Homélie
11e dimanche du Temps Ordinaire
« Simon, jai quelque chose à te dire ». Notre-Seigneur a surpris les cogitations de son hôte qui senlise dans une interprétation erronée de lévénement se déroulant sous ses yeux. En bon pharisien, il évalue la situation en termes de pur et dimpur. Il « sait » qui est cette femme qui touche le Rabbi ; il « sait » que tout homme qui entre en contact avec une pécheresse se rend lui-même impur ; il « sait » aussi quun prophète - un vrai - aurait immédiatement perçu le triste état de lâme de cette femme, et quil ne se serait jamais laissé toucher par elle. La conclusion simpose à notre homme de loi : ce Jésus de Nazareth est un imposteur ; il se fait passer pour un prophète, mais nen a que lapparence. Cest dans cet état desprit que Jésus le rejoint, pour lui ouvrir les yeux sur la face cachée de lévénement, c’est-à-dire sur son sens profond, qui ne se dévoile quaux yeux illuminés par la foi.
Le fait que Notre-Seigneur linterpelle par son nom nest pas anodin : « Simon » signifie « souviens-toi ». « Souviens-toi que le Dieu dAbraham, dIsaac et de Jacob que tu adores, ne repousse pas un cur brisé de repentir (cf. Ps 50, 19). Souviens-toi comment il a pardonné à David sa double transgression lorsque le roi dIsraël avait ajouté le meurtre à ladultère : il a suffi dun sincère mouvement de repentance de la part du coupable, pour que Dieu renonce à appliquer la sentence quil avait prononcée contre lui (1ère lect.). Et je naurais pas pitié de cette fille dAbraham qui mouille de ses larmes mes pieds en signe de repentir ? »
Simon a « oublié » le visage de miséricorde de Dieu qui sannonçait dans les Écritures de la première Alliance ; il est enfermé dans une religiosité légaliste sans âme, dont Jésus va tenter de larracher, en lui proposant une parabole sous forme de devinette. Sous des abords très simples, celle-ci nen demeure pas moins paradoxale. On sattendait en effet à ce que ce soient les débiteurs qui sollicitent une remise de leur dette. Or il nen est rien : linitiative vient du créancier, et son motif est uniquement la compassion : « Comme ni lun ni lautre (des débiteurs) ne pouvaient rembourser, il remit à tous deux leur dette ».
Simon répond sans peine à la question que Jésus lui pose : la reconnaissance des débiteurs est évidemment proportionnelle à la dette annulée. Mais il nest pas sûr que notre pharisien se soit rendu compte de la portée de son affirmation. Cest pourquoi Jésus va interpréter la situation quils sont en train de vivre à la lumière de la réponse que Simon vient de lui donner. Notre-Seigneur fait comprendre avec beaucoup de délicatesse à son interlocuteur, quil est lui-même un des débiteurs de la parabole, lautre étant la femme pécheresse. Dieu a remis leur dette à tous deux indépendamment de la gravité de leurs fautes respectives, et avant même quils ne sollicitent son pardon. Mais tous deux nont pas pris conscience dans la même mesure, de la miséricorde divine. En bon pharisien, Simon se considère justifié en raison de son observance de la Loi. Comment pourrait-il dès lors discerner en Jésus le Sauveur qui le rétablit devant Dieu dans la justice ? Aussi la reconnaissance et lamour sont-ils absents du repas quil offre à Jésus repas qui nest convivial quen apparence.
La femme par contre - dont le nom nest pas mentionné parce quelle représente lhumanité pécheresse mais repentante - a compris que Dieu annule la dette de ses enfants pécheurs, non pas en raison de lamour que ceux-ci lui témoigneraient - comment le pourraient-ils puisquils sont coupés de la source de la charité ? - mais tout au contraire : afin quils puissent laimer, en découvrant la gratuité de sa miséricorde.
On pourrait objecter que cette interprétation ne correspond pas à celle que donne Jésus lui-même, qui dit explicitement : « Si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, cest à cause de son grand amour ». Lamour de la femme est ici désigné comme la cause du pardon, et non comme son effet. Cependant, une telle explication serait incompatible avec la parabole proposée par Jésus, dans laquelle le pardon est incontestablement antérieur à la reconnaissance quil suscite. Pour concilier ces deux interprétations apparemment contradictoires, il suffit de constater quelles décrivent lévénement de la réconciliation sous deux angles différents. Eu égard à la Croix de son Fils, Dieu a pardonné tous nos péchés, avant même que nous les commettions. Mais ce pardon ne nous est pas imposé. Notre part à nous est de reconnaitre en Jésus le visage de miséricorde du Père. Le pardon peut alors envahir notre cur dans la mesure où il souvre à la reconnaissance dans lamour.
La cause première du pardon est donc bien linitiative divine ; mais lappropriation du don de Dieu dépend de laccueil que nous lui réservons. Les péchés de Simon sont tout autant pardonnés que ceux de cette femme pécheresse ; mais il ne sest pas ouvert au pardon que Jésus lui offre : chacun boit leau vive de lEsprit à la mesure de sa soif. Si lamour peut jaillir du cur de cette femme, cest parce quelle a entendu lappel du Cur de Jésus : « Vous tous qui avez soif, venez à moi, et buvez, vous qui croyez en moi ! Comme dit lÉcriture : Des fleuves deau vive jailliront de votre cur » (Jn 7,37-38).
« Père saint accorde-nous de pouvoir, avec le psalmiste, te rendre grâce en confessant nos péchés (Ps 31), et verser le parfum de notre amour sur les pieds de Celui qui nous annonce la Bonne Nouvelle de notre réconciliation avec toi. En reconnaissant la grandeur de ta miséricorde, nous pourrons alors chanter notre allégresse pour le salut que tu offres gratuitement à ceux qui comptent sur toi. »