Homélie
24e dimanche du Temps Ordinaire
« Le Christ ma pardonné ». Saint Paul donne, dans la deuxième lecture, le thème des textes de ce dimanche : nous célébrons la miséricorde du Seigneur.
La première lecture semble pourtant trancher avec la douceur du pardon de Dieu, elle peut même paraître choquante. Que le péché didolâtrie soit une abomination aux yeux de Dieu est une chose, mais que la Bible nous montre le Bon Dieu pris dune violente colère en est une autre
Nous devons cependant dépasser cette difficulté sous peine de faire de lacte pénitentiel un acte de soumission servile devant la puissance écrasante dun dieu tyrannique. Pour cela, il nous faut ouvrir LAncien Testament comme une invitation à entrer dans une lente pédagogie. Ces textes écrits il y a 30 ou 40 siècles portent en effet la marque dune conception de Dieu qui se disait par des anthropomorphismes. Ce regard sest peu à peu affiné jusquà comprendre que la colère de Dieu est dirigée contre le péché et non contre lhomme pécheur.
Par ailleurs le péché didolâtrie de cet épisode de lExode rappelle fortement le périple du fils cadet de la parabole, dont le départ de la maison paternelle est lié à limage imparfaite quil avait de son père et de leur relation. Au cours dun voyage douloureux et purificateur, comme le fut lExode pour le peuple saint, le visage de la Miséricorde est pleinement révélé au fils prodigue.
Et nous ne sommes pas différents deux. Il est nécessaire que la Miséricorde nous soit révélée car, nous explique Jésus, nous ne sommes pas conscients de notre état. Nous nous croyons en bonne santé, alors que nous ne le sommes pas : notre relation à Dieu et aux hommes est malade. Jésus nous le montre dans les trois paraboles de la Miséricorde.
Intéressons-nous dabord au fils prodigue. Il désire profondément vivre une relation juste et vivifiante avec son père, mais il reste centré sur lui-même. La relation à son père lintéresse, mais pour le profit personnel quil peut en tirer. Sa recherche dune relation filiale est réduite à une demande dargent. Si bien quil demande sa part dhéritage, sans se soucier de leffet dune telle demande sur son père ou sur son frère. Son père, quant à lui, respecte la liberté de son fils et ne le retient pas. Le voici donc qui part, au loin, rechercher ce quil avait chez lui. A ce stade de lhistoire, il croit encore que le désir qui lhabite est orienté vers les biens matériels. Il cherche donc à les posséder, il rêve dune vie facile et glorieuse.
Puis une famine survint dans le pays. Cette calamité montre quon ne peut pas fuir indéfiniment sans être rattrapé par la réalité. On ne peut jamais sisoler car nous vivons dans un monde de relations ; on ne peut jamais se satisfaire des biens matériels, une faim plus profonde se réveille toujours un jour ou lautre.
La faim quil ressent na rien dun repentir radical. Il cherche encore dans les biens matériels, il regarde vers les caroubes que mangent les porcs : « Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien ». La faim quil ressent est donc bien une faim liée à la relation. Car rien ne lempêchait de se servir lui-même dans lauge des porcs, les gardiens de porcs ne sont pas sous étroite surveillance habituellement. Sa souffrance vient du fait que personne navait le souci de lui, personne ne laidait à rassasier sa faim.
Cest alors quil pense à son père. Sa chance est là, la victoire est déjà acquise. La relation nest pas encore renouée, mais déjà, par son imagination, il parle à son père. Son raisonnement est simple : Les ouvriers ont du pain car ils le méritent par leur travail. Nayant pas su trouver la relation juste qui lui aurait attiré lattention de son père, il décide de renoncer à son statut de fils et de se présenter comme ouvrier. Il cherche à attirer lamour de son père, tout au moins le mériter désormais.
En cela, il nest pas très éloigné des pensées de son frère. Son aîné est également prisonnier dun esclavage. Celui du travail.
La scène se passe au soir du retour du fils prodigue. Le fils aîné rentre de sa journée de travail, quand « il entendit la musique et les danses ». Lindice est saisissant. Voilà un homme qui na jamais voulu être attentif à ses moindres désirs, même les plus légitimes. Il sest bâti un code de vie extrêmement rigide, auquel il lui fallait être absolument conforme. Le pire est quil la fait croyant plaire à son père.
Il est évident que dans de telles conditions de vie, la colère gronde dans son cur depuis longtemps et ne cherche quune occasion pour sexprimer. Ce soir, la rencontre est trop brutale, il explose : « tu ne mas jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis ». La question porte-t-elle vraiment sur le chevreau ? Probablement pas. Ce sont ses amis qui lui font défaut, des amis pour faire la fête. En a-t-il seulement ? Esclave de son travail, il a négligé toute relation. Il en souffre et le reproche maintenant à son père pour qui il travaille.
Dans la prison quils se sont construite, les deux frères partagent le même fantasme. Le cadet voit les ouvriers manger à leur faim, laîné voit le cadet faire la fête. Mais aucun des deux ne voit lamour gratuit dun père bienveillant qui court à leur rencontre. Pour les deux, lattitude du père est en effet identique. Il sort. Il sort de sa maison et va vers eux. Il court vers le cadet, il supplie laîné. Il veut les faire entrer dans sa joie.
Il nous faut nous interroger maintenant sur le projet de Jésus qui raconte cette histoire. Plutôt ces histoires, car nous en avons lu trois. Pourquoi lire ensemble lhistoire de la brebis égarée, de la drachme perdue, et celle du fils prodigue ? Quy a-t-il de commun entre un mouton, une pièce de monnaie et un jeune insensé ? Rien. La brebis est sans intelligence, comme le jeune homme, mais elle na pas péché ; le jeune homme était perdu, mais la pièce dargent ne se perd pas elle-même, cest nous qui la perdons. Par ces paraboles, Jésus ne cherche pas à attirer lattention sur le désir de conversion du pécheur, mais sur le désir de Dieu de nous faire miséricorde. Dans les trois paraboles, Dieu laisse tout pour courir à la recherche de celui quil a perdu. Dieu a le désir de nous sauver, il en a linitiative, il le veut et il le fait.
Cest ce qua compris saint Paul qui a été rétabli dans sa condition de fils par la miséricorde du Seigneur. « Le Christ ma pardonné » sexclame-t-il. Que nous ayons conscience de lamour de Dieu pour nous ne suffit pas à nous libérer de nos esclavages ; vouloir partager lintimité de sa maison ne rompt pas les chaînes de nos idolâtries. Seul le Christ peut nous sauver. Seul son amour est capable dagir et de transformer nos vies.
Cessons donc de considérer les complications de nos curs malades pour nous tourner avec admiration et reconnaissance vers la source de notre salut, rendons gloire à celui qui nous a aimés alors que nous étions encore ses ennemis, acclamons celui qui veut nous recréer dans sa miséricorde alors que nous méconnaissons son visage. Proclamons avec lÉglise en fête notre joie dêtre rétablis dans son Alliance : « Honneur et gloire au roi des siècles, au Dieu unique, invisible et immortel, pour les siècles des siècles. Amen ».