Homélie
Férie
« Seigneur, ny aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? » Du temps de Jésus, la question faisait lobjet dun débat à l’intérieur même du groupe des pharisiens. Jésus ne répond pas directement à la question qui porte sur le nombre des sauvés ; par contre il précise que « beaucoup » chercheront à entrer dans le Royaume sans y parvenir. Autrement dit : au lieu de perdre votre temps à discuter de manière stérile sur le nombre des élus, hâtez-vous plutôt de vous convertir, sans quoi vous pourriez bien faire partie du nombre de ceux qui restent dehors ! Pour bien se faire comprendre, Notre-Seigneur illustre son propos par une parabole.
Le Royaume de Dieu est comparé à une salle de banquet un peu originale : apparemment il ny manque pas de place ; seulement la porte daccès est particulièrement étroite, si bien que la foule se bouscule au portillon. Ce nest quau prix dun réel effort que les convives accèderont au festin bien mérité.
Les catégories mises en uvre sont spatiales - dedans/dehors - et temporelles - premiers/derniers, sous-entendu : arrivés sur les lieux. La salle nest pas indéfiniment accessible : à un moment imprévisible, le Maître de maison se lèvera pour fermer la porte, et il donnera le signal du début des festivités. Il sera dès lors trop tard pour accéder dans lespace intérieur et participer au banquet.
On pourrait croire que les habitants de la ville sont privilégiés : étant sur place, ils ont moins de trajet à parcourir que les étrangers venant de loin. Or il nen est rien : ceux qui tambourinent la porte en réclamant quelle leur soit ouverte, sont apparemment des proches du Maître, puisquils prétendent avoir partagé son repas et bénéficié de ses enseignements. Par contre à lintérieur on dénombre des hôtes venant « de lorient et de loccident, du nord et du midi » : arrivés en dernier, ils se retrouvent aux premières places, aux côtés des patriarches et des prophètes, qui étaient déjà dans la maison depuis un certain temps. Tout semble indiquer que les proches, en raison même de leur proximité, nont pas cru bon de « sefforcer dentrer par la porte étroite ». Comptant sur les privilèges liés au statut de concitoyens du Maître, ils ont cru leur préséance assurée et ont laissé passer les étrangers, se réservant dentrer dignement après la cohue.
La réaction du Maître de maison surprend : par deux fois il déclare ne pas savoir « doù » sont ceux qui linterpellent derrière la porte. Ils ont beau argumenter dune proximité géographique, la réponse semble insuffisante, puisquelle ne fait pas changer le Maître dattitude. La seconde fois, celui-ci précise cependant le motif de leur mise à lécart : « Éloignez-vous de moi, vous qui faites le mal ». Ceux qui restent dehors viennent donc dun lieu où le mal est commis ; ce qui laisse supposer que tous ceux qui sont à lintérieur, viennent dun lieu où seul le bien a droit de citée. Si nous nous souvenons que « personne nest bon sinon Dieu seul » (Lc 18,19), il apparaît que les convives sont exclusivement ceux qui ont accueillis le message de grâce de Jésus, et sont devenus par la foi, « participants de la vie divine » (2 P 1,4). « Personne en effet, à moins de naître de leau et de lEsprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair nest que chair ; ce qui est né de lEsprit est Esprit » (Jn 3,5-6).
Pendant quil était au milieu deux, Jésus - car cest bien de lui quil sagit - na cessé davertir les chefs religieux dIsraël de lurgence de la conversion - le passage par la « porte étroite » - mais ils nont pas voulu entendre la portée de ses paroles. Nous aussi, jour après jour, le Seigneur nous invite à nous arracher à la dispersion dans lextériorité pour nous recentrer sur lessentiel : « Vous êtes ressuscités avec le Christ, insiste Saint Paul. Recherchez donc les réalités den haut : cest là quest le Christ, assis à la droite de Dieu. Tendez vers les réalités den haut, et non pas vers celles de la terre. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire » (Col 3,1-4). Pour le redire dans les termes de la parabole de ce jour : quand le Christ Jésus reviendra - ou quand nous paraîtrons devant lui au terme de notre vie - seuls ceux parmi nous qui auront eu à cur dentretenir la flamme dune « foi agissante par la charité » (Ga 5,6), seront admis en sa présence et jouiront de son intimité.
Il ny aura pas de préséance qui vaille : ni pour les juifs, ni pour les chrétiens ; il ne servira à rien dargumenter que nous avons écouté assidument la Parole et participé fidèlement à lEucharistie : si ces pratiques ne nous ont pas conduits à une conversion de vie qui témoigne que nous sommes nés den haut - de la grâce divine - le Seigneur nous dira à nous aussi : « Je ne sais pas doù vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous qui faites le mal ».
Puissions-nous prendre au sérieux ces paroles et discerner les temps où nous sommes. Le Maître de la maison sest levé dentre les morts et nous invite à le suivre : osons emprunter le passage étroit de sa Passion - c’est-à-dire de la mort à nous-mêmes et aux séductions de ce monde - pour participer à la gloire de sa Résurrection, et accéder au banquet des noces de lAgneau.
« Seigneur, nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisquils sont appelés selon le dessein de son amour (1ère lect.). Mais comment être sûr que je taime vraiment ? Ce nest pas ma pauvre affectivité blessée et narcissique qui est digne de toi ! Je ten supplie, Seigneur : envoie sur moi ton Esprit de charité ; quil vienne au secours de ma faiblesse, car je ne sais ni aimer, ni prier comme il faut (cf. 1ère lect.). Prenant alors appui sur ton amour, mon cur connaîtra la joie de ton salut, et je pourrai te chanter pour le bien que tu mas fait (cf. Ps 12). »