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 - 18 avril 2024 - Saint Parfait
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Ut unum sint

Chapitre 2 : Les fruits du dialogue

La fraternité retrouvée

41. Ce qui a été dit précédemment sur le dia- logue œcuménique mené depuis la conclusion du Concile conduit à rendre grâce à l’Esprit de vérité promis par le Christ Seigneur aux Apôtres et à l’Église (cf. Jn 14,26). Pour la première fois dans l’histoire, l’action en faveur de l’unité des chrétiens a atteint de telles proportions et s’est étendue de manière aussi large. C’est déjà un don immense que Dieu a accordé et qui mérite toute notre gratitude. De la plénitude du Christ, nous recevons « grâce pour grâce » (Jn 1,16). Reconnaître ce que Dieu nous a déjà accordé est la condition qui nous prédispose à recevoir des dons encore nécessaires, pour porter jusqu’à son achèvement l’action œcuménique en faveur de l’unité.

Un regard d’ensemble sur les trente dernières années fait mieux comprendre de nombreux fruits de la conversion commune à l’Evangile, dont le mouvement œcuménique a été l’instrument grâce à l’Esprit Saint.

42. Par exemple - dans l’esprit même du Discours sur la Montagne -, les chrétiens d’une confession ne considèrent plus désormais les autres chrétiens comme des ennemis ou des étrangers, mais ils voient en eux des frères et des sœurs. D’un autre côté, même à l’expression frères séparés, l’usage tend à substituer aujourd’hui des termes plus aptes à évoquer la profondeur de la communion liée au caractère baptismal, que l’Esprit nourrit malgré les ruptures historiques et canoniques. On parle des « autres chrétiens », des « autres baptisés », des « chrétiens des autres Communautés ». Le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme appelle les communautés auxquelles appartiennent ces chrétiens des « Eglises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec l’Eglise catholique ». Ce développement du vocabulaire traduit une évolution notable des mentalités. La conscience de l’appartenance commune au Christ s’approfondit. Personnellement, j’ai pu le constater à de multiples reprises durant les célébrations œcuméniques qui sont parmi les événements les plus importants de mes voyages apostoliques dans les différentes parties du monde, ou dans les rencontres et dans les célébrations œcuméniques qui ont eu lieu à Rome. La « fraternité universelle » des chrétiens est devenue une ferme conviction œcuménique. Reléguant dans l’oubli les excommunications du passé, les Communautés, un temps rivales, s’aident aujourd’hui mutuellement, dans de nombreuses circonstances ; parfois on se prête des édifices du culte ; on offre des bourses d’études pour la formation des ministres des Communautés qui manquent le plus de moyens ; on intervient auprès des autorités civiles pour la défense des autres chrétiens accusés injustement ; on démontre l’absence de fondement des calomnies dont certains groupes sont victimes.

En un mot, les chrétiens se sont convertis à une charité fraternelle qui englobe tous les disciples du Christ. S’il arrive que, en raison de soulèvements politiques violents, une certaine agressivité ou un esprit de revanche apparaissent dans des situations concrètes, les autorités des parties en présence s’attachent généralement à faire prévaloir la « Loi nouvelle » de l’esprit de charité. Malheureusement, cet esprit n’a pas pu transformer toutes les situations de conflit sanglant. Dans ces circonstances, il faut que ceux qui sont engagés dans l’œcuménisme fassent preuve d’un héroïsme authentique dans leur décisions.

A ce propos, il convient de réaffirmer que la reconnaissance de la fraternité n’est pas la conséquence d’une philanthropie libérale ou d’un vague esprit de famille. Elle s’enracine dans la reconnaissance de l’unique Baptême et dans l’exigence qui en découle que Dieu soit glorifié dans son œuvre. Le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme souhaite une reconnaissance réciproque et officielle des Baptêmes. Cela va bien au-delà d’un geste de courtoisie œcumé- nique et constitue une affirmation ecclésiologique fondamentale.

On doit opportunément rappeler que le caractère fondamental du Baptême dans l’œuvre d’édification de l’Eglise a été clairement mis en valeur grâce aussi au dialogue multilatéral.

La solidarité dans le service de l’humanité

43. Il arrive de plus en plus souvent que les responsables des Communautés chrétiennes prennent position ensemble, au nom du Christ, sur des problèmes importants qui touchent la vocation humaine, la liberté, la justice, la paix, l’avenir du monde. Ce faisant, ils « agissent en commun » pour une des fonctions constitutives de la mission chrétienne : rappeler à la société, d’une manière qui sache être réaliste, la volonté de Dieu, mettant en garde les autorités et les citoyens, afin qu’ils ne s’engagent pas dans la voie qui conduirait à piétiner les droits humains. Il est clair, et l’expérience le prouve, que dans certaines circonstances la voix commune des chrétiens a plus d’influence qu’une voix isolée.

