Homélie
Férie du Temps Pascal
« Moi je suis la vraie vigne » ; ce qui suppose implicitement quil existe dautres plantations, qui ont lapparence de la vigne, mais nen sont pas. Le discernement entre la « vraie » plantation et les contrefaçons se fait à partir des fruits : les vignes de ce monde ne produisent quun vin décevant, qui procure une ivresse abrutissante ; la vigne du Seigneur offre un vin vivifiant qui introduit dans la joie de lEsprit.
Lidentification du disciple aux sarments nous conduit spontanément à attribuer au Christ le rôle du cep. Or Jésus affirme par deux fois : « Je suis la vigne, et vous les sarments ». Pourtant aucun doute nest possible : Notre-Seigneur sidentifie bien au cep puisque après avoir précisé que « le sarment ne peut pas porter du fruit par lui-même sil ne demeure pas sur la vigne », il ajoute : « de même vous non plus si vous ne demeurez pas en moi ».
Notre-Seigneur semble suggérer que le nouveau peuple de lAlliance - désigné traditionnellement par limage de la vigne et auquel il sidentifie dans son entièreté (« Je suis la vigne ») - est composée dune multitude de communautés diverses, qui toutes trouvent leur unité et leur fécondité en lui : « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruits ». Jésus est à la fois le cep de chaque plant de vigne, cest-à-dire de chaque église locale, et la vigne tout entière, cest-à-dire lEglise universelle.
Mais en attribuant ainsi limage de la vigne aussi bien au Christ quà lEglise, ne confondons nous pas deux réalités distinctes ? Cette interprétation audacieuse est suggérée comme nous venons de le voir par Jésus lui-même, et cest également celle qui est proposée dans la mosaïque qui décore labside centrale de la basilique Saint Clément à Rome. Larbre de vie de la Croix est une vigne doù coule abondamment le vin pourpre, couleur de sang. De magnifiques rinceaux verts sur fond or portent la vie et la force du Cep divin à des hommes de toutes professions et même à la création tout entière. Au-dessus, la main du Père ; au-dessous cette inscription : « Assimilons lEglise du Christ à cette vigne ».
Il faut bien sûr maintenir la distinction entre lEpoux et lEpouse, entre le Christ et lEglise ; tout en affirmant leur unité ineffable, quasi « organique » comme le souligne limage paulinienne de la Tête et du Corps. Cest cette double tension que suggère également le symbole de la vigne : les sarments ne sont pas le cep, même sils reçoivent de lui leur vie et leur croissance. Dès le printemps, cest-à-dire dès que la sève alimente les sarments, le cep disparaît sous les feuilles des sarments ; ou plutôt il nest plus visible quà travers cette verdure. De même cest bien le cep qui donne le fruit ; pourtant ce sont les sarments qui les portent et les offrent aux vendangeurs.
Ce qui est vrai pour chaque cep, cest-à-dire pour chaque communauté ecclésiale répartie dans lespace comme dans le temps, est vrai pour lEglise tout entière : « Le Christ est la lumière des peuples », mais « lEglise est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, cest-à-dire à la fois le signe et le moyen de lunion intime avec Dieu et de lunion de tout le genre humain » (Constitution dogmatique sur lEglise : Lumen Gentium, I, 1). LEglise est la visibilité du Christ en ce monde, et cest par elle quil continue à dispenser la grâce du salut jusquà son retour en gloire.
Que limage de la vigne et des sarments nous aide à approfondir le mystère de lEglise, auquel tous nous participons par notre baptême. Et puissions-nous nous unir plus étroitement au Christ par une charité renouvelée, afin de produire le fruit que le Père attend de nous.