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 - 27 mars 2024 - Saint Habib
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Homélie

29e dimanche du Temps Ordinaire

Je propose d’aborder les lectures de ce jour en lectio divina. Ce qui revient à dire : nous essayons de recevoir ces textes pour ce qu’ils sont vraiment : une Parole de Dieu pour nous aujourd’hui. Ne laissons donc pas trop vite notre intelligence se saisir de ces versets pour les éplucher, essayer de les comprendre rationnellement. Il s’agit plutôt de nous laisser enseigner par la sagesse divine, qui parle au cœur bien plus qu’à l’intelligence ; ou plutôt : essayons de les comprendre par l’intelligence du cœur plus que par le raisonnement.
La prophétie d’Isaïe nous propulse au cœur du paradoxe : un personnage nommé le « Serviteur » de Dieu, est broyé par la souffrance qui lui est imposée injustement. Or c’est précisément en cela qu’il plaît au Seigneur, car c’est ainsi qu’il accomplit la volonté de Dieu. La volonté divine ne porte pas sur la souffrance de son Serviteur, voulue en tant que telle, mais sur la justification de la multitude. Mais c’est précisément parce qu’il a consenti à se charger des péchés de cette multitude, en assumant librement les souffrances qui en résultent, que le Serviteur a fait de sa vie un sacrifice d’expiation et de réconciliation qui plaît à Dieu. C’est en allant jusqu’au bout de la solidarité avec les pécheurs, qu’il les justifie devant Dieu, pour la plus grande joie de celui-ci.
La lettre aux Hébreux nous éclaire sur l’identité de ce mystérieux personnage : celui qui a pleinement partagé notre faiblesse, qui a en toutes choses connus nos épreuves, qui a délibérément pris sur lui nos souffrances et notre mort, c’est le Christ Jésus notre Seigneur. Et comme « par l’offrande de son sang, il est devenu le pardon pour ceux qui croient en lui » (Rm 3), sa passion est le sacrifice qui nous sauve, qui nous réconcilie avec Dieu et nous rétablit devant sa face. Voilà pourquoi le Père l’a ressuscité, faisant de lui le grand prêtre par excellence, celui qui a pénétré pour toujours au-delà des cieux, et qui intercède en notre faveur auprès de Dieu. Voilà pourquoi nous pouvons « nous avancer avec pleine assurance vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours ».
Jusque là nous avons essayé d’accueillir ces deux lectures telles qu’elles nous sont données, en évitant de projeter sur elles nos a priori, nos réticences ; sans accabler l’hagiographe - et à travers lui : Dieu lui-même - de nos questions, de nos argumentations, de nos « oui mais », qui trahissent nos reproches, voire nos refus. Certes cette lecture bienveillante ne résout pas tous les problèmes, ne répond pas d’amblée à nos interrogations ; mais elle nous situe dans l’attitude juste : l’attitude filiale, qui consiste à ouvrir les oreilles de notre cœur et à recevoir avec reconnaissance une Parole dont nous croyons qu’elle est vraie, qu’elle est lumière sur notre route, qu’elle nous rend libres, qu’elle est un couffin plein de vie prêt à déverser son contenu dans le cœur qui l’accueille. C’est précisément en veillant sur cette Parole, en la « ruminant », en l’écoutant résonner au plus profond de nous, que nous lui permettront de nous révéler le mystère caché aux sages de ce monde, c’est-à-dire à notre raison naturelle. La Parole elle-même vient en effet répondre aux questions demeurées en suspens, pourvu que nous ayons la patience de la laisser éclairer notre intelligence de la lumière surnaturelle de l’Esprit, qui seul peut nous conduire dans la vérité toute entière.
Ce n’est de toute évidence pas l’attitude qu’ont adopté les fils de Zébédée, Jacques et Jean.
Jésus vient d’annoncer pour la troisième fois sa Passion prochaine, précisant même la nature des souffrances qu’il aura à endurer. Et pour la troisième fois, les apôtres refusent d’entendre : ils exorcisent leur peur en se réfugiant dans des rêveries de gloire terrestre. La demande des fils de Zébédée suscite l’indignation un peu forcée des dix autres apôtres, qui auraient bien voulu solliciter le même privilège.
Le refus du chemin de la croix et le désir d’une gloire terrestre vont de pair ; et cela pour nous comme pour les apôtres. N’aimerions-nous pas tous enjamber la Passion, et participer dès à présent à la gloire du Ressuscité, sans passer par l’humiliation de la Croix ? Mais ce désir n’est guère réaliste : la souffrance est là ; inutile de chercher à l’occulter : elle fait partie de notre vie ; elle s’impose à nous. Nous avons beau la fuir : elle nous rattrape toujours.
Or c’est précisément à cette situation révoltante car absurde, que le Seigneur a voulu porter remède. Oui absurde : car la souffrance n’a guère de sens sur l’horizon du dessein de Dieu qui dès les origines veut notre bonheur. Mais dès lors que nous lui avions tourné le dos par le péché, le Seigneur ne pouvait plus nous rejoindre qu’en consentant à venir partager les conditions de vie que nous avions nous-mêmes suscitées, afin de donner un sens à ce qui n’en a pas, une valeur infinie à ce qui sans lui nous anéantit. Le Verbe incarné triomphe de l’absurdité de notre condition en assumant dans son corps et dans son âme la souffrance de chaque homme et de tous les hommes. Désormais la souffrance n’est plus seulement l’absence criante du bonheur espéré ; elle est aussi et avant tout le lieu où Dieu me rejoint pour me dire son amour personnel et singulier, tant il est vrai que toute souffrance est unique.
« En toute vie, disait Jean-Paul II, est rendu présent le mystère de la Rédemption, réalisée par une participation réelle à la Croix du Sauveur, selon ce paradoxe chrétien qui lie le bonheur à la souffrance assumée dans un esprit de foi. »
Certes, nous le croyons ; mais comme il est difficile d’en vivre dans la grisaille du quotidien ! Car l’espérance de la victoire finale de l’amour et de la vie ne supprime pas la peur face à l’épreuve imminente. Comme Jacques et Jean, nous cherchons à imposer à Dieu nos vues, oubliant que l’unique ambition de celui qui se met à l’école de l’Evangile devrait être de se rendre toujours plus proche de Jésus par une vie conforme à la sienne, jusqu’à s’identifier à lui.
Ce qui ne peut se faire qu’en s’oubliant soi-même, dans le service désintéressé du prochain, « attendant notre vie du Seigneur et mettant tout notre espoir en son amour » (Ps 32). L’humilité ne consiste pas à n’avoir aucune ambition : Jésus ne reproche pas à ses disciples le désir légitime de vouloir « devenir grand » ni même de vouloir « être le premier ». Mais il leur montre une autre voie que celle que nous propose le monde : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ; celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous ». Voilà la règle d’or, qui devrait susciter une sainte émulation au sein de l’Eglise. Telle devrait être l’attitude qui caractérise le chrétien partout où il vit. La mission universelle de l’Eglise commence et s’achève dans ce mot d’ordre de notre Maître : chacun de nous est appelé à devenir, à son image et à sa ressemblance, le frère universel, le serviteur de tous. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons enfin entrer dans la liberté des fils, à l’image du Fils unique, « qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ».


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