Les responsables des Communautés ne sont pas cependant les seuls à s’unir dans cet engagement en faveur de l’unité. Au nom de leur foi, de nombreux chrétiens de toutes les Communautés participent ensemble à des projets courageux qui se proposent de changer le monde, en vue de faire triompher le respect des droits et des besoins de tous, spécialement des pauvres, des humiliés et de ceux qui sont sans défense. Dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis, j’ai pris acte avec joie de cette collaboration, en soulignant que l’Eglise catholique ne peut pas s’y soustraire. En effet, les chrétiens, qui agissaient autrefois de manière indépendante, sont aujourd’hui engagés ensemble pour servir cette cause, afin que la bienveillance de Dieu puisse triompher.

La logique est celle de l’Evangile. Aussi, rappelant ce que j’avais écrit dans ma première encyclique, Redemptor hominis, j’ai eu l’occasion « d’insister sur ce point et d’encourager tout effort en ce sens à tous les niveaux où nous nous rencontrons avec nos frères chrétiens » et j’ai remercié Dieu « de ce qu’il a déjà accompli dans et par les autres Églises et Communautés ecclésiales », comme aussi par l’Eglise catholique. Aujourd’hui, je constate avec satisfaction que le réseau déjà ample de collaboration œcuménique s’étend de plus en plus. Grâce à l’influence du Conseil œcuménique des Eglises, un travail important est accompli en ce domaine.

Convergences en ce qui concerne la Parole de Dieu et le culte divin

44. Les progrès de la conversion œcuménique sont significatifs également dans un autre domaine, celui de la Parole de Dieu. Je pense avant tout à un événement aussi important pour les divers groupes linguistiques que la traduction œcuménique de la Bible. Après la promulgation par le Concile Vatican II de la Constitution Dei Verbum, l’Eglise catholique ne pouvait pas ne pas accueillir avec joie cette réalisation. Ces traductions, qui sont l’œuvre de spécialistes, fournissent généralement un fondement sûr pour la prière et pour l’activité pastorale de tous les disciples du Christ. Ceux qui se rappellent quelle influence les débats autour de l’Ecriture ont eue sur les divisions, surtout en Occident, peuvent comprendre l’avancée notable que représentent ces traductions communes.

45. Dans diverses Communautés ecclésiales, au renouveau liturgique accompli dans l’Eglise catholique a correspondu l’initiative de renouveler leur culte. Certaines d’entre elles, à partir du souhait exprimé au niveau œcuménique, ont abandonné l’habitude de ne célébrer leur liturgie de la Cène qu’en de rares occasions, et ont opté pour une célébration dominicale. Par ailleurs, en comparant les cycles des lectures liturgiques de différentes Communautés chrétiennes occidentales, on constate qu’ils convergent sur l’essentiel. Toujours au niveau œcuménique, on a donné un relief tout particulier à la liturgie et aux signes liturgiques (images, icônes, vêtements, lumière, encens, gestes). En outre, dans les instituts de théologie où l’on forme les futurs ministres, l’étude de l’histoire et du sens de la liturgie commence à faire partie des programmes, car c’est une nécessité que l’on est en train de redécouvrir.

Il s’agit de signes de convergence qui touchent à différents aspects de la vie sacramentelle. Certainement, à cause des divergences dans la foi, il n’est pas encore possible de concélébrer la même liturgie eucharistique. Nous aussi, nous avons le désir ardent de célébrer ensemble l’unique Eucharistie du Seigneur, et ce désir devient déjà une louange commune et une même imploration. Ensemble, nous nous tournons vers le Père et nous le faisons toujours plus « d’un seul cœur ». Parfois, la possibilité de pouvoir enfin sceller cette communion « réelle bien que pas encore plénière » semble assez proche. Qui aurait pu seulement l’envisager il y a un siècle ?

46. Dans cet esprit, c’est un motif de joie que les ministres catholiques puissent, en des cas particuliers déterminés, administrer les sacrements de l’Eucharistie, de la pénitence, de l’onction des malades à d’autres chrétiens qui ne sont pas en pleine communion avec l’Eglise catholique, mais qui désirent ardemment les recevoir, qui les demandent librement et qui partagent la foi que l’Église catholique confesse dans ces sacrements. Réciproquement, dans des cas déterminés et pour des circonstances particulières, les catholiques peuvent aussi recourir pour ces mêmes sacrements aux ministres des Eglises dans lesquelles ils sont valides. Les conditions de cet accueil réciproque ont été établies en forme de normes et leur observance s’impose pour la promotion de l’œcuménisme.

