Catholic.net International English Espanol Deutsh Italiano Slovensko
 - 15 avril 2024 - Saint Paterne

 

Sollicitudo rei socialis

Chapitre 7 : Conclusion

46. Les peuples et les individus aspirent à leur libération : la recherche du développement intégral est le signe de leur désir de surmonter les obstacles multiples qui les empêchent de jouir d’une « vie plus humaine ».

Récemment, au cours de la période qui a suivi la publication de l’encyclique Populorum progressio, dans certaines parties de l’Eglise catholique, en particulier en Amérique latine, s’est répandue une nouvelle manière d’aborder les problèmes de la misère et du sous-développement, qui fait de la libération la catégorie fondamentale et le premier principe d’action. Les valeurs positives, mais aussi les déviations et les risques de déviation liés à cette forme de réflexion et d’élaboration théologique, ont été opportunément signalés par le Magistère ecclésiastique83.

Il convient d’ajouter que l’aspiration à la libération par rapport à toute forme d’esclavage, pour l’homme et pour la société, est quelque chose de noble et de valable. C’est à cela que tend justement le développement, ou plutôt la libération et le développement, compte tenu de l’étroite relation existant entre ces deux réalités.

Un développement purement économique ne parvient pas à libérer l’homme, au contraire, il finit par l’asservir davantage. Un développement qui n’intègre pas les dimensions culturelles, transcendantes et religieuses de l’homme et de la société contribue d’autant moins à la libération authentique qu’il ne reconnaît pas l’existence de ces dimensions et qu’il n’oriente pas vers elles ses propres objectifs. L’être humain n’est totalement libre que lorsqu’il est lui-même, dans la plénitude de ses droits et de ses devoirs : on doit en dire autant de la société tout entière.

L’obstacle principal à surmonter pour une véritable libération, c’est le péché et les structures qui en résultent au fur et à mesure qu’il se multiplie et s’étend84.

La liberté par laquelle le Christ nous a libérés (cf. Ga 5,1 ) nous pousse à nous convertir pour devenir les serviteurs de tous. Ainsi le processus du développement et de la libération se concrétise dans la pratique de la solidarité, c’est-à-dire de l’amour et du service du prochain, particulièrement les plus pauvres : « Là où manquent la vérité et l’amour, le processus de libération aboutit à la mort d’une liberté qui aura perdu tout appui »85.

47. Devant les tristes expériences de ces dernières années et le panorama en majeure partie négatif de la période actuelle, l’Eglise se doit d’affirmer avec force la possibilité de surmonter les entraves qui empêchent le développement, par excès ou par défaut, et la confiance en une vraie libération. Cette confiance et cette possibilité sont fondées, en dernière instance, sur la conscience qu’a l’Eglise de la promesse divine l’assurant que l’histoire présente ne reste pas fermée sur elle-même, mais qu’elle est ouverte au Règne de Dieu.

L’Eglise a aussi confiance en l’homme, tout en connaissant la perversité dont il est capable, parce qu’elle sait que - malgré l’héritage du péché et le péché que chacun peut commettre - il y a dans la personne humaine des qualités et une énergie suffisantes, il y a en elle une « bonté » fondamentale (cf . Gn 1, 31), parce qu’elle est l’image du Créateur placée sous l’influence rédemptrice du Christ qui « s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme »86, et parce que l’action efficace de l’Esprit Saint « remplit le monde » (Sg 1, 7).

C’est pourquoi ni le désespoir, ni le pessimisme, ni la passivité ne peuvent se justifier. Même si c’est avec amertume, il faut dire que de même que l’on peut pécher par égoïsme, par appétit excessif du gain et du pouvoir, on peut aussi commettre des fautes, quand on est confronté aux besoins urgents des multitudes humaines plongées dans le sous-développement, par crainte, par indécision et, au fond, par lacheté. Nous sommes tous appelés, et même tenus, à relever le terrible défi de la dernière décennie du second millénaire, ne serait-ce que parce que nous sommes tous sous la menace de dangers imminents : une crise économique mondiale, une guerre sans frontières, sans vainqueurs ni vaincus. Face à cette menace, la distinction entre personnes ou pays riches et personnes ou pays pauvres aura peu de valeur, si ce n’est en raison de la plus grande responsabilité pesant sur ceux qui ont plus et qui peuvent plus.

