Homélie
Vendredi Saint
« Venez et vous verrez » (Jn 1,39) : cette invitation adressée par Notre-Seigneur à ses premiers disciples, prend ici tout son sens. Pour découvrir qui est Jésus, il faut oser nous mettre à sa suite sur les chemins de sa Pâque, et contempler avec les yeux de la foi, la gloire du Fils de Dieu qui resplendit au cur même de la déréliction de sa Passion damour.
Mieux que tous les autres évangélistes, Jean souligne la manière dont Jésus domine ceux qui semblent disposer de lui. Cest Jésus et lui seul qui dirige les événements selon les desseins du Père, les menant à leur parfait accomplissement. Si lévangéliste insiste ainsi sur la souveraine liberté de Notre-Seigneur, cest pour souligner quil vit sa Passion comme une offrande damour.
Judas na même pas besoin de livrer son Maître : celui-ci se présente lui-même : « Qui cherchez-vous ? ». Bousculade imprévue ? Surprise devant la sérénité et la maîtrise de celui quils viennent arrêter ? Ou mystérieuse terreur religieuse ? Quoi quil en soit, les gardes et les soldats « reculent et tombent à terre », se prosternant sans le vouloir devant la majesté de leur victime.
Comme « le Bon Berger qui donne sa vie pour ses brebis », Jésus protège les siens et les met à labri : « Si cest moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci ». Saint Jean commente : « Cest ainsi que devait saccomplir la parole que Jésus avait dite : Je nai perdu aucun de ceux que tu mas donné ». Par contre pour lui-même, Notre-Seigneur refuse toute protection : au fougueux Simon-Pierre qui dégaine lépée, il ordonne : « Remets ton glaive au fourreau ! La coupe que le Père ma donnée, ne la boirai-je pas ? ».
Hanne, Caïphe, Pilate, tous sont impressionnés par la dignité et la maîtrise de soi de cet étrange prisonnier devant lequel ils nont dautre recours que la violence. Mais ni les insultes, ni les menaces, ni les tortures ne viennent à bout de la paix de cet enchaîné qui se révèle infiniment plus libre que ses juges et que ses bourreaux : « Tu naurais sur moi aucun pouvoir sil ne tavait été donné den-haut ». Ces hommes ne sont que les instruments dun dessein qui les dépasse infiniment ; par leur cruauté et leur injustice : ils sont sans le savoir les artisans de leur propre salut. « Cétaient en effet nos souffrances quil portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions quil était châtié, frappé par Dieu, humilié. Or, cest à cause de nos fautes quil a été transpercé, cest par nos péchés quil a été broyé. Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui, et cest par ses blessures que nous sommes guéris » (1ère lect.).
Où est-il le dieu vengeur, castrateur, ennemi de lhomme, jaloux de son bonheur ? Que la contemplation du vrai visage de Dieu - celui quil nous révèle sur la Croix - purifie nos consciences de ses idoles lancinantes, chasse toute peur, pour que nous puissions accueillir le don du Père en son Fils Jésus-Christ. « Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours » (2nd lect.).
« Ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; cétait environ la dixième heure » (Jn 1,39), cest-à-dire quatre heures de laprès-midi, lheure de la mort de Jésus, ou plutôt lheure où il descend dans notre mort pour la remplir de sa vie. Cest là, au pied de la Croix, quil nous faut demeurer avec lui, afin dapprendre de Dieu lui-même qui nous sommes à ses yeux, le prix que nous avons pour lui. « Je répandrai sur la maison de David et sur lhabitant de Jérusalem un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui quils ont transpercé. Ce jour-là une Source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem en remède au péché et à la souillure » (Za 12, 10. 13, 1) : que le flot de tendresse jaillissant du Cur du Christ chasse toute culpabilité et toute angoisse devant sa souffrance et sa mort. Elles sont nôtres les blessures de lAgneau : comment nous les reprocherait-il, puisquil nous les offre pour que nous y trouvions la guérison.
« Venez, faisons de notre amour comme un encensoir immense et universel, prodiguons cantiques et prières à celui qui a fait de sa Croix un encensoir à la divinité, et nous a tous comblé de richesses par son Sang » (saint Ephrem).