Apprécier les biens présents chez les autres chrétiens

47. Le dialogue ne s’articule pas exclusivement autour de la doctrine, mais il implique la personne tout entière : c’est aussi un dialogue d’amour. Le Concile a déclaré : « Il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui proviennent du patrimoine commun et qui se trouvent chez nos frères séparés. Il est juste et salutaire de reconnaître les richesses du Christ et les effets de sa puissance dans la vie d’autres qui portent témoignage au Christ, parfois jusqu’à l’effusion du sang ; car Dieu est toujours admirable et il doit être admiré dans ses œuvres ».

48. Les relations que les membres de l’Eglise catholique ont établies depuis le Concile avec les autres chrétiens ont fait découvrir ce que Dieu réalise en ceux qui appartiennent aux autres Eglises et Communautés ecclésiales. Ce contact direct, à différents niveaux, entre les pasteurs et entre les membres des Communautés nous a fait prendre conscience du témoignage que les autres chrétiens rendent à Dieu et au Christ. Il s’est ainsi ouvert un très large champ pour toute l’expérience œcuménique, qui est en même temps le défi qui se pose à notre époque. Le XXe siècle n’est-il pas un temps de grand témoignage, qui va « jusqu’à l’effusion du sang » ? Ce témoignage ne concerne-t-il pas aussi les différentes Eglises et Communautés ecclésiales, qui tirent leur nom du Christ, crucifié et ressuscité ?

Ce témoignage commun de sainteté, comme fidélité à l’unique Seigneur, est un potentiel œcuménique extraordinairement riche de grâce. Le Concile Vatican II a souligné que les biens présents chez les autres chrétiens peuvent contribuer à l’édification des catholiques : « Il ne faut pas non plus passer sous silence que tout ce qui est accompli par la grâce du Saint-Esprit dans nos frères séparés peut contribuer aussi à notre édification. Rien de ce qui est vraiment chrétien ne s’oppose jamais aux vraies valeurs de la foi, bien au contraire, tout cela peut toujours permettre de pénétrer plus pleinement le mystère du Christ et de l’Eglise ». Le dialogue œcuménique, comme vrai dialogue du salut, ne manquera pas de stimuler le progrès, déjà en soi bien avancé, vers la vraie et pleine communion.

Progression de la communion

49. La progression de la communion est le fruit précieux des relations entre les chrétiens et du dialogue théologique qu’ils entretiennent. Les relations et le dialogue ont rendu les chrétiens conscients des données de la foi qu’ils ont en commun. Cela a servi à consolider davantage leur engagement vers la pleine unité. En tout cela, le Concile Vatican II reste un stimulant puissant pour le dynamisme et les orientations œcuméniques.

La Constitution dogmatique Lumen gentium associe la doctrine concernant l’Eglise catholique à la reconnaissance des éléments salvifiques qui se trouvent dans les autres Eglises et Communautés ecclésiales. Il ne s’agit pas d’une prise de conscience d’éléments statiques, passivement présents dans ces Eglises et Communautés. En tant que biens de l’Eglise du Christ, de par leur nature, ils font avancer vers le rétablissement de l’unité. Il s’ensuit que la recherche de l’unité des chrétiens n’est pas un acte facultatif ou d’opportunité, mais une exigence qui découle de l’être même de la communauté chrétienne.

De la même manière, les dialogues théologiques bilatéraux avec les principales Communautés chrétiennes partent de la reconnaissance du degré de communion déjà existant, pour discuter ensuite progressivement les divergences qui existent avec chacune. Le Seigneur a permis aux chrétiens de notre temps de pouvoir réduire le contentieux traditionnel.

Le dialogue avec les Eglises d’Orient

50. A ce propos, on doit avant tout constater, avec une particulière gratitude envers la Providence divine, que les liens avec les Eglises d’Orient, distendus durant des siècles, se sont resserrés avec le Concile Vatican II. Les observateurs de ces Eglises présents au Concile, avec les représentants des Eglises et Communautés ecclésiales d’Occident, ont manifesté publiquement, dans un moment aussi solennel pour l’Eglise catholique, la volonté commune de rechercher la communion.

Pour sa part, le Concile a considéré avec objectivité et avec une profonde affection les Eglises d’Orient, mettant en relief leur ecclésialité et les liens objectifs de communion qui les lient à l’Eglise catholique. Le décret sur l’œcuménisme déclare : « Par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur en chacune de ces Eglises, l’Eglise de Dieu s’édifie et s’accroît », ajoutant par conséquent que ces Eglises, « tout en étant séparées, ont de véritables sacrements, et avant tout, en vertu de la succession apostolique, le sacerdoce et l’Eucharistie, par lesquels elles sont encore unies à nous par des liens très étroits ».

