Homélie
Sainte Famille
« Beaucoup de personnes se demandent : pourquoi la famille est-elle aussi importante ? Pourquoi l’Église insiste-t-elle tant sur le thème du mariage et de la famille ? La raison est simple, même si tous ne parviennent pas à le comprendre : de la famille dépend le destin de l’homme, son bonheur, la capacité de donner un sens à son existence. Le destin de l’homme dépend de celui de la famille et c’est pour cette raison que je ne me lasse jamais d’affirmer que l’avenir de l’humanité est étroitement lié à celui de la famille » (Jean-Paul II).
Depuis ses origines, l’histoire de l’homme est substantiellement une histoire d’amour ; car « Dieu a créé lhomme à son image » (Gn 1, 27), et malgré les défigurations que le péché lui a fait subir, cette image demeure toujours vivante au fond de chacun de nous. Or la famille est le premier lieu où se vit lamour, où il manifeste sa mystérieuse fécondité, où il se transmet et sapprend.
Le Fils de Dieu lui-même a voulu initier sa course au sein dune famille. La Providence aurait pu choisir dautres circonstances pour accomplir le mystère de la Rédemption ; mais elle a voulu honorer en tout premier lieu la famille domestique de sa visite, pour signifier à toutes les générations sa suréminente dignité, comme fondement de la « famille de Dieu » (Ep 2,19) et de toute société humaine.
Au cur des lectures de ce jour où nous fêtons la Sainte Famille, modèle des familles chrétiennes, se situe lenfant, don de Dieu, signe dAlliance.
Vu les circonstances extraordinaires de la conception de leur enfant, les prescriptions de la Loi ne concernent pas vraiment Marie et Joseph. Sils se rendent au Temple pour y accomplir ce que prescrit la Loi, cest avant tout pour rendre grâce à Dieu de sa confiance et du don quil leur a fait. La joie devait illuminer le visage de cette jeune fille et de ce jeune homme venus présenter leur nouveau-né au Seigneur : le don de la vie nest-il pas le bien le plus précieux ? Lenfant nest-il pas « le printemps de la famille et de la société », selon lheureuse expression qui constituait le thème de la rencontre mondiale des Familles, lors du Jubilé de lAn 2000 ?
Le vieillard Siméon exulte de joie en accueillant dans ses bras cet enfant, ce fils dhomme qui porte en lui la semence de Vie divine. Grâce à lui désormais, la mort ne sera plus quun passage, une naissance à une autre Vie, définitive cette fois, doù sera bannie toute souffrance, car « Dieu lui-même essuiera toute larme de nos yeux. La mort ne sera plus. Il ny aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu » (Ap 21,4).
Chaque enfant reprend le flambeau des générations qui passent et séteignent, assurant ainsi la continuité de la vie triomphante. Mais chaque enfant apporte aussi son lot de difficultés, de souffrances, que les parents auront à assumer, en plus du poids - souvent très lourd - des autres fardeaux quils ont à porter. La Sainte Famille nen fut pas épargnée, loin de là : la fuite en Egypte, lincompréhension des habitants de Nazareth, lhostilité croissante des chefs religieux, jusquau drame de la Passion, que la Vierge a vécu comme un martyr : « Et toi-même, ton cur sera transpercé par une épée ».
Pourtant, jamais il ny eut sur les lèvres de Marie ou de Joseph, le moindre murmure : leur foi en la bienveillance de Dieu est demeurée inébranlable, lui qui fait tout concourir au bien de ceux qui laiment (cf. Rm 8,28). Cette confiance leur permettait de rendre grâce en toutes circonstances, anticipant le précepte de lApôtre : « Priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : cest ce que Dieu attend de vous dans le Christ Jésus. Néteignez pas lEsprit » (1 Th 5,17-18).
Certes lhéroïcité des vertus est un don de la grâce, qui ne sacquiert quau terme dun long et patient cheminement, fait de chutes et de relèvements. Mais Dieu est fidèle, et sa miséricorde demeure toujours disponible ; comme le Bon Berger, il accompagne son troupeau sur le chemin de lEvangile, ramène les brebis égarée, et prend soin de celles qui sont blessées (Ez 34, 15). Nest-il pas étonnant que la famille, qui toujours et partout a été célébrée comme le sanctuaire de la vie, soit devenue de nos jours un lieu où rôde la mort ? Nest ce pas un signe éloquent de la crise de lespérance que traverse notre société marquée par la « culture de la mort » ?
La menace qui pèse sur la vie de lenfant, fruit et incarnation de lamour, nest-elle pas la preuve irréfutable que notre société a perdu le sens du mystère de la personne humaine ? Lorsquun groupe humain revendique conjointement le « droit » à lenfant et le « droit » de léliminer, il reconnaît ouvertement quil ne considère plus cet enfant comme une fin en soi, mais simplement comme un moyen au service de la satisfaction des désirs des parents.
Il est urgent que les hommes et les femmes de notre temps reprennent conscience de la grandeur de la vocation de lhomme et de la femme, appelés à devenir les proches collaborateurs de Dieu dans lacte de procréation de leurs enfants. Par sa seule présence, lenfant est signe de la fécondité de lAlliance ; de lalliance matrimoniale entre lhomme et la femme, mais aussi de lAlliance nuptiale entre Dieu et lhumanité : « A cause de cela, lhomme quittera son père et sa mère, il sattachera à sa femme, et tous deux ne feront plus quun. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à lEglise » (Ep 5,32).
Le mariage est pour les époux chrétiens, leur façon spécifique d’être disciples de Jésus, de contribuer à l’édification du Royaume de Dieu, de marcher vers la sainteté à laquelle tout baptisé est appelé. Cest pourquoi les époux chrétiens ont aujourdhui une mission spécifique urgente : au cur du monde, ils ont à être une bonne nouvelle pour le troisième millénaire en étant des témoins convaincus et cohérents de la vérité sur la famille » (Jean-Paul II).
Puissent les époux chrétiens découvrir à lécole de Nazareth « ce quest la famille, sa communion damour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable » (Paul VI), et puissent-ils vivre cette vocation et cette mission qui leur est propre, dans la paix, la joie et la fécondité de lEsprit.