Saint Robert Bellarmin, évêque et docteur de l’Eglise,

Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de commenter la parabole du semeur ; aussi la relirons-nous aujourd’hui à la lumière de la première lecture, tirée de la première lettre de Saint Paul à Timothée. Nous y trouvons une explicitation de ce qu’est un « cœur bon et généreux, qui, ayant entendu la Parole, la retient, et porte du fruit par sa persévérance ». Telle est en effet la manière dont Jésus définit la « bonne terre », celle qui « porte du fruit au centuple ».
L’exhortation de l’Apôtre est particulièrement solennelle : « en présence de Dieu qui donne vie à toutes choses, et en présence du Christ Jésus qui a témoigné devant Ponce Pilate par une si belle affirmation ». Mais peut-être Paul ne fait-il que rappeler à son « fils bien-aimé » les conditions « ordinaires » de la vie de tout chrétien, qui devrait se dérouler tout entière sous le regard de Dieu ? Jésus lui-même ne nous a-t-il pas promis qu’il serait « avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20) ? La première chose est donc de « nous mettre en présence de Dieu », selon l’expression consacrée pour introduire le temps d’oraison ; c’est-à-dire de prendre conscience de sa présence à nos côtés dans la Personne du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Seule cette certitude de foi peut fonder l’obéissance du disciple, à qui Saint Paul ordonne de « garder le commandement du Seigneur ». Ce commandement - au singulier - ne peut être que celui que Jésus lui-même a donné à ses apôtres le soir du jeudi saint, et dans lequel il résume tout son enseignement : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,34-35). Nous sommes donc invités à nous souvenir en tout temps et en tout lieu que nous vivons sous le regard du Père, lui qui nous donne à chaque instant « la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,28) afin de nous aimer comme des frères, à l’image de son Fils, et dans l’Esprit de charité qu’il nous a donné. La bonne terre représente dès lors une vie livrée par amour, prolongeant celle de notre Seigneur, qui « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20,28). Le fruit au centuple n’est autre que cette multitude pour laquelle chacun d’entre nous est invité à offrir sa vie, à l’image de Notre-Seigneur.
Celui qui fait ainsi demeure « irréprochable et droit jusqu’au moment où se manifestera notre Seigneur Jésus-Christ ». N’est-ce pas le manque de focalisation sur la finalité surnaturelle de notre vie, qui est la cause de notre dispersion dans « les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie » ? Si nous gardions mémoire de notre destinée de gloire, si nous nous souvenions sans cesse que nous sommes appelés à partager la vie du « Souverain unique et bienheureux, du Roi des rois, du Seigneur des seigneurs », et à habiter avec lui dans « la lumière inaccessible » de sa divinité, nous ne risquerions pas d’« abandonner au moment de l’épreuve, faute de racines ».

« Père très saint, nous reconnaissons que “tu es notre Dieu : tu nous a faits et nous sommes à toi ; nous sommes ton peuple” (Ps 99), le troupeau rassemblé par ton Fils, Jésus-Christ Notre-Seigneur. Envoie sur nous l’Esprit Saint, qu’il nous “rappelle sans cesse tout ce que Jésus nous a dit” (cf. Jn 14,26), et qu’il nous établisse fermement dans la louange et l’action de grâce, afin que nous puissions te servir et servir nos frères dans la joyeuse certitude du salut offert et de la venue de ton Règne. Libérés des séductions de ce monde qui passe, et tout tendus vers le retour glorieux de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, nos vies pourront alors “parvenir à maturité”, et “porter du fruit par notre persévérance” ».