Homélie
28e dimanche du Temps Ordinaire
« Le Royaume des cieux est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils » : voilà qui devrait nous rassurer quant aux intentions de Dieu à notre égard ! Conformément au protocole, ceux qui avaient eu lhonneur dêtre « invités », sont avertis très officiellement par les serviteurs du roi que le grand jour est enfin arrivé. Stupéfaction : ils refusent de venir ! Chacun deux poursuit ses occupations comme si de rien nétait ; certains même passent leur mauvaise humeur sur les pauvres émissaires du roi, trahissant ainsi la vraie raison de leur refus : ils nont aucune envie de partager la joie dun roi pour lequel ils nourrissent plutôt du mépris, du ressentiment, voire de la haine. Aussi la réponse ne se fait-elle pas attendre et les présomptueux vont payer très cher leur insoumission.
On pourrait objecter que la réaction du roi ne fait quentretenir la spirale de la violence ; sil représente Dieu nous avons intérêt à nous tenir à lécart ! Mais cette interprétation ne respecterait pas le genre littéraire utilisé par Jésus : le sens dune parabole ne se livre pas au terme dune étude analytique ; il jaillit plutôt dune saisie densemble du récit, sur lhorizon annoncé par le narrateur. Dieu à vrai dire na pas besoin de sévir contre ceux qui lui résistent : en refusant dentrer dans la fête en réponse à son invitation, ils choisissent eux-mêmes de demeurer sous « le voile de deuil qui les enveloppe et sous le linceul qui les couvre » ; car cest à ce banquet de noces où il fait alliance avec son peuple, que « le Seigneur effacera lhumiliation de la mort, et essuiera les larmes sur tous les visages » (1ère lect.). Dieu est le Seigneur de la vie, et il désire la donner en partage à ceux qui sapprochent de lui pour la recevoir ; mais ceux qui refusent de répondre à son appel, senferment eux-mêmes dans les ténèbres de la mort.
Cependant, cet échec ne décourage pas le roi, qui tient absolument à ce que la salle de noce soit bondée ! Puisque ceux qui étaient invités de longue date nont pas voulu répondre à lappel, faisant eux-mêmes la preuve de leur indignité, il se tourne vers le tout-venant parmi ses sujets. Il envoie ses serviteurs « à la croisée des chemins », les chargeant dinviter tous ceux quils rencontreraient, sans faire de tri entre « les mauvais et les bons ». On devine sans peine la surprise de ceux-ci ! Le stratagème semble réussir puisque les serviteurs parviennent à remplir la salle de ces convives improvisés.
Qui sont-ils dans la perspective de cette parabole qui nous parle des conditions daccès au Royaume ? Si nous identifions les invités au peuple élu, alors le « tout venant » ne peut rassembler que les païens de tout bord, c’est-à-dire les hommes en attente de la Révélation, qui errent sur des chemins sans issue depuis que le péché les a égarés loin de Dieu. Aussi le récit aurait-il pu se terminer ici - comme cest dailleurs le cas dans lEvangile de Luc - annonçant que léchec de la prédication de Jésus auprès des juifs, ouvrirait aux nations les portes du Royaume.
Or voici que Matthieu fait mémoire dun troisième volet, tout à fait inattendu, de la parabole : après le refus des invités de la première heure, laccueil improvisé des passants, lépisode du vêtement de noce semble en effet en contradiction avec ce qui précède. Jésus ne vient-il pas de préciser que la salle rassemblait « les mauvais comme les bons » interpellés sans discernement le long de la route ? Ces invités de dernière minute, rassemblés à la hâte, qui nont pas eu le temps de se changer pour venir à la fête, comment le roi peut-il exiger quils portent un « vêtement de noce » ? La logique interne du récit nous invite à nous élever à une interprétation symbolique de ce fameux habit, qui conditionne la participation aux réjouissances. Disons que quelque chose différencie cet homme des autres convives et cest ce « quelque chose » quil sagit de préciser.
« Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir le vêtement de noce ? » Lentrée en matière est plus que bienveillante de la part dun roi sadressant à un quelconque de ses sujets. Létonnement du Maître de maison est sincère et sa question attend une réponse. Aussi la surprise ne fait-elle que croître devant le silence de cet individu, qui ne tente même pas de balbutier une quelconque excuse. Son silence résonne comme un refus de dialogue, et par le fait même, il révèle la vraie nature du fameux « vêtement de noce » manquant. Linvitation ne consistait pas seulement à consommer le repas destiné aux invités de la première heure, pour éviter que la nourriture ne se perde ; lappel adressé par le roi était une invitation à entrer dans son intimité en devenant lami de lEpoux. Le vêtement de noce symbolise lhomme nouveau, engendrée dans la foi au Fils, dont le Père célèbre les noces avec lhumanité réconciliée. Le silence de cet homme trahit quil nest pas « né de leau et de lEsprit » (Jn 3,5), et ne participe pas à lhymne daction de grâce qui jaillit du cur des rachetés : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; cest lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : (en son Fils, Jésus-Christ) il nous a sauvés ! » (Is 25, 6-9).
Ce que Jésus présente dans la parabole comme une sanction prononcée par le roi, nest en fait que lexplicitation des conséquences de nos propres choix : en refusant dentrer en relation avec Dieu notre Père, nous nous enfermons nous-mêmes dans le mutisme et la solitude ; en refusant dentrer dans sa joie, nous nous murons dans la tristesse, nous nous enfonçons dans les ténèbres, nous nous condamnons « aux pleurs et aux grincements de dents ».
« Voilà : tout est prêt : venez au repas de noce » : aujourdhui retentit à nouveau à nos oreilles cet appel pressant du Seigneur. Saurons-nous saisir cette opportunité qui nous est offerte et accepter linvitation ? Mais noublions pas lhabit de noce : pour nous en revêtir, il faudra peut être nous désencombrer de quelques vêtements inutiles ! Sachons comme Saint Paul, « vivre de peu » en ce monde qui passe, en veillant à « avoir tout ce quil nous faut » (2nd lect.) dans le monde à venir. Il est un temps pour « aller à son champ et à son commerce » ; et il est un temps pour répondre à lappel du Roi qui nous invite à le rencontrer au banquet des noces de son Fils. Heureux les invités au festin du Royaume !
« Seigneur tu minvites à habiter ta maison pour la durée de mes jours et je nen aurais cure ? Tu prépares la table pour moi et je la bouderais ? Tu minvites à entrer dans ta joie, et à me reposer sur des prés dherbe fraîche, et je resterais enfermé dans mes tristesses ? Tu es le berger qui me fait revivre et je serais complice des ténèbres et de la mort » (Ps 22,23) ? Que ta Parole me réveille de mes torpeurs, quelle ouvre mes oreilles à ton appel : Tout est prêt : venez au repas de noce ; quelle me donne la force de marracher à mes inerties, dans la certitude que je peux tout supporter avec celui qui me donne la force ; et que je te rende grâce de tout mon cur en proclamant à pleine voix : Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen ! (2nd lect.)