Homélie
Férie de Carême
« Le Seigneur est tendresse et pitié ; sa bonté est pour tous, sa tendresse pour toutes ses uvres. Il est fidèle en tout ce quil fait » (Ps 144). Cet extrait du psaume responsorial résume lenseignement de la liturgie de la Parole de ce jour. Dans la méditation « Ad amorem » qui clôture les exercices spirituels, saint Ignace de Loyola sémerveille devant lhumilité avec laquelle Dieu se met à notre service, travaillant sans cesse pour nous dans le plus grand effacement, afin de nous procurer à chaque instant « la vie, le mouvement et lêtre » (Ac 17,28). Cette action discrète est tout autant celle dune mère que dun père : les termes de la première lecture ne laissent subsister aucun doute : « Une femme peut-elle oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait loublier, moi je ne toublierai pas ». Le Père se penche sans cesse sur chacun de nous avec une sollicitude maternelle, tout en prenant les initiatives qui simposent conformément à son ministère paternel : « Même sur les chemins, mes brebis pourront paître, dans toutes les terres désolées elles trouveront des pâturages. Car celui qui a eu pitié delles les guidera, et vers les sources il les conduira » (1ère lect.). Cest parce que Dieu a été bouleversé jusquen ses entrailles maternelles devant notre triste sort, quil est venu nous sauver, comme un père vient en aide à ses enfants : « Au moment favorable je tai exaucé, au jour du salut je suis venu à ton secours » (Ibid.).
Nous le croyons : cest en Jésus que Dieu réalise cette promesse comme Notre-Seigneur lui-même lannonçait dans son discours programme donné à la synagogue de Nazareth au début de son ministère (Lc 4,18-21). En Jésus nous voyons à luvre cette maternité-paternité divine qui se met en peine pour chacun de ses enfants : « Mon Père, jusquà maintenant, est toujours à luvre, et moi aussi, je suis à luvre. Le Fils fait ce quil voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement ». Jésus est pour nous la visibilité du Père - « Qui ma vu, a vu le Père » (Jn 14,9) - celui qui nous révèle sa tendresse miséricordieuse et sa fidélité inébranlable. Entre lintention et laction du Père et du Fils, aucune dissonance : elles procèdent de leur parfaite communion damour dans lEsprit, et de leur commun amour pour les hommes. De même que le Père arrache à la mort - fonction paternelle - et donne la vie - fonction maternelle - ainsi le Fils a reçu « tout pouvoir pour juger » - fonction paternelle - et il « donne la vie à qui il veut » - fonction maternelle.
Nous avions déjà pressenti ces deux polarités dans la personnalité et dans le ministère de Jésus : il est certes la Parole de Dieu, et en tant que tel, il exprime la paternité divine qui instruit, reprend, éduque, corrige, conduit, etc. Mais que de fois Notre-Seigneur nest-il pas « ému jusquaux entrailles » devant la détresse de la foule, la souffrance des malades, les larmes des malheureux ? Il aura même cette expression étonnante : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois jai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! » (Mt 23,37). Parce quil est la visibilité du Cur du Père, le Cur de Jésus incarne conjointement la paternité et la maternité divines à légard de chacun de ceux que son Père lui confie ; cest ainsi quil les arrache à la mort et leur donne part à sa vie : « Lheure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux vont entendre la voix du Fils de lhomme, et ils sortiront : ceux qui ont fait le bien, ressuscitant pour entrer dans la vie, ceux qui ont fait le mal, ressuscitant pour être jugés ». Cette « heure » est bien sûr celle de la Croix, lorsque le Fils de Dieu descendra dans la mort pour prendre autorité sur elle, et appeler à lui les brebis quelle tenait en son pouvoir : « Lheure vient où les morts vont entendre la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront ». Ils « sortiront » de la mort « pour entrer dans la vie » : ce nest donc pas une parcelle de la vie divine qui nous sera attribuée, mais nous serons tout entiers immergés dans la plénitude de cette vie, qui nous « remplira comme les eaux recouvrent le fond de la mer » (Is 11, 9). Quant à « ceux qui ont fait le mal », cest-à-dire ceux qui ont refusé « dentendre la voix du Fils de Dieu », eux aussi ressusciteront car Jésus a livré sa vie pour le salut de tous les hommes, sans exception. Mais ils seront à eux-mêmes leur propre juge, si du moins ils persistent dans leur refus « dentrer dans la vie » à laquelle Dieu les avait destinés.
« Seigneur réveille-nous de notre torpeur spirituelle : que par notre indifférence nous ne soyons pas les artisans de notre propre malheur. Donne-nous de reconnaître ta voix et de te suivre. En toi, Jésus, nous découvrons le vrai visage du Père : visage de tendresse maternelle et de fidélité paternelle. Que la lumière de ta Parole révèle toutes les défigurations que nous lui faisons subir et qui nous enferment encore dans la peur ; quelle renverse les idoles que nous nous sommes construits sur lhorizon de nos blessures psychologiques et des suggestions du démon. Donne-nous de découvrir le travail patient de ton amour au cur de nos vies quotidiennes, et nous pourrons te rendre grâce avec le psalmiste en confessant : Le Seigneur est proche de ceux qui linvoquent, de tous ceux qui linvoquent en vérité ».