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 - 19 avril 2024 - Sainte Emma de Sangau

 

Sollicitudo rei socialis

Chapitre 6 : Quelques orientations particulières

41. L’Eglise n’a pas de solutions techniques à offrir face au problème du sous-développement comme tel, ainsi que le déclarait déjà le Pape Paul VI dans son encyclique69. En effet, elle ne propose pas des systèmes ou des programmes économiques et politiques, elle ne manifeste pas de préférence pour les uns ou pour les autres, pourvu que la dignité de l’homme soit dûment respectée et promue et qu’elle-même se voie laisser l’espace nécessaire pour accomplir son ministère dans le monde.

Mais l’Eglise est « experte en humanité »70, et cela la pousse nécessairement à étendre sa mission religieuse aux divers domaines où les hommes et les femmes déploient leur activité à la recherche du bonheur, toujours relatif, qui est possible en ce monde, conformément à leur dignité de personnes.

A l’exemple de mes prédécesseurs, je dois repéter que ce qui touche à la dignité de l’homme et des peuples, comme c’est le cas du développement authentique, ne peut se ramener à un problème « technique ». Réduit à cela, le développement serait vidé de son vrai contenu et l’on accomplirait un acte de trahison envers l’homme et les peuples qu’il doit servir.

Voilà pourquoi l’Eglise a une parole à dire aujourd’hui comme il y a vingt ans, et encore à l’avenir, sur la nature, les conditions, les exigences et les fins du développement authentique, et aussi sur les obstacles qui l’entravent. Ce faisant, l’Eglise accomplit sa mission d’évangélisation, car elle apporte sa première contribution à la solution du problème urgent du développement quand elle proclame la vérité sur le Christ, sur elle-même et sur l’homme, en l’appliquant à une situation concrète71.

L’instrument que l’Eglise utilise pour atteindre ce but est sa doctrine sociale. Dans la difficile conjoncture présente, pour favoriser la formulation correcte des problèmes aussi bien que leur meilleure résolution, il pourra être très utile d’avoir une connaissance plus exacte et d’assurer une diffusion plus large de l’« ensemble de principes de réflexion et de critères de jugement et aussi de directives d’action » proposé dans son enseignement 72.

On se rendra compte ainsi immédiatement que les questions auxquelles on a à faire face sont avant tout morales, et que ni l’analyse du problème du développement en tant que tel, ni les moyens pour surmonter les difficultés actuelles ne peuvent faire abstraction de cette dimension essentielle.

La doctrine sociale de l’Eglise n’est pas une « troisième voie » entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste, ni une autre possibilité parmi les solutions moins radicalement marquées : elle constitue une catégorie en soi. Elle n’est pas non plus une idéologie, mais la formulation précise des résultats d’une réflexion attentive sur les réalités complexes de l’existence de l’homme dans la société et dans le contexte international, à la lumière de la foi et de la tradition ecclésiale. Son but principal èst d’interpréter ces réalités, en examinant leur conformité ou leurs divergences avec les orientations de l’enseignement de l’Evangile sur l’homme et sur sa vocation à la fois terrestre et transcendante ; elle a donc pour but d’orienter le comportement chrétien. C’est pourquoi elle n’entre pas dans le domaine de l’idéologie mais dans celui de la théologie et particulièrement de la théologie morale.

L’enseignement et la diffusion de la doctrine sociale font partie de la mission d’évangélisation de l’Eglise. Et, s’agissant d’une doctrine destinée à guider la conduite de la personne, elle a pour conséquence l’« engagement pour la justice » de chacun suivant son rôle, sa vocation, sa condition.

L’accomplissement du ministère de l’évangélisation dans le domaine social, qui fait partie de la fonction prophétique de l’Eglise, comprend aussi la dénonciation des maux et des injustices. Mais il convient de souligner que l’annonce est toujours plus importante que la dénonciation, et celle-ci ne peut faire abstraction de celle-là qui lui donne son véritable fondement et la force de la motivation la plus haute.

42. La doctrine sociale de l’Eglise, aujourd’hui plus que dans le passé, a le devoir de s’ouvrir à une perspective internationale dans la ligne du Concile Vatican II73, des encycliques les plus récentes74 et particulièrement de celle que nous commémorons en ce moment75. Il ne sera donc pas superflu de réexaminer et d’approfondir sous cet éclairage les thèmes et les orientations caractéristiques que le Magistère a repris ces dernières années.