Pour les Eglises d’Orient, on a reconnu la grande tradition liturgique et spirituelle, le caractère spécifique de leur développement historique, les disciplines suivies par elles depuis les premiers temps et confirmées par les saints Pères et par les Conciles œcuméniques, la manière qui leur est propre d’exprimer la doctrine. Tout ceci avec la conviction que la diversité légitime ne s’oppose pas du tout à l’unité de l’Eglise, elle en accroît même le prestige et contribue largement à l’achèvement de sa mission.

Le Concile œcuménique Vatican II veut fonder le dialogue sur la communion existante et attire l’attention sur la riche réalité des Eglises d’Orient : « Le saint Concile exhorte tout le monde, mais surtout ceux qui ont l’intention de travailler à l’instauration de la pleine communion souhaitée entre les Eglises orientales et l’Eglise catholique, à bien considérer cette condition particulière des Eglises d’Orient à leur naissance et dans leur croissance, ainsi que la nature des relations qui étaient en vigueur entre elles et le Siège romain avant la séparation, et à se former sur tous ces points un jugement droit ».

51. Cette orientation conciliaire a été rendue féconde par les relations de fraternité, qui se sont développées grâce au dialogue de la charité, et par la discussion doctrinale dans le cadre de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe. Elle a été également riche de fruits dans les relations avec les anciennes Eglises de l’Orient.

Il s’est agi d’un processus lent et laborieux, qui a été cependant source de grande joie ; et il a été aussi enthousiasmant parce qu’il a permis de retrouver progressivement la fraternité.

La reprise des contacts

52. En ce qui concerne l’Eglise de Rome et le Patriarcat œcuménique de Constantinople, le processus auquel nous venons de faire référence a été engagé grâce à l’ouverture réciproque dont ont fait preuve les Papes Jean XXIII et Paul VI, d’une part, et le Patriarche œcuménique Athénagoras Ier et ses successeurs, d’autre part. Le changement historique intervenu est manifesté par l’acte ecclésial grâce auquel « on a ôté de la mémoire et du milieu des Eglises » le souvenir des excommunications qui, il y a neuf cents ans, en 1054, étaient devenues le symbole du schisme entre Rome et Constantinople. Cet événement ecclésial de grande portée œcuménique eut lieu dans les tout derniers jours du Concile, le 7 décembre 1965. L’assemblée conciliaire se terminait ainsi par un acte solennel qui était en même temps une purification de la mémoire historique, un pardon réciproque et un engagement solidaire pour la recherche de la communion.

Ce geste avait été précédé par la rencontre de Paul VI et du Patriarche Athénagoras Ier à Jérusalem, en janvier 1964, au cours du pèlerinage du Pape en Terre Sainte. À cette occasion, il put aussi rencontrer le Patriarche orthodoxe de Jérusalem, Benedictos. Par la suite, le Pape Paul VI put rendre visite au Patriarche Athénagoras Ier au Phanar (Istanbul), le 25 juillet 1967, et, au mois d’octobre de la même année, le Patriarche fut accueilli solennellement à Rome. Ces rencontres dans la prière montraient la voie à suivre pour le rapprochement entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident et pour le rétablissement de l’unité qui existait entre elles au cours du premier millénaire.

Après la mort du Pape Paul VI et le bref pontificat du Pape Jean-Paul Ier, lorsque le ministère d’Evêque de Rome m’a été confié, j’ai considéré qu’il serait un des premiers devoirs de mon service pontifical de renouer un contact personnel avec le Patriarche œcuménique Dimitrios Ier, qui avait entre-temps succédé au Patriarche Athénagoras sur le siège de Constantinople. Au cours de ma visite au Phanar le 29 novembre 1979, le Patriarche et moi-même avons pu décider d’inaugurer le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et toutes les Eglises orthodoxes en communion canonique avec le siège de Constantinople. A ce propos, il semble important d’ajouter qu’à ce moment les préparatifs pour la convocation du futur Concile des Eglises orthodoxes étaient déjà en cours. La recherche de leur harmonie contribue à la vie et à la vitalité de ces Églises sœurs, et cela en fonction aussi du rôle qu’elles sont appelées à jouer dans le cheminement vers l’unité. Le Patriarche œcuménique a désiré me rendre la visite que je lui avais faite et, en décembre 1987, j’ai eu la joie de l’accueillir à Rome avec une affection sincère et avec la solennité qui convenait. Dans ce climat de fraternité ecclésiale, il faut rappeler la coutume, désormais établie depuis plusieurs années, d’accueillir à Rome, pour la fête des saints Apôtres Pierre et Paul, une délégation du Patriarcat œcuménique, de même que d’envoyer au Phanar une délégation du Saint-Siège pour la célébration solennelle de saint André.

