Homélie
Férie
« Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ». Lévangile contient des versets qui dérangent et qui choquent. Nous en rencontrons aujourdhui. Ne faisons-nous pas mémoire à chaque eucharistie de Jésus disant « je vous donne la paix, je vous laisse ma paix » ? En quoi nous tromperions-nous en croyant quil est venu apporter la paix ?
Pour mieux le comprendre, rapprochons ce verset dun autre, très similaire, qui se trouve au début de lévangile de Matthieu : « Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi ou les prophètes », disait Jésus. Il insistait alors pour dire quil nétait pas un révolutionnaire, mais quil accomplirait la Loi à liota près. Cette affirmation nous est spontanément plus accessible, car la révolution est toujours pénible à gérer. Pourtant, lévangile va bien engendrer une vraie révolution, qui va changer le monde à jamais ! Une telle tournure est donc le signe dun verset paradoxal.
Ainsi, quand Jésus dit quil nest pas venu apporter la paix sur la terre, cest avant tout pour affirmer que sa venue va changer beaucoup de choses, quelle aura des conséquences visibles et engendrera de profonds changements. Lui est effectivement venu pour apporter la paix, il est réellement lAgneau de Dieu, le roi dhumilité qui se présente à nous vulnérable. Mais cette paix remet tellement en cause lordre du monde que lhomme a établi (nous devrions dailleurs lappeler désordre du monde ), que cette paix suscite une très vive opposition. De cette opposition naissent les divisions que Jésus désigne comme « le glaive » quil est venu apporter. Le Messie nest donc pas venu amener la division, mais comme le don quil nous fait oblige à prendre position par rapport à lui, de profondes divisions se créent, des camps se distinguent, dont lun lui est hostile et complote sa mort.
Si nous étions tentés de limiter ces divisions au domaine social ou religieux, les versets qui suivent nous ramèneraient brutalement à la réalité : « on aura pour ennemis les gens de sa propre maison ». Mais cela paraît à présent plus clair : puisquaccueillir le don du Messie est entrer dans une vie filiale renouvelée, être fils dans le Fils unique, tous les aspects de notre vie, y compris la façon de vivre les relations familiales, sont soumis à une transformation radicale. Il y a un dépassement des liens familiaux dans lamour pour le Messie. Dès lors, tout ce qui est égoïste dans nos relations familiales résiste et crée des divisions. Cela vaut autant pour le père envers le fils que pour le fils envers le père. Tout lien damour qui nest pas purement vécu dans le désintérêt et le don total de soi, est mis à rude épreuve. Mais traverser cette épreuve de purification, accueillir la grâce du Christ jusque dans nos relations les plus fondamentales, transforme nos vies et donne de goûter à une paix dune qualité insoupçonnée.
Ainsi le Christ est-il venu apporter la paix qui est le fruit de la réconciliation. Cette réconciliation est offerte à ceux qui sont divisés comme à ceux qui croient être unis alors quils sont, à un certain degré, enchaînés : tel aime pour le plaisir égoïste dêtre nécessaire à lautre, tel pour lorgueil de prouver que lautre ne peut grandir et progresser sans lui, tel aime « par correspondance », je veux dire dans une communion didéal romantique qui ne sengage jamais et ne se confronte pas aux exigences du réel. Plus généralement, tel voyant lhomme nouveau grandir dans lâme dun proche tentera de le ramener à soi pour ne pas le perdre, voyant Jésus, souvent dans le savoir, comme un concurrent. Aucune de ces formes damour ne procèdent de la vie éternelle. Lamour qui est vie est lamour qui naît de la rencontre avec Dieu et qui sépanouit dans la paix que Jésus donne.
Seigneur, vient accomplir en nous ce que tu dis, que nous soyons en toutes circonstances des aides dévoués et efficaces de la sanctification de nos proches et que jamais nous ne laissions perdre le don de la paix que tu nous donnes.