Homélie
Férie
« On présente à Jésus des enfants pour les lui faire toucher » : réflexe spontané des mamans qui désirent que leur enfant profite des « effluves positives » qui rayonnent de la personne du Rabbi. Le verbe traduit par « toucher » suggère en effet davantage une intervention thérapeutique quune bénédiction. Est-ce en raison du caractère superstitieux de la demande que les disciples « écartent vivement » ces enfants, ou pour protéger le Maître assailli par la foule ? Quoi quil en soit la réaction de Jésus ne se fait pas attendre et est particulièrement ferme : « Il se fâcha » ! Notre-Seigneur considère que cest faire injustice à ces enfants que de les repousser. Quelle que soit lintention des parents, loccasion est trop belle pour ne pas la saisir : Jésus « embrasse et bénit les enfants en leur imposant les mains ». Si la demande au départ était ambigüe, Jésus la corrige en offrant sa bénédiction. Il va même citer lattitude à légard des enfants, comme critère de discernement pour lentrée dans le Royaume.
Deux sens souvrent devant nous : la parole de Jésus peut être entendue comme linvitation à accueillir le Royaume à la manière dont les enfants le reçoivent ; mais aussi comme une invitation à recevoir le Royaume comme sil sagissait dun enfant.
Commençons par la première interprétation, selon laquelle cest « à la manière » des enfants quil nous faut « accueillir le royaume de Dieu ». Quest-ce à dire ?
Il ne saurait être question dinterpréter ces paroles dans un sens moralisateur : le thème de linnocence de lenfant ne fait pas partie de la tradition juive ; le Psaume 51 (50) précise en effet au verset 7 que lhomme est pécheur dès le sein de sa mère. Lenfant représente plutôt lêtre humain en voie de croissance, qui a tout à recevoir et doit se laisser conduire dans la confiance par ceux qui ont la charge de son éducation. Lappel lancé par Jésus résonnerait donc comme une invitation à louverture confiante à sa Personne, dans une relation simple et vraie, empreinte daffection et de respect. Jésus ne demande pas à ces enfants un certificat de bonne conduite : pourvu quils sapprochent, tels quils sont, il « les embrasse », et conformément à la tradition, il « les bénit en leur imposant les mains ».
Selon lautre interprétation possible, Jésus nous inviterait à accueillir le Royaume comme nous accueillons un enfant. Les exégètes penchent plutôt pour cette seconde approche en raison de lattitude des enfants et de celle des disciples. Il est difficile en effet de citer le comportement des premiers en exemple, vu leur passivité : ils sont amenés par leurs parents auprès du Rabbi. Par contre les disciples, en les écartant vivement, manifestent leur refus de les recevoir. Par le fait même ils font la preuve quils ne sont pas encore en état dentrer dans le Royaume, car seul y a accès celui qui le reçoit comme on accueille un enfant. La surprise vient du fait quil faut recevoir le Royaume pour y entrer. Jésus lui-même nous montre en quoi consiste cet accueil : « il les embrassait et les bénissais en leur imposant les mains ». Lorsquon se souvient que le Royaume sidentifie à la Personne de Jésus, on comprend que seul celui qui accueille le Seigneur comme un ami confié à sa tendresse, peut espérer entrer dans le Royaume.
Mais cette interprétation ne renversent-elle pas les rôles : nest ce pas le Seigneur qui nous invite à venir à lui ? Nest-ce pas lui qui nous offre sa tendresse ?
Dans un premier temps, certes : « Il en institua douze pour quils soient avec lui » (Mc 3,14) ; mais le verset poursuit : «
et pour les envoyer prêcher ». Le disciple qui a rencontré en Jésus le « Seigneur tendre et miséricordieux » (Ex34, 6), est chargé den témoigner en le recevant à son tour avec la même tendresse dans la personne de ses frères : « Chaque fois que vous lavez fait à lun de ces petits qui sont mes frères, cest à moi que vous lavez fait » (Mt 25,40). Voilà ce que les disciples nont pas encore compris : le Royaume de Dieu se cache dans les plus petits dont Jésus sest rendu solidaire en épousant leur humanité.
Par le fait même, Jésus affirme non seulement que les enfants font partie de lEglise, mais il nous montre lattitude que nous devons adopter à leur égard : les communautés chrétiennes sont invitées à accueillir les enfants avec tendresse, les embrassant et les bénissant comme le Seigneur lui-même la fait et veut continuer à le faire à travers nous. Souvenons-nous que la qualité de laccueil que nous réservons aux enfants dans nos assemblées peut être déterminante pour la décision quils prendront lorsque lâge sera venu dun choix personnel. Il nest dailleurs pas défendu despérer que lattention que nous leur porterons nous permettra, par un phénomène d« osmose spirituelle », dimiter leur simplicité dans notre relation à Dieu.
Nest-ce pas lorsque « jeunes et vieux se réjouissent ensemble » que nos communautés sapproche de limage de lÉglise proposée par saint Paul dans la lettre aux Ephésiens : « Vous nêtes plus des étrangers, ni des émigrés ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu » (EPh 2,19) ?
« Seigneur Jésus, tu es venu à nous comme un enfant pour nous apprendre quils nous faut renaître pour entrer dans le Royaume. Donne-nous un cur assez simple pour pouvoir te reconnaître et te recevoir tel que tu te donnes, dans les petits que nous rencontrons chaque jour sur notre route. »