Homélie
Férie
« Seigneur, ny aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? » Du temps de Jésus, la question faisait lobjet dun débat à l’intérieur même du groupe des pharisiens. Notre-Seigneur ne prend pas position mais nous invite plutôt par une parabole, à nous efforcer dêtre parmi les élus.
Le Royaume de Dieu est comparé à une salle de banquet un peu originale : apparemment il ny manque pas de place, seulement la porte daccès est particulièrement étroite, si bien que la foule se bouscule au portillon. Ce nest quau prix dun réel effort que les convives accèderont au festin bien mérité.
Les catégories mises en uvre sont spatiales - dedans/dehors - et temporelles - premiers/derniers, sous-entendu : arrivés sur les lieux. La salle nest pas indéfiniment accessible : à un moment imprévisible, le Maître de maison se lèvera pour fermer la porte, et il donnera le signal du début des festivités. Il sera dès lors trop tard pour accéder dans lespace intérieur et participer au banquet.
On pourrait croire que les habitants de la ville sont privilégiés : étant sur place, ils ont accès plus facilement à la salle du banquet que les étrangers qui ont une longue route à parcourir. Or il nen est rien : ceux qui tambourinent la porte en réclamant quelle leur soit ouverte sont apparemment des proches du Maître, puisquils prétendent avoir partagé le repas avec lui et bénéficié de ses enseignements. Par contre à lintérieur on dénombre des hôtes venant « de lorient et de loccident, du nord et du midi » : arrivés en dernier, ils se retrouvent aux premières places, aux côtés des patriarches et des prophètes, qui étaient déjà dans la maison depuis un certain temps. Tout semble indiquer que les proches, en raison même de leur proximité, nont pas cru bon de « sefforcer dentrer par la porte étroite ». Comptant sur les privilèges liés au statut de concitoyens du Maître, ils ont cru leur préséance assurée et ont laissé passer les étrangers, se réservant dentrer dignement après la cohue.
Or ce nest pas cela que le maître leur avait enseigné lorsquils mangeaient en sa présence. Jésus - car cest bien de lui quil sagit - na cessé davertir les chefs religieux dIsraël de lurgence de la conversion, mais ils nont pas voulu entendre la portée de ses paroles. La porte étroite par laquelle nous devons nous efforcer de passer est celle qui donne accès à notre intériorité profonde. Le Seigneur nous invite à nous arracher à la dispersion dans lextériorité pour nous recentrer sur le Maître intérieur qui nous attend dans la salle de banquet de notre cur. Le passage qui sépare les deux espaces se nomme repentance : seul celui qui est assez humble pour se reconnaître pécheur et qui confesse son besoin de la miséricorde, peut passer par la porte étroite, que ne saurait franchir lhomme suffisant, convaincu dêtre juste. Nous retrouvons le thème de la parabole que nous avons méditée ce dimanche : « Le publicain se frappait la poitrine en disant : Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! . Quand ce dernier rentra chez lui, cest lui qui était devenu juste, et non pas lautre » (Lc 18,13-14). Cest en sabaissant que le publicain a pu passer par le passage exigu, alors que le pharisien qui sélevait devant Dieu, « convaincu dêtre juste et méprisant tous les autres » (Lc 18,9) fut incapable daccéder à lintérieur.
Pourtant ce nest pas faute davoir été invité : Dieu a choisi en premier la descendance dAbraham, dIsaac et de Jacob ; il a envoyé ses prophètes pour les inviter à se repentir ; et à la plénitude des temps, il a même envoyé son Fils proclamer la fin de lattente, laccomplissement de la promesse et lurgence de la conversion. Cest dabord aux fils dIsraël que la Parole de Dieu fut adressée, mais hélas « aucun prophète nest bien accueilli dans son pays » (Lc 4,24). Aussi, « puisquils lont rejetée, et queux-mêmes ne se sont pas jugés dignes de la vie éternelle, les apôtres se sont tournés vers les païens, pour que le salut parvienne jusquaux extrémités de la terre » (Ac 13,46-47).
Cest à nous aussi bien sûr que sadresse cet avertissement. Il ne suffit pas découter la Parole, ni même de partager le repas eucharistique en présence du Seigneur. Cest par la conversion de notre vie, qui commence par lhumble aveu de notre péché, que nous devons nous « efforcer dentrer par la porte étroite ». Puissions-nous prendre au sérieux ces paroles et discerner les temps où nous sommes. Le Maître de la maison sest levé dentre les morts et nous invite à le suivre : osons emprunter le passage étroit de sa Passion pour accéder au banquet des noces de lAgneau, et participer à la gloire de sa Résurrection.