Mais une telle motivation n’est ni la seule ni la principale. Ce qui rentre en ligne de compte, c’est la dignité de la personne humaine dont la défense et la promotion nous ont été confiées par le Créateur et dont sont rigoureusement responsables et débiteurs les hommes et les femmes dans toutes les circonstances de l’histoire. La situation actuelle, comme beaucoup s’en sont déjà rendu compte plus ou moins clairement, ne paraît pas respecter cette dignité. Chacun de nous est appelé à prendre sa part dans cette campagne pacifique, à mener avec des moyens pacifiques, pour conquérir le développement dans la paix, pour sauvegarder la nature elle-même et le monde qui nous entoure. L’Eglise, elle aussi, se sent profondément impliquée dans cette voie dont elle espère l’heureux aboutissement.

C’est pourquoi, à l’exemple du Pape Paul VI dans l’encyclique Populorum progressio87, je voudrais m’adresser avec simplicité et humilité à tous, hommes et femmes sans exception, afin que, convaincus de la gravité de l’heure présente et conscients de leur responsabilité personnelle, ils mettent en œuvre - par leur mode de vie personnelle et familiale, par leur usage des biens, par leur participation de citoyens, par leur contribution aux décisions économiques et politiques ainsi que par leur propre engagement sur les plans national et international - les mesures inspirées par la solidarité et l’amour préférentiel des pauvres qu’exigent les circonstances et que requiert surtout la dignité de la personne humaine, image indestructible de Dieu créateur, image identique en chacun de nous.

Dans cet effort, les fils de l’Eglise doivent être des exemples et des guides, car ils sont appelés, selon le programme proclamé par Jésus lui-même dans la synagogue de Nazareth, à « porter la bonne nouvelle aux pauvres, [...] annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4,18-19). Il convient de souligner le rôle prépondérant qui incombe aux laïcs, hommes et femmes, comme l’a redit la récente Assemblée synodale. Il leur revient d’animer les réalités temporelles avec un zèle chrétien et de s’y conduire en témoins et en artisans de paix et de justice.

Je voudrais m’adresser particulièrement à ceux qui, par le sacrement du baptême et la profession du même Credo, participent avec nous a une vraie communion, même si elle n’est pas parfaite. Je suis sûr que le souci exprimé par la présente lettre, aussi bien que les motivations qui l’animent, leur sont familiers parce que c’est l’Evangile du Christ Jésus qui les inspire. Nous pouvons trouver ici une invitation nouvelle à donner un témoignage unanime de nos convictions communes sur la dignité de l’homme, créé par Dieu, sauvé par le Christ, sanctifié par l’Esprit, et appelé à vivre dans ce monde une vie conforme à cette dignité.

A ceux qui partagent avec nous l’héritage d’Abraham, « notre père dans la foi » (cf. Rm 4,11-12)88, et la tradition de l’Ancien Testament, les Juifs, à ceux qui, comme nous, croient en Dieu juste et miséricordieux, les Musulmans j’adresse également cet appel qui s’étend aussi à tous les disciples des grandes religions du monde.

La rencontre du 27 octobre de l’année dernière à Assise, la ville de saint François, pour prier et nous engager en faveur de la paix - chacun dans la fidélité à ses convictions religieuses - a fait apparaître pour tous à quel point la paix et sa condition nécessaire, le développement de « tout l’homme et de tous les hommes », sont aussi un problème religieux, et à quel point la réalisation intégrale de l’une et de l’autre dépend de notre fidélité à notre vocation d’hommes et de femmes croyants. Car elle dépend, avant tout, de Dieu.

48. L’Eglise sait qu’aucune réalisation temporelle ne s’identifie avec le Royaume de Dieu, mais que toutes les réalisations ne font que refléter et, en un sens, anticiper la gloire du royaume que nous attendons à la fin de l’histoire, lorsque le Seigneur reviendra. Mais cette attente ne pourra jamais justifier que l’on se désintéresse des hommes dans leur situation personnelle concrète et dans leur vie sociale, nationale et internationale, parce que celle-ci - maintenant surtout - conditionne celle-là.

Même dans l’imperfection et le provisoire, rien ne sera perdu ni ne sera vain de ce que l’on peut et que l’on doit accomplir par l’effort solidaire de tous et par la grâce divine à un certain moment de l’histoire pour rendre « plus humaine » la vie des hommes. Le Concile Vatican II l’enseigne dans un passage lumineux de la constitution Gaudium et spes : les « valeurs de dignité humaine, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits excellents de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père "un royaume éternel et universel" [...]. Mystérieusement, le royaume est déjà présent sur cette terre »89.

