Homélie
5e dimanche du Temps Ordinaire
« La vie de lhomme est une corvée ! ». Ce genre daffirmation dérange. Parce quelle sonne vrai. Parce quelle est nôtre. Parce quelle est dans la Bible. Parce que la liturgie prétend quelle peut nourrir notre prière de ce jour
Job a le sens de limage qui touche. Il compare lhomme à un esclave qui ne subsiste que par un travail forcé, qui peine sous la charge sans quelle ne lui apporte de sécurité pour lavenir ni de satisfaction pour le présent. Il travaille pour un autre et sait que dans sa vie, il ny a plus de place pour le bonheur. Il nespère même plus la guérison qui le soulagerait de ses maux ni le repos qui apaiserait son sommeil : il sait que la mort emporte bientôt tout cela, tout répit est vain. Bref, une seule solution réaliste : le « zéro espérance » !
Pourtant, au milieu de cette nuit de labsurde, une lumière jaillit : « Souviens-toi ! », « Souviens-toi, Seigneur » ! Ce sont les premiers mots de la prière dIsraël « Souviens-toi Israël, le Seigneur est Un ». Ce sont les mots quon retrouve dans bon nombre de psaumes. Au cur de sa détresse, Job tutoie donc Dieu et lui demande de se souvenir de son amour, de son Alliance. « Souviens-toi, ma vie nest quun souffle », c’est-à-dire « Seigneur, vois ma faiblesse, souviens-toi aujourdhui car demain il sera trop tard ».
Quelle espérance ! Job nous rappelle que le Seigneur est proche, que Dieu est présent au fond de nos abîmes. Il est bon de se le rappeler. En effet, notre souffrance peut être telle que tout le champ de notre conscience soit tout occupé par elle, au point que notre regard sur Dieu est marqué par cette souffrance. Il nous est méconnaissable. Notre souffrance défigure Dieu.
Dans une telle impasse, Job nous révèle quil reste toujours une issue, il existe un chemin vers Dieu, dont la porte dentrée est notre sens inné de labsurdité de la souffrance. Notre être qui sinsurge contre la souffrance est justement celui que Dieu atteint. Le cur en révolte contre le mal subi est celui qui a un passé en commun avec le Bon-Dieu et qui peut lui dire dans lintimité : « Souviens-toi de ton amour ».
Il nest pas possible en effet quil nous laisse sombrer dans le non-sens du mal. Le Créateur a en effet ordonné magnifiquement le monde où nous vivons. Il déborde de sens. Il indique sa source et son terme. Le psalmiste le reconnaît quand il sécrit : « Il compte le nombre des étoiles, il donne à chacune un nom ». Cest en-soi une vraie bonne nouvelle. Lunivers a été par Dieu, et ça change tout. « Alleluia », clame-t-il encore, vive le Dieu qui libère son peuple, vive le Dieu qui « guérit les curs brisés et soigne les blessures » ! Cest un cri de victoire et reconnaissance qui fait taire la plainte de la souffrance. Dieu a toujours le dernier le mot, qui est lamour.
La preuve nous en est donnée dans lévangile. Jésus se penche vers les malades, et les guérit tous. En les libérant, il montre que quil ne veut pas la maladie et la souffrance qui accablent lhomme. Elles ne sont jamais bonnes en elles-mêmes, même sil est possible den faire un chemin de croissance spirituelle.
Le seul état que Dieu désire pour nous est celui de ressuscité. Cest ce quatteste la guérison de la belle-mère de Simon. Jésus la prend par la main et la fait se lever, montrant ainsi quil veut pour lhumanité malade du péché et de ses conséquences, la gloire de la résurrection. Il nous montre aussi combien Job visait juste. Jésus qui guérit est un Dieu proche. Dans cette scène que nous rapporte saint Marc, pas de grand discours, pas de considérations sur lorigine de la maladie, sur la façon dont elle a pu être contractée. Il ny a pas, cette fois-ci, de public qui se presse à la porte, il ny a pas de question qui oppose les témoins, aucun étonnement. Tout est simple et naturel. Dans lintimité dune maison, dans le calme dun foyer, Dieu donne sa réponse aux cris de Job, elle se dit dans le silence de la main tendue de Jésus, qui relève et rend la vie.
Bien entendu, les nouvelles vont vite. Entre amis, entre voisins, on ne se cache pas ces choses-là, au contraire. Aussi, le soir venu, c’est-à-dire lorsque la prescription sabbatique de compter ses pas arrive à son terme, tous accourent, tous demandent la guérison, la fin de leur souffrance. Et, avec la même simplicité, Jésus guérit, Jésus chasse les démons.
Et Jésus impose le silence aux démons quil chasse. Il les fait taire parce quils disent que Jésus est le Messie. En effet, en divulguant une information qui pourrait être mal comprise, Jésus pourrait être pris pour un autre. Il ne suffit pas de dire que Jésus est le Messie pour découvrir le Père quil révèle, il faut accueillir de lui quel Messie il dit être. Là est la raison profonde de son ordre de silence. Jésus à autre chose à nous dire et il doit être entendu.
Sans faire passer le disciple avant le maître, nous entendons cette détermination de Jésus en écho dans le cri de saint Paul : « Malheur à moi, si je nannonce pas lévangile ». « Cest pour cela que je suis sorti » dit Jésus. Les deux expressions sont équivalentes. Jésus nest pas venu pour attirer les foules autour dun thaumaturge mais pour les enseigner, les rassembler et les conduire à la maison du Père. Sil fait taire les démons, sil ne répond pas à lappel pressant de la foule au petit matin, cest pour que son propre enseignement soit entendu. Et en se mettant en marche, il nous enseigne que lui, le Dieu qui se fait proche, il est ailleurs. Il est au-delà de nos attentes, car elles sont trop petites pour le contenir.
Au terme de lévangile, Jésus se remet ouvre un chemin où nous sommes tous invités à le suivre. Là est sans doute le plus grand enseignement à mettre en uvre pour notre semaine à venir. Tout ce que Jésus a fait est destiné à être imité par ses disciples. Les demandes que nous lui adressons sont sans doute légitimes, notre attente dêtre relevés comme la belle-mère de Simon est grande, mais nous ne vivrons de la joie de la résurrection que lorsque nous saurons modeler lemploi du temps de nos journées sur cette journée ordinaire de Jésus que saint Marc vient de nous raconter. On ne peut pas vivre de lui sans vivre comme lui. Nous naurons sans doute pas à marcher à travers le pays ni à résister aux assauts de la ville entière, mais nous reconnaîtrons la présence du ressuscité quand à tout instant de nos journées nous serons tout tournés vers Dieu et vers nos frères, Dieu rencontré dans la prière, nos frères aidés à se mettre debout et à retrouver la dignité des fils de Dieu, la joie de servir notre maître. Car ce dont nous avons le plus besoin nest pas dêtre soulagés de nos souffrances, mais dêtre sauvés. Or voici quil vient en nos maisons celui qui porte le salut, accueillons-le.