolvable, obligé de « tout rembourser ». Car en refusant la compassion au nom d’une justice toute humaine, fondée sur « mon droit inaliénable », je m’expose à la justice divine et me condamne moi-même à porter le joug de la dette insolvable de mon péché.
Pardonner revient toujours à renoncer à un droit personnel au nom d’un bien supérieur : la vie de mon frère qui, affranchi du poids de sa faute à mon égard, peut librement continuer son chemin ; et la charité qui, en triomphant de la haine restaure la paix. Il y a quelques jours, le Pape Benoît XVI invitait les jeunes rassemblés à Marienfeld, à se joindre aux Mages et à adorer avec eux l’Enfant de la crèche, afin de découvrir que c’est « en le servant et en le suivant, qu’ils pouvaient, avec lui, servir la cause de la justice et du bien dans le monde ». C’est en se prosternant devant le nouveau Roi, que ces Sages venus d’Orient « ont appris qu’ils doivent devenir des hommes de la vérité, du droit ; des serviteurs de la beauté du pardon, de la miséricorde. Désormais, ils ne poseront plus la question : “A quoi cela me sert-il ?” Mais plutôt : “Comment puis-je servir la présence de Dieu dans le monde ?” Ils ont compris qu’ils doivent se perdre eux-mêmes pour se trouver ».
« Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi » (Mt 6,14). Il ne s’agit pas d’un « donnant-donnant » : Dieu ne mesure pas son don au nôtre, lui qui « nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons pour lui des fils par Jésus-Christ, saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour » (Ep 1,4-5). La miséricorde divine nous précède infiniment : « Dieu nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils, quand nous étions encore ses ennemis » (Rm 5,10). Son amour est sans calcul : il est l’expression même de son Etre. Mais le Père ne peut répandre sa miséricorde que dans le cœur de ceux qui se rendent disponibles à sa grâce en cherchant à lui ressembler comme des fils.
« Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait » ; alors, à la prière que Jésus lui adresse en ton nom, ton Père des cieux te « pardonnera toutes tes offenses et te guérira de toute maladie ; il réclamera ta vie à la tombe et te couronnera d’amour et de tendresse » (Ps 102). Alors « tu seras parfait comme ton Père céleste est parfait » (Mt 5,48).

« Seigneur, c’est quotidiennement, à l’occasion de chaque rencontre avec mon prochain, que s’ouvrent devant moi les deux voies : la voie “de la vie et du bonheur” (Dt 30, 15), pour que je vive, moi et ma descendance (cf. Dt 30, 19), en bénissant au lieu de maudire ; ou la voie “de la mort et du malheur” à laquelle conduit le refus d’offrir le pardon, dont j’ai pourtant été moi-même le premier bénéficiaire. Ne permet pas que la rancune et l’ingratitude m’excluent de la table de ta clémence. Convertis mon cœur : que les offenses de mon prochain soient l’occasion de me souvenir de ton amour prévenant, toi qui n’a pas hésité à mourir sur la Croix pour qu’un jour je puisse partager avec mes frères, le bon pain de ta miséricorde. »


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