Je voudrais signaler ici l’un de ces points : l’option ou l’amour préférentiel pour les pauvres. C’est là une option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise. Elle concerne la vie de chaque chrétien, en tant qu’il imite la vie du Christ, mais elle s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage des biens.

Mais aujourd’hui, étant donné la dimension mondiale qu’a prise la question sociale76, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu’il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d’un avenir meilleur : on ne peut pas ne pas prendre acte de l’existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s’identifier au « riche bon vivant » qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail (cf. Lc 16,1931)77.

Notre vie quotidienne doit tenir compte de ces réalités, comme aussi nos décisions d’ordre politique et économique. De même, les responsables des nations et des Organisations internationales, tandis qu’ils ont l’obligation de toujours considérer comme prioritaire dans leurs plans la vraie dimension humaine, ne doivent pas oublier de donner la première place au phénomène croissant de la pauvreté. Malheureusement, au lieu de diminuer, le nombre des pauvres se multiplie non seulement dans les pays moins développés, mais, ce qui ne paraît pas moins scandaleux, dans ceux qui sont les plus développés.

Il est nécessaire de rappeler encore une fois le principe caractéristique de la doctrine sociale chrétienne : les biens de ce monde sont àl’origine destinés à tous78. Le droit à la propriété privée est valable et nécessaire, mais il ne supprime pas la valeur de ce principe. Sur la propriété, en effet, pèse « une hypothèque sociale »79, c’est-à-dire que l’on y discerne, comme qualité intrinsèque, une fonction sociale fondée et justifiée précisément par le principe de la destination universelle des biens. Et il ne faudra pas négliger, dans l’engagement pour les pauvres, la forme spéciale de pauvreté qu’est la privation des droits fondamentaux de la personne, en particulier du droit à la liberté religieuse, et, par ailleurs, du droit à l’initiative économique.

43. L’intérêt actif pour les pauvres - qui sont, selon la formule si expressive, les « pauvres du Seigneur »80- doit se traduire, à tous les niveaux, en actes concrets afin de parvenir avec fermeté à une série de réformes nécessaires. En fonction des situations particulières, on détermine les réformes les plus urgentes et les moyens de les réaliser ; mais il ne faut pas oublier celles que requiert la situation de déséquilibre international décrite ci-dessus.

A ce sujet, je désire rappeler notamment : la réforme du système commercial international, grevé par le protectionnisme et par le bilatéralisme grandissant ; la réforme du système monétaire et financier international, dont on s’accorde aujourd’hui à reconnaître l’insuffisance ; le problème des échanges des technologies et de leur bon usage ; la nécessité d’une révision de la structure des Organisations internationales existantes, dans le cadre d’un ordre juridique international.

Le système commercial international entraîne souvent aujourd’hui une discrimination des productions des industries naissantes dans les pays en voie de développement, tandis qu’il décourage les producteurs de matières premières. Il existe, par ailleurs, une sorte de division internationale du traivail selon laquelle les produits à faible prix de revient de certains pays, dénués de législation du travail efficace ou trop faibles pour les appliquer, sont vendus en d’autres parties du monde avec des bénéfices considérables pour les entreprises spécialisées dans ce type de production qui ne connaît pas de frontières.

Le système monétaire et financier mondial se caractérise par la fluctuation excessive des méthodes de change et des taux d’intérêt, au détriment de la balance des paiements et de la situation d’endettement des pays pauvres.

Les technologies et leurs transferts constituent aujourd’hui un des principaux problèmes des échanges internationaux, avec les graves dommages qui en résultent. Il n’est pas rare que des pays en voie de développement se voient refuser les technologies nécessaires ou qu’on leur en livre certaines qui leur sont inutiles.

Les Organisations internationales, selon de nombreux avis, semblent se trouver à un moment de leur histoire où les mécanismes de fonctionnement, les frais administratifs et l’efficacité demandent un réexamen attentif et d’éventuelles corrections. Evidemment un processus aussi délicat ne peut être mené à bien sans la collaboration de tous. Il suppose que l’on dépasse les rivalités politiques et que l’on renonce à la volonté de se servir de ces Organisations à des fins particulières, alors qu’elles ont pour unique raison d’être le bien commun.