53. Ces contacts réguliers permettent, entre autres, un échange direct d’informations et d’avis en vue d’une coordination fraternelle. Par ailleurs, notre participation mutuelle à la prière nous redonne l’habitude de vivre côte à côte, elle nous incite à accueillir ensemble la volonté du Seigneur pour son Eglise et donc à la mettre en pratique.

Au long du chemin que nous avons parcouru depuis le Concile Vatican II, il faut mentionner au moins deux événements particulièrement expressifs et de grande importance œcuménique pour les relations entre l’Orient et l’Occident : en premier lieu, le Jubilé de 1984, proclamé pour célébrer le onzième centenaire de l’œuvre d’évangélisation de Cyrille et Méthode et qui m’a permis de proclamer co-patrons de l’Europe les deux saints apôtres des Slaves, messagers de la foi. En 1964, pendant le Concile, le Pape Paul VI avait déjà proclamé saint Benoît patron de l’Europe. Associer les deux frères de Thessalonique au grand fondateur du monachisme occidental revient à mettre indirectement en relief la double tradition ecclésiale et culturelle si significative des deux mille ans de christianisme qui ont marqué l’histoire du continent européen. Il n’est donc pas superflu de rappeler que Cyrille et Méthode venaient des milieux de l’Eglise byzantine de leur temps, époque pendant laquelle elle était en communion avec Rome. En les proclamant patrons de l’Europe, avec saint Benoît, je ne désirais pas seulement confirmer la vérité historique sur le christianisme dans le continent européen, mais suggérer aussi un thème important pour le dialogue entre l’Orient et l’Occident qui a suscité tant d’espérance dans l’après-Concile. Comme chez saint Benoît, l’Europe retrouve ses racines spirituelles auprès des saints Cyrille et Méthode. Alors que s’achève le deuxième millénaire depuis la naissance du Christ, ils doivent être vénérés ensemble, patrons de notre passé et saints auxquels les Églises et les nations du continent européen confient leur avenir.

54. L’autre événement qu’il me plaît de rappeler est la célébration du millénaire du Baptême de la Russie (988-1988). L’Eglise catholique, et tout particulièrement le Siège apostolique, ont voulu prendre part aux célébrations jubilaires et ont cherché à souligner le fait que le Baptême donné à saint Vladimir à Kiev a été un événement central pour l’évangélisation du monde. Les grandes nations slaves d’Europe de l’Est lui doivent leur foi, de même que les peuples qui vivent au-delà de l’Oural et jusqu’en Alaska.

C’est dans cette perspective que prend son sens le plus profond une expression que j’ai plusieurs fois employée : l’Eglise doit respirer avec ses deux poumons ! Pendant le premier millénaire de l’histoire du christianisme, cette expression évoque surtout la dualité Byzance-Rome ; à partir du Baptême de la Russie, sa portée s’élargit ; l’évangélisation s’est étendue à une dimension plus vaste, en sorte que cette expression en vient à désigner l’Eglise tout entière. Considérant ensuite que cet événement salvifique, survenu sur les rives du Dniepr, remonte à une époque où l’Eglise d’Orient et celle d’Occident n’étaient pas divisées, on comprend clairement que la perspective dans laquelle on doit rechercher la pleine communion est celle de l’unité dans une légitime diversité. C’est ce que j’ai vigoureusement affirmé dans l’encyclique Slavorum apostoli consacrée aux saints Cyrille et Méthode, et dans la lettre apostolique Euntes in mundum adressée aux fidèles de l’Eglise catholique lors de la célébration du millénaire du Baptême de la Rus’ de Kiev.

Eglises sœurs

55. Dans sa perspective historique, le décret conciliaire Unitatis redintegratio rappelle l’unité qui fut vécue, malgré tout, pendant le premier millénaire, et qui, en un sens, fait figure de modèle. « Le saint Concile se plaît à rappeler à tous qu’en Orient brillent plusieurs Eglises particulières ou locales, parmi lesquelles les Eglises patriarcales occupent la première place et dont un certain nombre ont la gloire d’avoir été fondées par les Apôtres eux-mêmes ». La route de l’Eglise a commencé à Jérusalem le jour de la Pentecôte et tout son premier développement dans l’oikoumenè de cette époque était centré autour de Pierre et des Onze (cf. Ac 2,14). Les structures de l’Eglise en Orient et en Occident se formaient donc à partir de ce patrimoine apostolique. Son unité, dans les limites du premier millénaire, était maintenue dans ces mêmes structures par les Evêques, successeurs des Apôtres, en communion avec l’Evêque de Rome. Si nous cherchons aujourd’hui, au terme du deuxième millénaire, à rétablir la pleine communion, c’est à l’unité ainsi structurée que nous devons nous référer.

Le décret sur l’œcuménisme met en valeur un autre aspect caractéristique grâce auquel toutes les Eglises particulières demeuraient dans l’unité, c’est-à-dire « le souci attentif de conserver dans une communion de foi et de charité les relations fraternelles qui doivent être en honneur entre les Églises locales, comme entre des sœurs ».