Maintenant, le Royaume de Dieu est rendu présent surtout par la célébration du Sacrement de l’Eucharistie qui est le Sacrifice du Seigneur. Dans cette célébration, les fruits de la terre et du travail de l’homme - le pain et le vin - sont transformés mystérieusement mais réellement et substantiellement, par l’action de l’Esprit Saint et par les paroles du ministre, dans le Corps et le Sang du Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu et Fils de Marie, par lequel le Royaume du Père s’est rendu présent au milieu de nous.

Les biens de ce monde et l’œuvre de nos mains - le pain et le vin - servent pour la venue du Royaume définitif, car le Seigneur, par son Esprit, les assume en lui pour s’offrir au Père et nous offrir avec lui dans le renouvellement de son sacrifice unique qui anticipe le Royaume de Dieu et annonce son avènement final.

Ainsi le Seigneur, par l’Eucharistie, sacrement et sacrifice, nous unit avec lui et nous unit entre nous par des liens plus forts que toute union naturelle ; et il nous envoie dans le monde entier, unis pour porter témoignage, par la foi et les œuvres, de l’amour de Dieu, préparant l’avènement de son Royaume et l’anticipant déjà dans l’ombre du temps présent.

Participant à l’Eucharistie, nous sommes appelés à découvrir par ce sacrement le sens profond de notre action dans le monde en faveur du développement et de la paix ; et à recevoir de lui la force de nous consacrer avec toujours plus de générosité, à l’exemple du Christ qui dans ce Sacrement donne sa vie pour ses amis (cf. Jn 15,13). Notre engagement personnel, comme celui du Christ et en union avec lui, ne sera pas inutile mais assurément fécond.

49. En cette Anné mariale, que j’ai proclamée pour que les fidèles catholiques regardent toujours plus vers Marie qui nous précède dans le pèlerinage de la foi90 et qui, dans sa sollicitude maternelle, intercède pour nous auprès de son Fils notre Rédempteur, je désire lui confier et confier à son intercession la conjoncture difficile du monde contemporain, les efforts que l’on fait et que l’on fera, souvent au prix de grandes souffrances, pour contribuer au vrai développement des peuples, proposé et annoncé par mon prédécesseur Paul VI.

Comme la piété chrétienne l’a toujours fait, nous présentons à la Très Sainte Vierge les situations individuelles difficiles pour qu’en les montrant à son Fils elle obtienne de lui qu’elles soient adoucies et changées. Mais nous lui présentons aussi les situations sociales et la crise internationale elle-même sous leurs aspects inquiétants de misère, de chômage, de manque de nourriture, de course aux armements, de mépris des droits de l’homme, de situations ou de menaces de conflit partiel ou total. Tout cela, nous voulons le mettre filialement devant son « regard miséricordieux », reprenant une fois encore dans la foi et l’espérance l’antique antienne : « Sainte Mère de Dieu, ne méprise pas nos prières quand nous sommes dans l’épreuve, mais de tous les dangers délivre-nous toujours, Vierge glorieuse, Vierge bienheureuse ».

La Très Sainte Vierge Marie, notre Mère et notre Reine, est celle qui, se tournant vers son Fils, dit : « Ils n’ont pas de vin » (Jn 2,3), celle aussi qui loue Dieu le Père parce qu’« il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides » (Lc 1,52-53). Dans sa sollicitude maternelle, elle se penche sur les aspects personnels et sociaux de la vie des hommes sur la terre91.

Devant la Très Sainte Trinité, je confie à Marie ce que j’ai exposé dans la présente lettre pour inviter tous les hommes à réfléchir et à s’engager activement dans la promotion du vrai développement des peuples, comme le dit justement l’oraison de la Messe pour cette intention : « Seigneur, tu as voulu que tous les peuples aient une même origine et tu veux les réunir dans une seule famille, fais que les hommes se reconnaissent des frères et travaillent dans la solidarité au développement de tous les peuples, afin aue [...] soient reconnus les droits de toute personne et que la communauté humaine connaisse un temps d’égalité et de paix »92.

En concluant, j’élève cette prière au nom de tous mes frères et sœurs à qui, en signe de salut et de vœu, j’envoie une particulière Bénédiction.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 30 décembre 1987, en la dixième année de mon pontificat.


Accueil | Version Mobile | Faire un don | Contact | Qui sommes nous ? | Plan du site | Information légales