Homélie
Férie de Carême
« Quel est le premier de tous les commandements ? » Un commandement est un acte dautorité auquel on doit se soumettre. Un tel mot na pas de bonne presse de nos jours, lautorité nétant plus associée ni à la croissance ni à lamour. Ainsi recevoir comme premier dentre tous les commandements « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » semble souvent hors de propos. Il est facilement interprété comme un amour sous contrainte, une violence plus ou moins voilée. Jésus lui associe un autre commandement, tiré du livre du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain ». Il nous commande à nouveau daimer. Lobjet de cet amour est cette fois un frère, mais il ne relève ni ne nuance le fait quon doive aimer.
Un tel amour sur commande peut-il exister ? Oui. Lamour est lié à la volonté. Aimer le Seigneur est décider fermement de sattacher à lui, c’est-à-dire de refuser toute idolâtrie. Le Seigneur nous demande de nous attacher à lui parce quil est la vie et parce quil veut que nous vivions. Il peut le faire sans que cela soit une contrainte pour nous car lui sest déjà attaché à nous. Il nous a aimés le premier. Il ne prend pas notre liberté, il engage la sienne et il nous invite à connaître le bonheur dengager la nôtre envers lui.
Cet engagement consiste au fond en un décentrement de soi, c’est-à-dire le mouvement inverse de celui que les conséquences du péché nous imposent. Doù linsistance : « de tout cur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ». Il nous faut nous investir totalement dans cette relation dont larrachement initial est coûteux. En cela, la conscience de lamour de Dieu pour nous est précieuse. Nous y trouvons lélan nécessaire.
Mais lamour de Dieu ne saurait être séparé de lamour du prochain : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », ajoute Jésus. Il sagit du même mouvement de décentrement de soi et douverture à lamour.
Le scribe, qui sétait « avancé » vers Jésus pour une rencontre personnelle, loue lenseignement du maître et y reconnaît lenseignement des prophètes : « aimer de tout son cur ( ) vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices ». Jésus se réjouit de cette réponse : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu ».
Mais, si ce scribe a compris lenseignement de Jésus, pourquoi est-il encore à distance du royaume ? Pourquoi nest-il que « pas loin », alors que, grâce à lui, nous avons entendu la plus belle définition du royaume de Dieu ? Parce que la difficulté nest pas vraiment dans lenseignement de Jésus, qui a généralement été bien accueilli. Ce qui fait problème est sa personne. Car il est celui qui vient révéler et vivre ces deux amours indissociables, il est celui qui annonce et qui accomplit la perfection de la charité. Entrer dans le royaume est passer la porte, qui est Jésus. Il nous faut nous décider pour lui. Découvrir en lui celui qui vit la perfection de lamour de Dieu et du prochain et qui nous rend capables, par le don de son Esprit, de le vivre également.
Seigneur Jésus, donne-nous à profusion cet Esprit qui nous décentre de nous-mêmes, qui nous entraîne à ta suite sur les chemins du don de soi. Apprends-nous à aimer car nous ne voulons aimer que toi et aimer nos frères en toi et pour toi.