56. Après le Concile Vatican II, en se rattachant à cette tradition, l’usage a été rétabli de donner l’appellation d’ « Eglises sœurs » aux Eglises particulières ou locales rassemblées autour de leur Evêque. Ensuite, l’abrogation des excommunications mutuelles, supprimant un obstacle douloureux d’ordre canonique et psychologique, a été un pas très important sur la route vers la pleine communion.

Les structures d’unité qui existaient avant la division sont un patrimoine d’expériences qui oriente notre cheminement vers le retour à la pleine communion. Evidemment, pendant le deuxième millénaire, le Seigneur n’a pas cessé de donner à son Eglise des fruits abondants de grâce et de croissance. Mais l’éloignement réciproque progressif entre les Eglises d’Occident et d’Orient les a malheureusement empêchées d’échanger les richesses de leurs dons et de leurs aides. Il convient de fournir un grand effort, avec la grâce de Dieu, pour rétablir entre elles la pleine communion, source de tant de biens pour l’Eglise du Christ. Cet effort requiert toute notre bonne volonté, une prière humble et une collaboration persévérante que rien ne doit décourager. Saint Paul nous stimule : « Portez les fardeaux les uns des autres » (Ga 6,2). Comme cette exhortation de l’Apôtre nous concerne, et comme elle est d’actualité ! L’appellation traditionnelle d’« Eglises sœurs » devrait nous être sans cesse présente sur cette route.

57. Ainsi que le souhaitait le Pape Paul VI, notre objectif bien défini est de retrouver ensemble la pleine unité dans la diversité légitime : « Ce que les Apôtres ont vu, entendu et nous ont annoncé, Dieu nous a donné de le recevoir dans la foi. Par le Baptême, nous sommes un dans le Christ Jésus (Ga 3,28). En vertu de la succession apostolique, le sacerdoce et l’Eucharistie nous unissent plus intimement ; participant aux dons de Dieu à son Eglise, nous sommes mis en communion avec le Père par le Fils dans l’Esprit Saint. En chaque Eglise locale s’opère ce mystère de l’amour divin et n’est-ce pas là la raison de l’expression traditionnelle et si belle selon laquelle les Eglises locales aimaient à s’appeler Eglises sœurs (cf. décret Unitatis redintegratio, n. 14) ? Cette vie d’Eglise sœur, nous l’avons vécue durant des siècles, célébrant ensemble les conciles œcuméniques qui ont défendu le dépôt de la foi contre toute altération. Maintenant, après une longue période de division et d’incompréhension réciproque, le Seigneur nous donne de nous redécouvrir comme Eglises sœurs, malgré les obstacles qui furent alors dressés entre nous ». Si aujourd’hui, au seuil du troisième millénaire, nous cherchons à rétablir la pleine communion, c’est à la mise en pratique de cette réalité que nous devons tendre et c’est à cette réalité que nous devons nous référer.

Les liens avec cette glorieuse tradition sont féconds pour l’Eglise. « Les Eglises d’Orient - déclare le Concile - possèdent depuis leur origine un trésor duquel l’Eglise d’Occident a puisé de nombreux éléments dans les domaines de la liturgie, de la tradition spirituelle et de l’ordre juridique ».

De ce « trésor », font également partie « les richesses de ces traditions spirituelles dont le monachisme surtout est l’expression. C’est là que, depuis les temps glorieux des saints Pères, a fleuri la spiritualité monastique qui s’est répandue ensuite dans les pays d’Occident ». Comme j’ai eu l’occasion de le faire observer récemment dans la lettre apostolique Orientale lumen, les Eglises d’Orient ont vécu avec une grande générosité l’engagement dont témoigne la vie monastique, « à commencer par l’évangélisation, qui est le service le plus élevé que le chrétien puisse offrir à son frère, pour se prolonger par de nombreuses autres formes de service spirituel et matériel. On peut même dire que le monachisme a été dans l’antiquité - et également, à plusieurs reprises, au cours des époques qui suivirent - l’instrument privilégié de l’évangélisation des peuples ».

Le Concile ne s’en tient pas à mettre en évidence tout ce qui rend les Eglises d’Orient et d’Occident semblables entre elles. Conformément à la vérité historique, il n’hésite pas à affirmer : « Il n’est pas étonnant que certains aspects du mystère révélé soient parfois mieux saisis et mieux mis en lumière par une partie que par l’autre, si bien qu’il faut dire que souvent ces formulations théologiques différentes sont davantage complémentaires qu’opposées entre elles ». L’échange des dons entre les Eglises, dans leur complémentarité, rend féconde la communion.

