Homélie
Saint Maximilien Kolbe
« Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? Jésus lui répondit : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »
La symbolique des chiffres utilisés ici nous rappelle un passage du livre de la Genèse où nous entendons Lamek qui sexprime ainsi devant ses femmes Ada et Cilla : « Jai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Cest que Caïn est vengé sept fois, mais Lamek, soixante-dix sept fois » (Gn 4, 23-24). Lhagiographe nous met là, devant la réaction première de tout homme face au mal qui lui est infligé : la vengeance, qui ne tarde pas à prendre des proportions démesurées.
Un peu plus loin, dans le livre de lExode, la loi du talion voudra limiter le déchaînement de la passion vengeresse de lhomme et mesurer la juste compensation dune offense : « Vie pour vie, il pour il, dent pour dent, main pour main, pied pour pied » (Dt 19, 21). Un il (et non pas deux !) pour un il ; une dent (et non pas la mâchoire !) pour une dent abîmée
Mais une telle codification, si elle est déjà un progrès dans la compréhension de la justice, ne saurait être assez puissante pour éliminer tout désir de vengeance du cur dun homme. Jésus va bien au-delà de cela. En appelant à pardonner jusquà soixante-dix fois sept fois, il affirme que lon doit pardonner indéfiniment. Autrement dit, le pardon ne saurait être refusé à qui que ce soit.
La parabole que Jésus donne pour expliciter son commandement est éclairante. La mise en scène a bien sûr pour but de faire apparaître en pleine lumière la démesure de la miséricorde dont fait preuve le roi, qui accorde bien plus que ce que son débiteur lui demandait. En effet, « ému jusquaux entrailles », le roi devenu le « maître », non seulement « laisse partir » son serviteur, c’est-à-dire renonce à le vendre, mais il lui remet sa dette infinie (Dix mille talents, soit soixante millions de deniers qui auraient correspondu, à lépoque de Jésus, à soixante millions de journées de travail).
Quel contraste entre lattitude du maître envers ce serviteur et celle de ce dernier envers son compagnon endetté, dautant plus que celui-ci ne lui doit quune somme insignifiante (six cent mille fois moins) en comparaison de celle dont il vient lui-même dêtre acquitté !
Tout vient du fait que le serviteur a oublié la gratuité du don de la miséricorde dont il a bénéficié. Quil nait même pas songé à remercier son maître après la remise de sa dette en témoigne.
Au contraire de ce serviteur, garder présent à notre conscience la gratuité du don du salut dont le Père nous a fait bénéficier en son Fils Jésus-Christ devrait nous conduire à une attitude de miséricorde inconditionnelle envers nos frères humains, quelle que soit leur dette envers nous. Comme nous le rappelle Jean-Paul II : « Le pardon est avant tout un choix personnel, une option du cur qui va contre l’instinct spontané de rendre le mal pour le mal. Cette option trouve son élément de comparaison dans l’amour de Dieu, qui nous accueille malgré nos péchés, et son modèle suprême est le pardon du Christ qui a prié ainsi sur la Croix : Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34) » (Message pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2002).
« Seigneur, aide-nous à entrer sur ce chemin de la miséricorde. Puissions-nous recevoir chacune des offenses qui nous sont faites comme une occasion de témoigner par notre pardon de quel amour tu nous as aimé, de quelle dette tu nous as acquittés et de quelle liberté nous jouissons désormais. Nous manifesterons alors que nous navons pas pour père le malin qui veut nous asservir à la loi mortifère de la haine et du péché mais que nous sommes les fils du Très-Haut qui dispense la vie éternelle à ceux qui laiment. »