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 - 16 avril 2024 - Saint Benoît-Joseph Labre
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Homélie

Férie

Etonnante confrontation : d’un côté « les publicains et les pécheurs », la « massa damnata », ceux qui font le mal et sont voués à la géhenne ; de l’autre « les pharisiens et les scribes », les justes qui accomplissent le bien conformément aux exigences de la Loi, et pour qui Dieu a préparé le Royaume. Ces deux groupes ont habituellement plutôt tendance à s’éviter ; mais voilà que les uns et les autres sont attirés par Jésus et viennent l’écouter - certes pour des motifs différents. Les publicains et les pécheurs cherchent une parole de miséricorde qui leur donne des raisons d’espérer ; les pharisiens et les scribes viennent épier ce Rabbi révolutionnaire afin de trouver des raisons de l’accuser.
Les apparences sont décidément trompeuses ; une fois de plus, l’affrontement du bien et du mal s’inverse lorsqu’on passe de l’aspect extérieur à la réalité intérieure : les pécheurs ne sont pas que ténèbre, puisqu’ils discernent que la grâce divine repose sur la personne de Jésus ; et ceux qui font étalage de leurs « bonnes œuvres » ne sont pas aussi purs qu’ils veulent le faire croire, eux qui se sont secrètement mis au service de l’Accusateur, Père du mensonge et homicide depuis les origines (cf. Jn 8,44). Entre ces deux groupes qui s’affrontent se tient Jésus, qui tente de réconcilier les frères ennemis ; car la miséricorde ne prendra son repos que lorsque tous les fils d’un même Père se reconnaîtront comme frères.
Notre-Seigneur propose une parabole qui s’inscrit dans le quotidien de ses auditeurs. La Galilée est un pays d’élevage ; le berger et son troupeau de brebis et de chèvres font partie de la vie de tous les jours. Dans la droite ligne de la tradition prophétique, qui aimait désigner Dieu comme le Berger d’Israël, Jésus souligne le souci de cet homme pour les animaux qui sont confiés à sa garde. La joie débordante dont il fait preuve lorsqu’il retrouve la brebis égarée, prouve que ce n’est pas l’appât du gain qui le motive, ni un souci scrupuleux de l’intégrité de son troupeau, mais l’attachement affectif à cet animal faible et sans défense, qui se trouve exposé, seul, aux dangers de la montagne. Quand enfin, et au prix de quels efforts, il a retrouvé sa brebis, qui gît au bord du chemin, épuisée à force de courir en tous sens, il lui parle doucement pour ne pas l’effrayer, la prend avec tendresse dans ses bras, et la hisse, triomphant, sur ses épaules.
La joie du berger est telle qu’il ne peut la contenir : fille de l’amour, la vraie joie tend elle aussi à se répandre, à se communiquer, à se partager : « Réjouissez-vous avec moi ! » Le berger a-t-il pour autant oublié les quatre-vingt dix neuf brebis qu’il avait laissées derrière lui pour partir à la recherche de l’égarée ? Non bien sûr, puisque c’est pour qu’elle puisse reprendre sa place au milieu de ses sœurs qu’il s’est donné tant de mal. Aussi est-ce autour du troupeau reconstitué que les autres bergers viennent se réjouir avec leur confrère.
Un esprit chagrin pourrait objecter que cette joie n’est nullement justifiée, puisqu’au terme de l’histoire aucun gain n’a été réalisé ; tout au plus le berger est-il rentré dans son bien. Certes, mais la joie du berger ne porte pas sur son capital reconstitué, mais sur la vie de sa brebis, qui était perdue et qui est sauvée. Ce froid calcul intellectuel ne correspond pas à l’attitude d’un cœur affectueux : c’est parce que l’amour tend à la communion, que la joie éclate à la mesure même de la menace enfin écartée, qui pesait sur l’être aimé.
Or si nous, mauvais comme nous le sommes, nous nous réjouissons légitimement pour un pauvre quadrupède voué à l’abattoir, comment Dieu n’éprouverait-il pas une joie bien plus débordante encore lorsqu’il peut ramener sur ses épaules de miséricorde, le pécheur qui s’est laissé retrouver après s’être égaré loin de lui ? Certes chacune des quatre-vingt dix neuf brebis est la joie du berger, et pour chacune d’elles il se donnerait tout autant de mal, si par malheur elle venait à s’égarer. Le « davantage » de la joie n’est pas dû à une préférence qui pourrait être traduite par les autres comme une injustice et susciter la jalousie. C’est tout simplement le langage de l’amour qui aime chacune des brebis d’un amour unique et donc préférentiel, sans qu’aucune de ses compagnes ne soit lésée. D’ailleurs, si les brebis appartiennent vraiment au troupeau, non seulement elles se réjouiront de la joie de leur berger, mais elles se réjouiront tout autant du retour parmi elles de leur sœur, dont la disparition les avait angoissées.
A vrai dire la parabole proposée par Jésus ne recouvre qu’en partie la situation qu’elle veut éclairer. Car ce n’est pas une brebis égarée que Notre-Seigneur ramène au bercail, mais une multitude de publicains et pécheurs, le vaste troupeau de tous les « païens », qui tout au long de l’histoire se convertissent à sa Parole et se mettent à sa suite : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix ; il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10,16).
Nombreux sont donc les troupeaux qui convergent dans la même bergerie. Toutes les brebis ne se ressemblent pas : chacune diffère selon sa race, son parcours, son histoire. Mais toutes ont en commun d’avoir « écouté la voix » du Bon Pasteur et de l’avoir suivi. Saurons-nous les reconnaître, les accueillir dans la joie et leur faire une place dans notre cœur malgré leur différence ? Ou comme les pharisiens, serons-nous scandalisés par la largesse avec laquelle le Seigneur distribue ses grâces, en commençant par les derniers ? L’exercice recommence à chaque célébration eucharistique : entrons-nous dans la joie débordante du Père qui voit ses enfants rassemblés dans l’unité de l’Esprit par le ministère de son Fils ? Ou oubliant notre propre misère, restons-nous à l’écart « récriminant contre ce Dieu qui fait bon accueil aux pécheurs », et les invite à sa table ?
« Le peuple de Dieu, celui de la vraie circoncision », ne met pas « sa confiance dans les valeurs charnelles », mais « considère tout comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus son Seigneur. A cause de lui, il considère tout comme des balayures en vue d’un seul avantage : le Christ » (1ère lect.). Ne contristons pas les Anges par des considérations mesquines : que le souvenir de la miséricorde dont nous sommes les premiers bénéficiaires nous fasse ouvrir les bras à tous ceux que Jésus attire à lui. Alors notre joie sera la sienne, et nous lui ressemblerons, communiant en lui à la joie du Père dans l’Esprit.


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