58. Partant de la réaffirmation de la communion de foi déjà existante, le Concile Vatican II a tiré des conséquences pastorales utiles pour la vie concrète des fidèles et pour la promotion de l’esprit d’unité. En raison des liens sacramentels très étroits existant entre l’Église catholique et les Eglises orthodoxes, le décret Orientalium Ecclesiarum a déclaré que « la pratique pastorale montre qu’on peut et que l’on doit prendre en considération les différentes situations des personnes prises individuellement, situations dans lesquelles ni l’unité de l’Eglise n’est lésée, ni des périls à éviter ne se présentent, mais dans lesquelles au contraire la nécessité du salut et le bien spirituel des âmes constituent un besoin urgent. C’est pourquoi l’Eglise catholique, en raison des circonstances de temps, de lieux et de personnes, a souvent adopté et adopte un mode d’action plus indulgent, offrant à tous les moyens de salut et le témoignage de la charité entre chrétiens par la participation aux sacrements et aux autres célébrations et choses sacrées ».

Avec l’expérience faite au cours des années de l’après-Concile, cette orientation théologique et pastorale a été reprise par les deux Codes de Droit canonique. Elle a été explicitée du point de vue pastoral par le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’œcuménisme.

En cette matière si importante et si délicate, il est nécessaire que les pasteurs instruisent les fidèles avec soin, afin qu’ils connaissent clairement les raisons précises de telles participations dans le culte liturgique de même que des diverses disciplines existant à ce sujet.

On ne doit jamais perdre de vue la dimension ecclésiologique de la participation aux sacrements, surtout celle de la sainte Eucharistie.

Les progrès du dialogue

59. Depuis sa création, en 1979, la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe a travaillé avec ardeur, orientant progressivement sa recherche vers les perspectives qui avaient été choisies d’un commun accord dans le but de rétablir la pleine communion entre les deux Eglises. Cette communion fondée sur l’unité de la foi, dans la continuité de l’expérience et de la tradition de l’Eglise ancienne, trouvera son expression plénière dans la concélébration de la sainte Eucharistie. D’un esprit constructif et en se fondant sur nos points de convergence, la Commission mixte a pu faire de substantiels progrès. Comme j’ai eu l’occasion de le déclarer avec mon vénéré Frère, Sa Sainteté Dimitrios Ier, Patriarche œcuménique, elle est parvenue à exprimer « ce que l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe peuvent déjà professer ensemble comme une foi commune dans le mystère de l’Eglise et le lien entre la foi et les sacrements ». La Commission a pu constater et affirmer ensuite que, « dans nos Eglises, la succession apostolique est fondamentale pour la sanctification et l’unité du peuple de Dieu ». Il s’agit de points de référence importants pour la poursuite du dialogue. Mais il y a plus : ces affirmations communes constituent le fondement qui rend les catholiques et les orthodoxes capables de donner dès maintenant, en notre temps, un témoignage commun fidèle et cohérent pour l’annonce et la glorification du nom du Seigneur.

60. Plus récemment, la Commission mixte internationale a fait un pas important en ce qui concerne la question si délicate de la méthode à suivre pour rechercher la pleine communion entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, question qui a souvent été une pierre d’achoppement dans les rapports entre catholiques et orthodoxes. Elle a jeté les bases doctrinales d’une solution positive du problème, fondée sur la doctrine des Eglises sœurs. Dans ce contexte aussi, il est clairement apparu que la méthode à suivre vers la pleine communion est le dialogue de la vérité, nourri et soutenu par le dialogue de la charité. Le droit reconnu aux Eglises orientales catholiques de s’organiser et de mener leur apostolat, ainsi que l’engagement effectif de ces Eglises dans le dialogue de la charité et dans le dialogue théologique, favoriseront non seulement un vrai respect fraternel entre orthodoxes et catholiques vivant sur le même territoire, mais aussi leur action commune pour la recherche de l’unité. Un progrès a été accompli. L’action doit se poursuivre. Dès maintenant, toutefois, on peut constater que les esprits ont été pacifiés, ce qui rend la recherche plus féconde.

Au sujet des Eglises orientales en communion avec l’Eglise catholique, le Concile avait exprimé le jugement suivant : « Rendant grâces à Dieu de ce que beaucoup d’Orientaux, fils de l’Eglise catholique vivent déjà en pleine communion avec leurs frères qui observent la tradition occidentale, le saint Concile déclare que tout ce patrimoine spirituel et liturgique, disciplinaire et théologique, dans ses diverses traditions, fait partie de la pleine catholicité et apostolicité de l’Eglise ». Dans l’esprit du décret sur l’œcuménisme, les Eglises orientales catholiques sauront certainement participer de manière positive au dialogue de la charité et au dialogue théologique, au niveau local comme au niveau universel, contribuant ainsi à la compréhension réciproque et à une recherche dynamique de la pleine unité.