Les Institutions et les Organisations existantes ont bien travaillé à l’avantage des peuples. Toutefois, affrontant une période nouvelle et plus difficile de son développement authentique, l’humanité a besoin aujourd’hui d’un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale, au service des sociétés, des économies et des cultures du monde entier.

44. Le développement requiert surtout un esprit d’initiative de la part des pays qui en ont besoin eux-mêmes81. Chacun d’eux doit agir en fonction de ses propres responsabilités, sans tout attendre des pays plus favorisés, et en travaillant en collaboration avec les autres qui sont dans la même situation. Chacun doit explorer et utiliser le plus possible l’espace de sa propre liberté. Chacun devra aussi se rendre capable d’initiatives répondant à ses propres problèmes de société. Chacun devra également se rendre compte des besoins réels qui existent, et aussi dès droits et des devoirs qui lui imposent de les satisfaire. Le développement des peuples commence et trouve sa mise en œuvre la plus appropriée dans l’effort de chaque peuple pour son propre développement, en collaboration avec les autres.

Dans ce sens, il est important que les pays en voie de développement favorisent l’épanouissement de tout citoyen, par l’accès à une culture plus approfondie et à une libre circulation des informations. Tout ce qui pourra favoriser l’alphabétisation et l’éducation de base qui l’approfondit et la complète, comme le proposait l’encyclique Populorum progressio82 - objectif encore loin d’être atteint dans beaucoup de régions du monde -, représente une contribution directe au développement authentique.

Pour avancer sur cette voie, les pays devront discerner eux-mêmes leurs priorités et reconnaître clairement leurs besoins, en fonction des conditions particulières de la population, du cadre géographique et des traditions culturelles.

Certains pays devront augmenter la production alimentaire, afin de disposer en permanence du nécessaire pour la nourriture et pour la vie. Dans le monde actuel, où la faim fait tant de victimes surtout parmi les enfants, il y a des exemples de pays qui, sans être particulièrement développés, ont pourtant réussi à atteindre l’objectif de l’autonomie alimentaire et même à devenir exportateurs de produits alimentaires.

D’autres pays ont besoin de réformer certaines structures injustes et notamment leurs institutions politiques afin de remplacer des régimes corrompus, dictatoriaux et autoritaires par des régimes démocratiques qui favorisent la participation. C’est un processus que nous souhaitons voir s’étendre et se renforcer, parce que la « santé » d’une communauté politique - laquelle s’exprime par la libre participation et la responsabilité de tous les citoyens dans les affaires publiques, par la fermeté du droit, par le respect et la promotion des droits humains - est une condition nécessaire et une garantie sûre du développement de « tout l’homme et de tous les hommes ».

45. Ce qui a été dit ne pourra être réalisé sans la collaboration de tous, spécialement de la communauté internationale, dans le cadre d’une solidarité qui inclue tout le monde, à commencer par les plus marginalisés. Mais les pays en voie de développement ont le devoir de pratiquer eux-mêmes la solidarité entre eux et avec les pays les plus marginaux du monde.

Il est souhaitable, par exemple, que les pays d’un même ensemble géographique établissent des formes de coopération qui les rendent moins dépendants de producteurs plus puissants ; qu’ils ouvrent leurs frontières aux produits de la même zone ; qu’ils examinent la complémentarité éventuelle de leurs productions ; qu’ils s’associent pour se doter des services que chacun d’eux n’est pas en mesure d’organiser ; qu’ils étendent leur coopération au domaine monétaire et financier.

L’interdépendance est déjà une réalité dans beaucoup de ces pays. La reconnaître, de façon à la rendre plus active, représente une solution face à la dépendance excessive par rapport à des pays plus riches et plus puissants, dans l’ordre même du développement désiré, sans s’opposer a personne, mais en découvrant et en valorisant au maximum ses propres possibilités. Les pays en voie de développement d’un même ensemble géographique, surtout ceux qui font partie de ce qu’on appelle le « Sud », peuvent et doivent constituer - comme on commence à le faire avec des résultats prometteurs - de nouvelles organisations régionales, régies par des critères d’égalité, de liberté et de participation au concert des nations.

La solidarité universelle requiert, comme condition indispensable, l’autonomie et la libre disposition de soi-même, également à l’intérieur d’organisations comme celles qu’on vient de décrire. Mais, en même temps, elle demande que l’on soit prêt à accepter les sacrifices nécessaires pour le bien de la communauté mondiale.


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