Homélie
Jeudi Saint
« Avant la fête de la Pâque, sachant que lheure était venu pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusquau bout. »
Jésus sait que lheure de sa Passion est là et il veut maintenant en révéler tout le sens aux apôtres réunis autour de lui pour le repas pascal. Jésus va effectuer sa Pâque, il va effectuer son passage vers le Père, il va souffrir sa Passion par amour pour nous afin de nous réconcilier avec le Père. Cet amour il va le vivre « jusquau bout » cest-à-dire jusquà la mort et jusquà lextrémité de lamour. Sa passion et sa mort constitueront ainsi le service d’amour fondamental grâce auquel il libèrera l’humanité du péché
Jésus va déposer son vêtement comme il déposera sa vie entre les mains du Père, avant de le reprendre comme il ressuscitera le troisième jour. Le geste du lavement des pieds nous montre précisément que le chemin pour ressusciter et vivre de la vie divine est le chemin de labaissement, de lhumilité où lhomme se fait, à limitation du Christ, le serviteur dans la charité de ses frères en humanité. A travers les paroles quil lui adresse, cest précisément cela que Jésus enseigne à saint Pierre ainsi quà nous tous. Le don de soi par amour qui se manifeste dans la mort à soi ouvre à la vie véritable. Le repli sur soi qui se manifeste dans la philautie (vivre pour soi dans lamour de soi) étouffe et conduit à la mort.
Cette page dévangile du lavement des pieds nous révèle que le christianisme est bien plus quune adhésion intellectuelle à un contenu de foi, quil est bien plus quune philanthropie basée sur la bonne volonté de lhomme. Cela est bien trop humain !
Le christianisme cest lexpérience dune foi vivante, animée par la charité qui naît de la rencontre personnelle avec Dieu qui sest abaissé en son Fils, qui sest fait homme, qui est venu se mettre à genoux devant moi pour me laver les pieds afin de mélever et de me donner part à sa vie divine. Et cette expérience na rien dindividualiste. Elle ouvre à luniversel car elle fait naître dans la vie de celui qui la goûte le désir de se donner dans lamour comme le Christ et de coopérer ainsi au salut du monde.
Il nest pas fortuit que chez saint Jean, lépisode du lavement des pieds prenne la place du récit de linstitution de lEucharistie tel quil nous est rapporté par les évangiles synoptiques. Le lavement des pieds nous donne le sens de ce que nous sommes invités à vivre à chaque Eucharistie. A chaque Eucharistie, nous avons de la part de Dieu, le témoignage d’un amour allant "jusqu’à la fin" (Jn 13,1) et nous pouvons choisir à nouveau de nous engager sur le chemin du don dans lamour.
La force nous en est donnée par le Christ lui-même qui se donne à nous en nourriture, qui vivifie notre pauvre amour humain par son propre amour divin. Car lInstitution de lEucharistie, comme le lavement des pieds, nous enseignent cette chose capitale qu’avant de vouloir se donner, avant de vouloir aimer, il faut « ouvrir son cur pour accueillir l’amour du Christ ». C’est son amour qui nous rend capables d’aimer nos frères à notre tour : « Si je ne te lave pas les pieds, tu nauras pas de part avec moi », autrement dit « tu ne pourras pas aimer dun amour sauveur à limage du mien ».
Le lavement des pieds et le sacrement de l’Eucharistie sont donc les manifestations d’un même mystère d’amour confié aux disciples et à nous tous « pour que - dit Jésus - vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous » (Jn 13,15). Cest de cela dont nous sommes appelés à faire mémoire à chaque Eucharistie : « Faites cela en mémoire de moi ».
Faire mémoire. Il ne sagit pas ici de se souvenir simplement dun événement passé aussi fondateur soit-il pour notre existence chrétienne. Ce « faire mémoire » est une actualisation du mystère du don du Christ pour nous, nous donnant den goûter réellement et efficacement les fruits. Dans le don de lEucharistie, Jésus Christ a confié à l’Église l’actualisation permanente du mystère pascal, du mystère de notre salut. Par ce don, il a institué une mystérieuse « contemporanéité » entre le Triduum et le cours des siècles.
Dans l’événement pascal et dans l’Eucharistie qui l’actualise au cours des siècles, il y a un « contenu » que lespace et le temps ne sauraient limiter puisquen lui est présente toute l’histoire en tant que destinataire de la grâce de la rédemption. A chaque Eucharistie, Dieu nous lave tout entier en nous incorporant à lui par la communion eucharistique. Il nous invite à accueillir son amour sauveur et à nous laisser transformer par lui afin den être les canaux auprès de nos frères. Oui, cest bien dans la mesure où nous nous unirons au Cur eucharistique du Christ, que nous lui permettrons dopérer en nous ce débordement que nous appelons charité fraternelle.
« Seigneur, nous te rendons grâce pour le don de lEucharistie, signe éternel et efficace de ton amour divin pour nous. Ce don de ton amour nous soutient sur le chemin de la pleine communion avec le Père à travers toi et dans lEsprit. Ce don de ton amour nous éduque à lamour et nous permet de goûter déjà les prémices de la joie de ton Royaume.
En prenant le temps ce soir de tadorer dans le Très Saint Sacrement et de méditer le mystère de la Dernière Cène, cest lâme remplie de gratitude que nous nous plongerons dans l’océan d’amour qui jaillit de ton cur et que nous ferons nôtre l’hymne daction de grâce du peuple des rachetés : « Tantum ergo Sacramentum / veneremur cernui
»