Homélie
Sainte Trinité
« Les temps sont accomplis : le Règne de Dieu est tout proche » (Mc 1,14) : tel est le message proclamé par Jésus à laube de son ministère public et dont il va expliciter progressivement le contenu par toute sa vie, sa mort et sa résurrection. La Bonne Nouvelle, cest que Dieu le Père règne en son Fils Jésus-Christ, agissant dans lEsprit. Cette présence trinitaire bienveillante ne sest pas interrompue au moment de lAscension : Jésus demeure présent et agissant au cur de son Église, « tous les jours jusquà la fin des temps » (Mt 28,20). Par lEsprit « qui nous guide vers la vérité toute entière », Notre-Seigneur nous dévoile le visage du Père et nous fait participer à sa vie filiale.
Cette révélation trinitaire qui parcourt tout lévangile, culmine dans le triduum pascal : le Père a tant aimé le monde quil lui a donné son Fils unique. Labsolu de la filiation du Christ nous est révélé le vendredi saint lorsque Jésus se livre à la mort avec une confiance inébranlable dans la puissance vivificatrice de son Père. Au matin de Pâques, le Père nous révèle labsolu de sa paternité lorsquil relève son Fils dentre les morts et lexalte à sa droite en tant que Seigneur et Sauveur universel. Enfin le jour de Pentecôte, Jésus ressuscité envoie dauprès du Père lEsprit Saint, en qui nous devenons participants de la vie divine (2 P 1,4), cohéritiers avec le Christ, partageant sa filiation dans lunique Esprit.
Ainsi les trois Personnes sont solidairement impliquées dans le mystère de notre salut : linitiative vient du Père qui envoie le Fils, et cest vers le Père et en lui que converge lhumanité réconciliée, sous la conduite de lEsprit. Cest le Paraclet en effet qui conduit lÉglise-Épouse jusquà la cité sainte où son Époux lattend. Pour nous qui sommes encore en chemin, les Béatitudes nous enseignent que les vicissitudes du temps présent ne sont pas un obstacle à la participation à la gloire du Père, puisque celle-ci resplendit déjà sur la face du Christ pauvre, doux, miséricordieux, assoiffé de justice, persécuté. Les épreuves de la vie sont le creuset dans lequel sont purifiées notre foi, notre espérance et notre charité, car « la détresse produit la persévérance ; la persévérance produit la valeur éprouvée ; la valeur éprouvée produit lespérance ; et lespérance ne trompe pas, puisque lamour de Dieu a été répandu dans nos curs par lEsprit Saint, qui nous a été donné » (2nd lect).
Tout au long de ce cheminement, qui se déroule dans le clair-obscur de la foi, lÉglise ne se lasse pas de chercher les traces de son Seigneur. Elle se plonge bien sûr dans les Écritures pour y rencontrer celui que son cur aime ; mais elle sinstruit aussi dans le grand livre de la Nature, que le Seigneur a orné de tant de beauté, afin que sa présence et son action y soient perceptibles par tous. La création toute entière en effet est luvre de la Trinité. « Le Père ne prononce quune seule Parole, et il la prononce dans un éternel silence » (Saint Jean de la Croix) ; mais ce Verbe unique contient en lui le germe de toutes créatures. Cest en effet « en lui, le premier-né par rapport à toute créature, que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles : tout est créé par lui et pour lui » (Col 1,15-17). Aussi la Sagesse incréée se reflète-t-elle dans tous les êtres, couvrant de son ombre le monde inanimé, laissant des vestiges de sa beauté dans les êtres vivants, et créant lhomme « à son image et selon sa ressemblance » (Ga 1,26), afin de pouvoir lépouser lorsque les temps seraient accomplis.
Dans son Itinéraire de lesprit vers Dieu, saint Bonaventure sécrie plein démerveillement :
« Celui que tant de splendeur créée nillumine pas est un aveugle. Celui que tant de cris néveillent pas est un sourd. Celui que toutes ces uvres ne poussent pas à louer Dieu est un muet. Celui que tant de signes ne force pas à reconnaître le Premier Principe est un sot. »
Oui nous en avons la paisible certitude : « Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total » (Col 3,19) ; cest en lui que le Père veut « nous introduire en sa présence, saints, irréprochables et inattaquables. Mais il faut que par la foi, nous tenions solides et fermes ; ne nous laissant pas détourner de lespérance que nous avons reçue en écoutant lÉvangile proclamé à toute créature sous le ciel » (Col 3,22-23), et que lEsprit nous fait connaître.
Dès à présent nous pouvons déjà jouir des prémices de ce qui constituera notre béatitude éternelle, car dans sa folie damour, le Dieu trois fois Saint a voulu élire sa demeure dans notre cur. « Nous portons notre ciel en nous », écrivait Saint Élisabeth de la Trinité, car « l’Amour, lAmour infini qui nous enveloppe, cest toute la Trinité qui repose en nous ». Nous sommes la demeure de la Trinité ; la Trinité est notre demeure : « La Trinité, voilà notre chez nous, la maison paternelle d’où ne devons jamais sortir ».
« Seigneur, à voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, que sommes-nous pour que tu penses à nous et nous prennes en souci » (Ps 8) ? Toutes ces merveilles que nous pouvons contempler chaque jour et que nos intelligences commencent à peine à sonder, nous dépassent infiniment et chantent ta gloire bien mieux que nous ne pourrions le faire. Et pourtant, cest « avec les fils des hommes que tu trouves tes délices » (1ère lect.) ; tu as voulu élire ta demeure dans le cur de ceux qui tignorent, te refusent, te rejettent. Ne permets pas que nous soyons ingrats ; guéris-nous de notre cécité ; donne-nous de reconnaître les signes de ta présence et de te glorifier pour ta patience, ta miséricorde et ta bonté, toi qui es Père, Fils et Saint Esprit, Dieu damour à jamais vivant. Amen ! »