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 - 24 avril 2024 - Sainte Marie-Euphrasie Pelletier
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Homélie

lundi, 2ème semaine du temps Ordinaire.

Si des personnes appartenant à des courants aussi éloignées que les disciples de Jean et les pharisiens se retrouvent sur la nécessité du jeûne, comment se fait-il que ce Rabbi se singularise sur ce point qui fait l’unanimité ? Tout porte à croire qu’il ne s’agit pas d’un jeûne « officiel » et obligatoire, mais plutôt d’un des nombreux jeûnes surajoutés par la piété traditionnelle. Jésus serait-il un contestataire, méprisant la Torah orale, qui jouissait de la même autorité que la Torah écrite ? Cette image ne correspond pas à celle qui se dégage de l’ensemble du premier Evangile. Certes Jésus adopte un comportement paradoxal, mais il s’agit de le discerner non pas à la lumière des temps anciens qui se clôturent avec sa venue, mais de la réalité nouvelle qu’il est venu instaurer ; c’est-à-dire à la lumière de son « enseignement nouveau, proclamé avec autorité » (Mc 1,27) et confirmé par son pouvoir sur les « esprits mauvais » et sur toute maladie (Mc 1,34).
A la question qui lui est posée - sans doute par les scribes qui l’interrogeaient en 2, 16 - Jésus, étonné, répond par une autre question : « Comment se fait-il que vous me demandiez cela ? Le jeûne n’avait-il pas pour finalité de hâter la venue du Messie ? Or maintenant qu’il est présent au milieu de vous, pourquoi donc continueriez-vous à jeûner ? Si du moins vous vous reconnaissez parmi “les invités de la noce” ! » L’auditoire de Jésus ne saurait s’y tromper : l’image des noces de Dieu avec son peuple était au cœur de l’espérance du peuple élu. « Comme un jeune homme épouse une jeune fille, celui qui t’a construite t’épousera. Comme la jeune mariée est la joie de son mari, ainsi tu seras la joie de ton Dieu » (Is 62, 5). Aucun doute n’est possible : Notre-Seigneur s’identifie à l’Epoux, qui n’est autre que Dieu lui-même. Le prophète Isaïe poursuivait : « Voici la parole que le Seigneur fait retentir jusqu’aux extrémités de la terre : “Dites à la fille de Sion : Voici ton Sauveur qui vient, le fruit de sa victoire l’accompagne et ses trophées le précèdent. On vous appellera : “Peuple-saint”, “Rachetés-par-le-Seigneur” » (Is 62, 11). En Jésus, c’est le Dieu Sauveur qui visite son peuple pour le sanctifier « en le purifiant par le bain du baptême et la Parole de vie » (Ep 5,27). Comment le jeûne du temps de l’attente ne serait-il pas interrompu lorsque paraît un tel Epoux ?
Ainsi donc, Jésus interprète sa présence comme la proximité de Dieu promise pour les temps eschatologiques, lorsque le Seigneur, après avoir séduit son « épouse infidèle », « lui parlerait cœur à cœur », lui apportant « l’amour et la tendresse, la justice et le droit » (Os 2, 16-22). La comparaison aurait pu en rester là ; pourtant la petite incise en dit long : « Un temps viendra où l’Epoux leur sera enlevé - littéralement : arraché - : ce jour-là ils jeûneront ». Quel est donc ce « temps » qui viendra troubler la fête ? Les exégètes suggèrent le rapprochement avec le chapitre 8 du prophète Amos, qui annonce un temps d’épreuves, de lamentations et de pénitence : « Quand arrivera mon Jour, je ferai disparaître le soleil en plein midi, en plein jour j’obscurcirai la lumière sur la terre » (Am 8, 9). Si nous rapprochons cette prophétie avec la description que nous donne Saint Marc de la crucifixion - « Quand arriva l’heure de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusque vers trois heures » (Mc 15,33) - nous comprenons que c’est à sa mort rédemptrice que Notre-Seigneur fait allusion. Certes, la venue de Jésus inaugure les temps nouveaux, qui rendent caduques les prescriptions du temps de l’attente. Et pourtant sa présence, toute définitive qu’elle soit, subira encore bien des aléas : le Fils de l’Homme en effet doit passer par la mort pour entrer dans sa gloire. Quant à son Eglise, il lui faudra cheminer dans la foi jusqu’à la pleine manifestation du Royaume inauguré par son Epoux : jusqu’à son retour glorieux, notre joie sera tempérée par l’épreuve de la persévérance.
Les analogies proposées par Notre-Seigneur - les deux vêtements et les deux sortes de vin - soulignent le contraste entre les deux attentes. Par ces images très parlantes, Jésus veut nous faire comprendre que même si nous vivons encore d’espérance, en lui le passage du monde ancien au temps nouveau est déjà réalisé. Par sa venue, il a définitivement fait craquer le vieux tissu des usages rituels et nous offre le vin nouveau du Royaume. Oui, avec Jésus, nous sommes entrés dans une ère nouvelle : nous tous, rassemblés dans la foi, nous constituons la communauté des temps nouveaux. C’est là notre identité profonde. Il est inutile - et serait même dommageable - d’essayer de raccommoder l’ancien vêtement au moyen du nouveau tissu, comme il serait malvenu de verser le vin nouveau dans les vieilles outres. Lorsque le neuf apparaît, l’ancien s’avère caduque et doit céder la place ; Jean Baptiste l’avait bien perçu : « Il faut que lui grandisse et que moi je diminue (Jn 3,30) ». Reconnaître Jésus comme le Messie attendu, implique de renoncer à toute forme de religiosité ancienne, pour entrer pleinement dans la foi, c’est-à-dire une relation vivante avec le Christ dans l’Esprit. Certes la foi s’exprime dans des actes religieux - y compris ascétiques, tel le jeûne parce que « l’Epoux nous a été enlevé » - mais ceux-ci devraient désormais être avant tout l’expression de notre reconnaissance pour le don gratuit de la filiation divine, offerte une fois pour toutes, dans la mort et la résurrection du Christ Sauveur. N’est-ce pas ce que nous célébrons dans chaque Eucharistie ? Au cœur même du jeûne que l’Eglise continue de vivre comme rappel de sa condition pèlerine, l’Epouse se laisse quotidiennement revêtir du vêtement neuf de la grâce, et partage avec son Epoux « le vin nouveau du Royaume de Dieu » (Mc 14,25).

« Seigneur, chaque jour tu viens au devant de ton Epouse pour la combler de ta présence et lui redire ces paroles de feu : “Tu seras ma fiancée, et ce sera pour toujours. Tu seras ma fiancée, et je t’apporterai la justice et le droit, l’amour et la tendresse ; tu seras ma fiancée, et je t’apporterai la fidélité, et tu me connaîtras ” (Os 2, 21). Donne-nous de quitter ce qui est ancien, en particulier toute forme de religiosité qui ne procède pas d’un esprit filial envers le Père et d’un esprit nuptial envers toi. Renouvelle notre émerveillement devant le mystère de ta présence réelle, et ravive notre désir de te rencontrer dans le sacrement de ton amour ; afin que le jour où tu viendras, tu nous trouves vigilants dans l’action de grâce d’une joyeuse espérance. »


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