Homélie
Férie
« Quelquun » : la désignation est particulièrement vague sous la plume de Matthieu, qui semble vouloir désigner par ce terme, une catégorie particulière de personnes - probablement les Juifs pieux bien intentionnés.
Lhomme « sapproche de Jésus », non seulement physiquement pour sadresser à lui personnellement, mais aussi spirituellement : il veut souvrir à son influence, car il reconnaît sa compétence. Tout comme Nicodème, il est convaincu que Jésus « est venu de la part de Dieu, car aucun homme ne peut accomplir les signes quil accomplit si Dieu nest pas avec lui » (Jn 3,2).
Autre rapprochement avec Nicodème : tous deux sadressent à Jésus en lappelant « Rabbi, maître » ; cest donc à lenseignant quils désirent poser une question en vue denrichir leur connaissance. Pour un Juif, celle-ci est inséparablement théorique et pratique : rien détonnant à ce que « le jeune homme » interroge Jésus sur ce quil « doit faire » pour avoir la vie éternelle. Il ne faut sans doute pas forcer le sentiment de marchandage que suscitent les verbes employés : « faire » pour « avoir ». La « vie éternelle » est le propre de Dieu ; « avoir la vie éternelle » ne peut rien signifier dautre que « participer à la vie divine ». Or une telle participation est nécessairement un don. La formulation semble cependant suggérer que ce don doive se mériter par des actions bonnes, quil est dès lors essentiel de pouvoir identifier.
Peut-être loriginalité de lintervention du jeune homme réside-t-elle précisément dans le caractère positif de sa demande. En Juif pieux, il connaît le Décalogue par cur (Ex 20, 1-17) ; mais les préceptes qui y sont proposés le laissent sur sa faim, car tous sont formulés négativement, sous forme dinterdit, exception faite de la prescription du sabbat - « Tu feras du sabbat un mémorial, un jour sacré » - et du respect dû aux parents - « honore ton père et ta mère ». Voilà pourquoi il demande à Jésus de léclairer « sur ce qui est bon » et sur ce quil doit « faire de bon ». La réponse de Notre-Seigneur est pour le moins déconcertante : « Il ny a quun seul être qui soit bon ! » - sous-entendu : « qui puisse discerner et accomplir le bien ». « Si tu veux entrer dans la vie », commence par éviter le mal que dénonce le Décalogue et tend vers les deux préceptes positifs quil propose. Alors le Seigneur lui-même viendra accomplir en toi le bien auquel tu aspires.
Devant linsistance de son interlocuteur, Jésus énonce les commandements, mais en commençant par la seconde table, c’est-à-dire les derniers - ceux qui concernent le prochain - quil résume en un seul précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Sans doute déconcerté par la tournure du dialogue, le jeune homme insiste encore, prétextant quil observe déjà ces commandements. Jésus passe alors à la première table de la Loi, celle qui concerne le rapport à Dieu. Il résume la série des prescriptions négatives visant à éliminer lidolâtrie, par une invitation au détachement par rapport aux biens matériels ; et traduit la prescription du sabbat par ces simples mots : « Viens, suis-moi ». Jésus seul en effet peut « conduire nos pas au chemin de la paix » (Lc 1,79), cest-à-dire : peut nous introduire dans le sabbat de Dieu.
Linvitation de Jésus : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements », prend maintenant tout son sens. Un seul être est bon : le Père des cieux, et celui quil a envoyé pour nous donner part à sa bonté en nous partageant sa propre vie. Pour acquérir ce don ineffable et « être parfait comme notre Père céleste est parfait » (Mt 5,48), il « suffit » déviter le mal, de partager ce que nous avons avec nos frères (seconde Table de la Loi), et de ne rien préférer au Christ (première Table).
« Puis viens, suis-moi : toi seul, Jésus, peut nous conduire au repos, car tu es le chemin, la vérité et la vie (Jn 14,6). Ne permets pas que nous mettions en balance nos biens temporels éphémères avec notre héritage éternel, mais donne-nous le courage de concéder aux renoncements qui simposent pour pouvoir te suivre dans la liberté et la joie de lEsprit. »