Homélie
Férie
« Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » : on aurait aimé entendre les propos de Jésus sur le Royaume qui arrachent ce cri démerveillement à un de ses auditeurs !
Pourtant la réponse du Seigneur résonne comme une sérieuse mise en garde, car cet interlocuteur juif tout comme lauditeur chrétien que je suis - fait partie des premiers invités à ce « grand dîner ». Il ne suffit pas de sémerveiller devant les conditions du repas messianique ; il faut surtout veiller à ne pas repousser linvitation lorsquelle se présente.
Nous espérons tous jouir un jour du bonheur du ciel, mais
après avoir fait le tour des joies terrestres, et épuisé toutes les possibilités que nous offre notre humanité ! Les occupations présentées comme excuses pour ne pas avoir à répondre à linvitation, nont rien dextravagant ou de peccamineux : il sagit dactivités normales de la vie. Pourtant, la parabole dénonce quelles peuvent constituer un dangereux obstacle à la participation au Royaume.
Les invités nont pas été surpris à limproviste : ils avaient été avertis, et lorsque selon la coutume le serviteur vient leur signifier le début des festivités, il auraient dû accourir sans tarder. La désinvolture avec laquelle ils repoussent linvitation qui leur est faite, est une forme subtile de mépris envers celui qui leur fait lhonneur de les convier.
On comprend la colère de cet homme, qui ne décommande pas pour autant son repas : puisque les invités étaient indignes, dautres profiteront de ce qui leur était destiné. Non seulement « les pauvres, estropiés, aveugles et boiteux » - bref : les déshérités de la vie, les exclus de la convivialité sociale - sont « invités », mais ils sont « amenés » par le serviteur jusquà la salle des fêtes. On imagine sans peine que ceux qui nont rien à perdre, se font moins prier et répondent avec bien plus dempressement à cette invitation inespérée !
Profitant de leffet de surprise de ce dénouement inattendu, Jésus interprète lui-même la parabole en sidentifiant à un des personnages : « Je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne profitera de mon dîner ». Cest donc lui le Maître de maison qui convoque en vain les invités de la première heure - entendons Israël. Mais lendurcissement du peuple de la première Alliance, qui na pas voulu reconnaître le temps où Dieu le visitait, son refus obstiné dentrer dans le Royaume promis, va en ouvrir les portes à tous les exclus, c’est-à-dire à tous les païens qui se convertiront à lEvangile.
Cette parabole vaut pour les Juifs du temps de Jésus, mais aussi pour nous chrétiens daujourdhui. Qui dentre nous na pas un jour ou lautre refusé une sollicitation de lEsprit sous prétexte que nous étions trop occupés, trahissant ainsi que nous nous sommes bel et bien appropriés les activités que le Seigneur nous a confiées ? La première invitation nous est parvenue, et nous y avons répondu le jour de notre baptême ; mais nous tenons-nous prêts à chaque instant pour la convocation définitive ? Sommes-nous disposer à tout quitter pour répondre à lappel du Seigneur quand il viendra ?
« Attends le Seigneur Israël, nous exhorte le Psalmiste maintenant et à jamais ». Et il nous indique le chemin pour garder notre cur dans cette attitude de paisible vigilance : « Je nai pas le cur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère ». Lhumilité ne consiste pas à prétendre que nous ne sommes bons à rien ; mais plutôt à accomplir ce que le Seigneur attend de nous dans la reconnaissance pour la confiance quil nous témoigne, et dans la simplicité dun cur tout tourné vers lui et prêt à lui répondre au moindre appel. « Vers toi jai les yeux levés, vers toi qui es au ciel. Comme les yeux de la servante vers la main de sa maîtresse, nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu, attendent sa pitié » (Ps 123[122]).
« Seigneur, de quoi nous rassasierons-nous au repas dans ton Royaume, sinon de la lEsprit de charité que tu nous donneras en surabondance ? Apprends-nous à vivre dès à présent dans la communion fraternelle, plus soucieux du bien commun que du nôtre ; alors nous ne serons ni surpris, ni dérangés par ton appel, qui ne fera que confirmer lorientation que nous aurons donnée à notre vie, sous la conduite de ta grâce. Plutôt que de contrister lEsprit (cf. Ep 4,30), accorde-nous de le laisser jaillir (cf. Rm 12,11) pour ton service et celui de nos frères. »