Homélie
Férie
« Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem ». Notre-Seigneur est pleinement conscient que son « Heure » est venue. Loin de fuir, il fait face courageusement. Littéralement : « il fixa fermement son visage sur la route qui devait le mener à Jérusalem ». Sans doute Jésus se souvient-il des paroles du prophète Isaïe, quil murmure dans son cur pour se donner courage : « Le Seigneur vient à mon secours ; cest pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages ; cest pourquoi jai rendu mon visage dur comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu » (Is 50, 7). Jésus nattend pas passivement linstant fatidique de son arrestation : il prend linitiative et va au-devant de sa Pâque en se rendant délibérément à Jérusalem où il doit offrir sa vie pour le salut du monde.
Lexpression « être enlevé de ce monde » peut surprendre : par sa mort, Jésus va en effet être soustrait au regard de ses ennemis ; mais les disciples découvriront quen réalité il aura été élevé par son Père dans la gloire (cf. Ac 1,1). Cest donc en qualité de Messie que Notre-Seigneur se rend dans la ville sainte pour y accomplir les Ecritures. Jésus semble pressé datteindre le terme du voyage : il prend au plus court, traversant la Samarie, territoire que les Juifs évitaient en raison de lhétérodoxie des croyances de ce peuple mélangé. Les Samaritains sont en effet les descendants des tribus venues dAssyrie, importées au moment de la chute du Royaume du Nord (en 722) et de la déportation de sa population. Chemin faisant, Notre-Seigneur poursuit son ministère de prédicateur ambulant et envoie des émissaires pour annoncer sa venue et rassembler les foules. La réaction des Samaritains était prévisible : ils refusent daccueillir un Rabbi en pèlerinage vers la cité sainte des frères ennemis, qui est en concurrence avec leur propre lieu de culte, situé sur le Mont Garizim.
Rejeté par les (semi-)païens, Jésus devra lêtre également par ses coreligionnaires pour entrer dans sa gloire. Il faut quil soit dabord « élevé de terre » (Jn 12,32) et rassemble autour de létendard de la Croix « les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52), avant de pouvoir faire descendre sur ses disciples « une force, celle du Saint Esprit qui viendra sur eux. Alors ils seront ses témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusquaux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Cest donc pour féconder la future mission de ses Apôtres que Notre-Seigneur va affronter sa Passion. Le psaume 125 doit sans aucun doute nourrir la prière silencieuse de Jésus : « Qui sème dans les larmes, moissonne dans la joie. Il sen va en pleurant, il jette la semence ; il sen vient dans la joie, il rapporte les gerbes » (Ps 125, 5-6). Lentourage du Seigneur est cependant loin de communier à ses dispositions intérieures. Enfermés dans leur conception humaine dun Messie glorieux à qui rien ne résiste, et se souvenant quElie avait fait tomber le feu du ciel sur les soldats envoyés par le roi Akhazias (II R 1, 10-14), les disciples envisagent de venger laffront fait à leur Maître. Sûrs dêtre investis de sa puissance, ils lui proposent de détruire le village samaritain qui a refusé lhospitalité au Messie de Dieu. Une fois de plus, leur réaction manifeste combien il leur était difficile - comme pour nous dailleurs - daccueillir la Parole de Jésus dans une « bonne terre » (Lc 8,8), cest-à-dire dans un cur désencombré de ses a priori et disposé à se laisser instruire. Pourtant, tout au long de ses enseignements, Notre-Seigneur na cessé dinsister sur le caractère bienveillant de sa mission. Depuis son discours-programme à Nazareth où il se présente comme « envoyé [de la part de Dieu] pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Lc 4,8), jusque sur la croix où il intercède pour ses bourreaux - « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce quils font » (Lc 23,3-4) - Jésus nous révèle la tendresse miséricordieuse du Père : « Le Fils de lhomme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). Mais il faudra que les disciples soient confrontés au drame de la Croix pour que « les écailles tombent de leurs yeux » (cf. Ac 9,18) ; puis quils soient bouleversés par la Résurrection pour se convertir à linouï de Dieu dans la lumière de lEsprit : « Vous navez donc pas compris ! Comme votre cur est lent à croire tout ce quont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? Et, en partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua, dans toute lEcriture, ce qui le concernait » (Lc 24,25-27).
« Seigneur, dans ce monde qui te rejette, quil est difficile de garder cette attitude de compassion et de bienveillance que tu as toujours manifestée à légard de tes détracteurs. Ne permets pas que nous en rajoutions à ta souffrance en étant cause de conflits, de divisions, voire de violence. Reprends-nous vivement lorsque nous prétendons défendre le Royaume de lamour au moyen des armes de ce monde, et apprends-nous à invoquer sur ceux qui refusent de taccueillir, le seul Feu que tu consens à répandre sur terre : celui de ton Esprit de charité et de paix. »