Homélie
17e dimanche du Temps Ordinaire
« Un trésor » : voilà bien une parole magique qui retient spontanément notre attention ! Les interlocuteurs de Jésus ne faisaient pas exception : bon nombre de contes orientaux sont structurés autour de la recherche dun trésor fabuleux. Souvenons-nous de la caverne dAli Baba qui nous a tous fait rêver !
Pas besoin de longs discours : quelques paroles suffisent pour solliciter notre imaginaire. Aussi Jésus se contente-t-il de nous donner la trame du scénario : au cours de son travail, un ouvrier agricole découvre un « trésor caché ». On imagine sans peine sa joie et son excitation ; mais notre homme nen perd pas pour autant le nord. Légalement il a droit à la moitié du butin, lautre moitié revenant au propriétaire du champ. Pour éviter de devoir partager sa découverte, notre héros préfère vendre tous ses biens et acquérir le champ, afin de faire main basse sur la totalité du magot.
Spontanément nous nous imaginons un coffre rempli de pierres précieuses, dont la vente nous permettrait de couler des jours heureux, libres de tous soucis matériels. Mais le récit garde-t-il vraiment pour nous cette même saveur lorsque nous identifions ce fameux trésor avec le « Royaume des cieux » ? Jésus ne nous demande-t-il pas dans un autre passage, de choisir entre Dieu et largent ? La caverne dAli Baba nest-elle pas dénoncée dans lEvangile comme lantre du diable ? Du coup, ce Dieu qui ne veut pas que nous nous enrichissions, na-t-il pas pris dans notre imaginaire lapparence dun épouvantail nous interdisant laccès au bonheur ?
Peut-être découvrons-nous, en écoutant nos réactions intérieures face à cette parabole, que nous portons en nous limage dun Dieu jaloux de notre bien-être. Certes nous lui obéissons parce quil est plus puissant quAli Baba, mais le cur ny est pas, et nous « louchons » vers la caverne au trésor
Il est bon de prendre conscience de ces ambiguïtés, afin de laisser lEsprit nous purifier de nos conceptions idolâtriques et nous relancer dans notre quête du vrai Dieu. Le « Royaume des cieux » est bel et bien un « trésor », et même un trésor infiniment plus précieux que toutes « les perles de grande valeur » du monde, puisquil nous donne accès au mystère de Dieu lui-même, la source de tout bien. Mais pour acquérir ce trésor ineffable, nous devons consentir à renoncer à ce que nous croyons savoir sur le mystère divin. Seul celui qui « vend tout ce quil a », c’est-à-dire qui se débarrasse de toutes ses précompréhensions sur Dieu, peut se disposer à accueillir lhéritage promis à ceux qui, par la foi en la Parole du Fils, souvrent à la Révélation du Père.
Remarquons bien que notre héros nachète pas le trésor, et pour cause : il est par définition hors de prix. Mais il acquiert le champ dans lequel il est enfoui. Ne serions-nous pas cet agriculteur qui travaille la glaise de sa vie comme un ouvrier, tant quil na pas découvert quil ne tient quà lui de devenir fils et donc propriétaire ? Pour opérer cette prise de conscience, il suffit que nous renoncions à vouloir obtenir le salut par nos propres efforts, pour nous mettre à lécoute de la Parole que le Père nous adresse en son Fils unique Jésus-Christ. Nous découvrirons alors que le don de Dieu nous précède, car « il nous a choisis dans le Christ dès avant la création du monde, pour que nous soyons, dans lamour, saints et irréprochables sous son regard » (Ep 1,4). Et « ceux quil connaissait par avance, il les a aussi destinés à être limage de son Fils, pour faire de ce Fils laîné dune multitude de frères » (2nd lect.), afin de leur donner part à sa gloire (Ibid.).
Le choix nest pas entre les richesses de la caverne dAli Baba et la misère dune religiosité sans âme ; mais entre les biens éphémères de ce monde qui passe, et la participation à la gloire de Dieu, dans le Royaume qui ne passera pas. Celui qui a découvert le véritable enjeu de cette vie, sen va tout joyeux vendre tout ce quil possède pour acquérir ce champ précieux et en extraire son trésor spirituel. Se joignant au Psalmiste il peut alors chanter : « Mon partage, Seigneur, cest dobserver tes paroles. Mon bonheur, cest la loi de ta bouche, plus quun monceau dor ou dargent ! » (Ps 118).
Telle est la véritable sagesse, celle qui ne sarrête pas aux choses qui nous entourent, mais discerne la présence cachée de celui qui nous fait signe à travers elles. Nous découvrons ainsi que la liberté ne consiste pas à user - voire abuser - de ce monde selon notre bon plaisir, mais à pouvoir nous servir des dons de Dieu pour devenir ses collaborateurs, et gouverner avec lui la création quil nous a confiée. Cest ce que lEsprit avait fait comprendre au jeune Salomon, lui inspirant de demander « non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de ses ennemis, mais le discernement, lart dêtre attentif et de gouverner » (1ère lect.) sa vie selon le dessein de Dieu.
« Avez-vous compris tout cela ? » demande Jésus tout en jetant un regard circulaire insistant sur ceux qui lentourent. Devant leur réponse affirmative le Seigneur conclut par une parole quelque peu énigmatique. Quel est donc ce scribe devenu disciple du Royaume, sinon celui qui a « compris » lenseignement des paraboles et a tout vendu pour suivre Jésus, afin dentrer avec lui dans le Royaume ? De serviteur dun patrimoine terrestre qui ne lui appartenait pas, il est devenu comme « un maître de maison » qui dispose du trésor quelle contient. Car les quelques biens de ce monde que nous avons mis tant de mal à rassembler, nous serons en tout cas retirés au moment du grand passage, qui mettra en lumière la vanité de notre soif de posséder ; alors que dès à présent nous est offert laccès à un Royaume si vaste, que nous naurons pas assez de léternité pour en faire le tour ! Vraiment : que pourrions-nous imaginer de plus précieux que la foi qui fait de nous les héritiers du Dieu vivant ?
« Loué sois-tu Père, toi qui nous appelles jour après jour à nous laisser réconcilier avec toi par ton Fils en qui nous sommes justifiés, afin de pouvoir nous donner part à ta gloire. Mais ce mystère de grâce nest accessible que dans la foi, c’est-à-dire dans laccueil inconditionnel de la Révélation de ton dessein damour. Donne-nous de nous tenir devant ta Parole comme une page blanche sur laquelle lEsprit écrit en lettres de feu le mystère de notre filiation divine. Quà travers ombres et lumières nous puissions grandir vers la vraie connaissance, celle qui nous identifie à Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui nous sommes tes enfants. »