Homélie
Férie
« Jésus alla dans son pays » : le possessif témoigne de lenracinement humain de Notre-Seigneur. Certes, par sa résurrection il est « lHomme Nouveau » (Ep 4,24), en qui « il ny a plus ni Juif ni païen, il ny a plus ni esclave ni homme libre, il ny a plus lhomme et la femme » (Ga 3,28) ; mais pour nous élever au-dessus de nos particularismes et faire notre unité sans gommer nos diversités, le Verbe a voulu assumer les conditions de notre humanité : il est né au sein dune race, dun peuple, dune famille bien concrète - « sa mère ne sappelle-t-elle pas Marie, et ses frères (cest-à-dire ses cousins) : Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses surs ne sont-elles pas toutes chez nous ? » Il a « planté sa tente parmi nous » (Jn 1,14) en un lieu précis, sur la terre de Galilée, dans le village de Nazareth, et à une date précise, qui servira de référence pour nos calendriers ultérieurs. On ne peut dire plus clairement que la Révélation divine, qui saccomplit dans lIncarnation rédemptrice, sinscrit au cur même de notre histoire.
Or cest cela précisément qui, hier comme aujourdhui, cause scandale : de quoi Dieu se mêle-t-il ? « Que nous veux-tu, Fils de Dieu ? Es-tu venu pour nous faire souffrir avant le moment fixé ? » (Mt 8,29). Je me souviens dune émission de radio abordant le « problème » des miracles ; lintervenant chrétien avait bien du mal à faire entendre sa voix au milieu des opposants. Le ton est passé insensiblement de lironie au mépris, et du mépris à lhostilité ouverte, cinglante, à la limite de la colère. Les participants trouvaient choquant denvisager une intervention de Dieu dans lhistoire, de quelque nature quelle soit : ce serait de la part de Dieu une ingérence intolérable et scandaleuse. Comment les chrétiens osent-ils suggérer une telle éventualité ? Heureusement tout le monde sait de nos jours que ce Dieu proposé par la foi nest quune extériorisation - une projection - de ce que lhomme porte de meilleur en soi. Pas de danger quil intervienne dans lhistoire puisquil nexiste pas. Ce constat permit aux esprits de retrouver leur calme ; mais le débat se déplaça sur un autre terrain : peut-on vraiment tolérer quune telle doctrine soit encore diffusée à laube du troisième millénaire ? Le bien commun nexige-t-il pas que soit dénoncée cette utopie aberrante ? Peut-on laisser dans lignorance, dans lillusion, dans laliénation, tant dhommes et de femmes encore enfermés dans une superstition aussi désuète ?
Dune interrogation sur les miracles, le débat sétait subtilement transformé en procès du christianisme.
Rien de nouveau sous le soleil ; saint Maxime connaissait bien le cur de lhomme lorsquil définissait le péché comme la volonté de conduire sa vie « sans Dieu, malgré Dieu, voire contre Dieu ». Au scandale dune ingérence divine dans lhistoire des hommes, qui aliène leur liberté et menace leur autonomie, sajoute celui des conditions de cette intervention inopinée : un Dieu qui se fait homme, et qui après une brève carrière de prédicateur itinérant, termine lamentablement sur une croix ! Non vraiment, le christianisme nest pas crédible. Il est même urgent deffacer de la mémoire collective de lhumanité cette proposition religieuse doloriste et culpabilisante qui na que trop assombri lexistence des générations précédentes. « Dieu est mort » (Nietzsche), place au règne de lhomme !
« Un prophète nest méprisé que dans sa patrie et dans sa propre maison. Et il ne fit pas beaucoup de miracles à cet endroit-là à cause de leur manque de foi. » Aujourdhui comme hier, « le langage de la croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que lhomme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que lhomme » (1 Co 1, 18.25).
« Seigneur Jésus ne permets pas que les vains discours de notre monde nous ébranlent dans notre foi. Ouvre nos yeux, que nous puissions reconnaitre dans le mystère de ton incarnation rédemptrice, la révélation de ton infinie miséricorde pour notre pauvre humanité. Donne-nous laudace de proclamer ta seigneurie et de confesser ta divinité, malgré les sarcasmes ; et accorde-nous dêtre toujours prêts à nous expliquer, avec douceur et respect, devant tous ceux qui nous demandent de rendre compte de lespérance qui est en nous (1 P 3,15-16). »