Homélie
Férie de l’Avent
« Que pensez-vous de ceci ? » Jésus nous invite à prendre position par rapport au comportement du propriétaire des brebis. Si nous répondons spontanément, nous nous étonnerons sans doute de la réaction impulsive de cet homme. Certes son souci de retrouver la brebis égarée est louable, mais sa décision nexpose-t-elle pas le reste du troupeau à tous les dangers qui rôdent « dans la montagne » où il labandonne ? La prudence élémentaire ne lobligeait-elle pas à prendre le temps de rentrer le troupeau dans la bergerie avant de se lancer « à la recherche de la brebis égarée » ?
Après ce premier mouvement de surprise devant le comportement pour le moins paradoxal de cet homme, une lecture plus attentive nous aide cependant à entrer dans la logique de son choix.
Pour commencer, le récit ne dit pas quil est le « berger » du troupeau, mais son « propriétaire ». Nous sommes donc en droit de penser que lorsquil se met en quête de légarée, les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis demeurent sous la vigilance attentive des bergers à qui le propriétaire a confié son troupeau. Cette interprétation cadre tout à fait avec le contexte du récit dans le premier Évangile. Alors que saint Luc propose cette parabole au chapitre 15 consacré à la miséricorde, saint Matthieu linsert dans un enseignement portant sur la communauté des disciples (Mt 18,1-35). Il vient dinsister sur la place centrale qui revient aux « petits » dans lÉglise : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux » (Mt 18,11). Suit immédiatement la péricope de ce jour. Le « petit » qui devient la « brebis égarée », représente donc le néophyte - le croyant « nouveau-né » - quil faut à tout prix préserver du « scandale » (Mt 18,7), afin de ne pas provoquer sa chute (Mt 18,6), ou son égarement. Et si par malheur « un de ces petits » était « entraîné au péché par le scandale » (Mt 18,7), sil ségarait loin des chemins de lÉvangile en raison du contre-témoignage de ses aînés dans la foi, il faudrait sans tarder partir à sa recherche pour le retrouver et le ramener dans la communauté du salut. Car le Bon Berger sest fait Agneau et sest offert en sacrifice, pour racheter et « rassembler dans lunité tous les enfants dispersés » de son Père (Jn 11,52), « qui ne veut pas quun seul de ces petits soit perdu ». Le verset qui suit immédiatement notre péricope confirme également cette interprétation, puisque Notre-Seigneur y explicite la procédure de réconciliation à mettre en uvre pour ramener dans le droit chemin les frères égarés dans le péché.
Le propriétaire des brebis, cest le Père, qui les confie à son Fils : « Elles étaient à toi, tu me les as données » (Jn 17,6). Dès lors celui-ci peut agir comme si les brebis lui appartenaient ; en effet : « Ceux que tu mas donnés sont à toi, et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10). « Lhomme qui possède les brebis » et qui, laissant son troupeau dans la montagne, part « à la recherche de la brebis égarée », cest donc dabord le Christ ; mais aussi tout disciple qui partage la préoccupation de Jésus pour les brebis que le Père lui confie. Le souci des « petits entraînés à la chute » ne se fait pas au détriment du reste de la communauté, pas plus que la recherche de la brebis égarée nexpose le troupeau à labandon : les responsables - les « bergers » - ont à assumer leur ministère au sein de leur communauté, tout en gardant le souci des brebis égarées. Tout responsable dÉglise est en effet appelé à porter à la fois le souci personnel de lÉglise locale qui lui est confiée, et la charge apostolique de lannonce de la Bonne Nouvelle à tous les hommes - à commencer par ses frères dans la foi qui se sont éloignés des chemins de lÉvangile : « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusquà la fin du monde » (Mt 28,20).
En raison de la solidarité qui unit les « membres de la famille de Dieu » (Ep 2,20)), tous accompagnent par leur prière et leur supplication celui qui est allé chercher la brebis égarée ; ils partagent sa quête angoissée, et exultent avec lui lorsquelle sest enfin laissée trouver, et consent à reprendre sa place parmi ses frères et surs dans la communauté du salut.
« Seigneur, enlève mon cur de pierre, et donne-moi un cur de chair (Ez 36, 26), compatissant et miséricordieux. Ne permets pas que je demeure indifférent devant les égarements de mes frères, mais que le désir brûlant de leur salut me fasse courir à leur recherche. Que lEsprit Saint mette sur mes lèvres les paroles qui touchent leur cur et leur permettent de découvrir que tu es un berger plein de tendresse, qui cherche la brebis perdue et ramène légarée ; qui soigne celle qui est blessée et rend des forces à celle qui est faible ; qui garde et fais paître avec justice celle qui est grasse et vigoureuse (Ez 34, 16-17). »