samedi, 25ème semaine du temps Ordinaire.

Alors que « tout le monde était dans l’admiration », Jésus garde la tête froide : « le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes ». Certes en guérissant l’enfant épileptique, Notre-Seigneur a accompli un signe notoire de la victoire du bien sur le mal, mais à quel prix cette victoire sera-t-elle assurée ? Par quel chemin le Seigneur va-t-il introduire notre humanité dans la gloire qui lui était destinée dès les origines ? « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes ». Cette parole devait être terrible à entendre pour les disciples, qui « avaient peur d’interroger le Maître » et préféraient en rester à leurs rêves d’une restauration idyllique et triomphante.
Il fallait que le Pain du ciel soit rompu par les mains des hommes auquel il était livré : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16). Jésus lui-même nous y invite : « Prenez et mangez en tous : ceci est mon corps, livré pour vous » (Mt 26,26).
Lorsque Notre-Seigneur nous dit : « Mettez-vous bien en tête ce que je vous dis là », il ne nous invite pas à essayer de comprendre rationnellement le mystère ; mais plutôt à garder dans la mémoire de notre cœur qu’avec l’avènement du Fils de l’homme, une autre logique est entrée dans le monde, radicalement incompatible avec nos modes de fonctionnement humains. La puissance de vie qui s’annonce dans les miracles accomplis par Notre-Seigneur, ne se manifestera pleinement que par son passage à travers la mort. Celle-ci lui sera infligée par ceux qui se sont rendus complices du diable, le père du mensonge, homicide dès les origines (Jn 8,44). Dieu va ainsi triompher du mal par le mal : « le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes », ils l’introduiront dans la mort qu’il ignore, afin qu’il puisse y déverser la vie qu’ils ont perdue ! Certes la souffrance, l’injustice, la mort de l’innocent demeurent absurdes et scandaleuses ; mais depuis que le Juste entre les justes y a fait resplendir sa Lumière, tout homme « livré aux mains des hommes » devient une miche de ce grand Pain de la miséricorde par lequel le Père continue de sauver ses enfants par le chemin mystérieux de l’amour immolé.
Comment ne pas être bouleversés par l’actualité de cette parole, en ces jours où le terrorisme étend toujours plus loin sa logique de violence aveugle, frappant l’innocent, cherchant à imposer ce qu’il croit être la justice par la violence la plus injuste ? Il est sans doute difficile de vivre une solidarité concrète avec les hommes et les femmes qui sont victimes de cette spirale absurde. Pourtant, nous vivons quotidiennement à notre minuscule échelle, de petites injustices, que nous avons en général beaucoup de mal à accepter. Un premier pas serait incontestablement de changer notre regard sur ces événements somme toute anodins, et de nous en servir pour entrer dans la logique instaurée par la Croix de Notre-Seigneur. Le grain de blé ne peut nourrir la foule, mais s’il accepte de tomber en terre et d’y mourir, il donne un fruit abondant dont on peut tirer un pain nourrissant. Chaque humiliation peut être pour chacun de nous l’occasion de nous souvenir que la victoire sur le monde ne s’obtient ni par puissance ni par force, mais par l’Esprit du Seigneur.

« Seigneur tu nous as indiqué clairement la voie : “Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez soulagement pour vos âmes” (Mt 11,29). Tu nous invites à triompher du mal dans nos vies en rejetant toute amertume, tout ressentiment, tout désir de vengeance, pour les injustices subies, et en acceptant d’être livrés avec toi “aux mains des hommes” ; dans la certitude que “tu changeras notre deuil en danse, que tu nous réjouiras, nous consoleras après la peine” (Jr 31, 13), le jour où tu viendras “habiter au milieu de nous” (1ère lect.) pour toujours. »