61. Dans cette perspective, l’Eglise catholique ne veut rien d’autre que la pleine communion entre l’Orient et l’Occident. Elle s’inspire en cela de l’expérience du premier millénaire. Au cours de cette période, en effet, « le développement de différentes expériences de vie ecclésiale n’empêchait pas qu’à travers des relations réciproques, les chrétiens aient pu continuer à avoir la certitude de se sentir chez eux dans n’importe quelle Eglise, parce que de toutes les Eglises s’élevait, dans une admirable variété de langues et d’accents, la louange de l’unique Père, par le Christ, dans l’Esprit Saint ; toutes étaient réunies pour célébrer l’Eucharistie, cœur et modèle pour la communauté, non seulement en ce qui concerne la spiritualité ou la vie morale, mais également pour la structure même de l’Eglise, dans la variété des ministères et des services, sous la présidence de l’Evêque, successeur des Apôtres. Les premiers Conciles constituent un témoignage éloquent de cette unité persistant dans la diversité ». Comment refaire l’unité après environ un millier d’années ? Voilà la grande tâche dont l’Eglise catholique doit s’acquitter et qui incombe également à l’Eglise orthodoxe. A partir de là, on comprend toute l’actualité du dialogue, soutenu par la lumière et la puissance de l’Esprit Saint.

Relations avec les Eglises anciennes d’Orient

62. Depuis le Concile Vatican II, sous des formes et avec une fréquence variées, l’Eglise catholique a renoué des relations fraternelles avec les Eglises anciennes d’Orient qui ont contesté les formules dogmatiques des Conciles d’Ephèse et de Chalcédoine. Toutes ces Eglises ont envoyé des observateurs délégués au Concile Vatican II ; leurs Patriarches nous ont honorés de leur visite et l’Evêque de Rome a pu leur parler comme à des frères qui, après une longue période de séparation, se retrouvent dans la joie.

La reprise des relations fraternelles avec les Eglises anciennes d’Orient, témoins de la foi chrétienne dans des situations souvent hostiles et tragiques, est un signe concret de la manière dont le Christ nous réunit malgré les barrières historiques, politiques, sociales et culturelles. Et c’est précisément au sujet de la question christologique que nous avons pu déclarer avec les Patriarches de certaines de ces Eglises notre foi commune en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme. Le Pape Paul VI, de vénérée mémoire, avait signé des déclarations qui allaient en ce sens avec Sa Sainteté Shenouda III, Pape et Patriarche copte orthodoxe, et avec le Patriarche syro-orthodoxe d’Antioche, Sa Sainteté Jacoub III. J’ai moi-même pu confirmer cet accord christologique et en tirer des conséquences pour la poursuite du dialogue avec le Pape Shenouda et pour la collaboration pastorale avec le Patriarche syrien d’Antioche Mar Ignace Zakka Ier Iwas.

Avec le vénérable Patriarche de l’Eglise d’Ethiopie, Abouna Paulos, qui m’a rendu visite à Rome le 11 juin 1993, nous avons souligné la communion profonde qui existe entre nos deux Eglises : « Nous partageons la même foi venue des Apôtres, les mêmes sacrements et le même ministère enraciné dans la succession apostolique. En effet, nous pouvons affirmer aujourd’hui que nous avons la même foi au Christ, alors que, pendant longtemps, elle a été entre nous une cause de division ».

Plus récemment, le Seigneur m’a donné la grande joie de signer une déclaration christologique commune avec le Patriarche assyrien de l’Orient, Sa Sainteté Mar Dinkha IV, qui a souhaité pour cela me rendre visite à Rome au mois de novembre 1994. Tenant compte des différences de formulations théologiques, nous avons pu ainsi professer ensemble la vraie foi au Christ. Je veux dire la joie que tout cela me donne en reprenant les paroles mêmes de la Vierge : « Mon âme exalte le Seigneur » (Lc 1,46).

63. A propos des controverses traditionnelles sur la christologie, les contacts œcuméniques ont rendu possibles des clarifications essentielles, ce qui nous permet de confesser ensemble la foi qui nous est commune. Encore une fois, on doit constater qu’un acquis de cette importance est assurément le fruit de la recherche théologique et du dialogue fraternel. Et il y a plus : nous y trouvons un encouragement, car cela nous montre que la voie parcourue est la bonne et qu’on peut raisonnablement espérer trouver ensemble la solution des autres questions controversées.

Dialogue avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales d’Occident

64. Dans le vaste cadre du rétablissement de l’unité entre tous les chrétiens, le décret sur l’œcuménisme prend également en considération les relations avec les Eglises et les Communautés ecclésiales d’Occident. Désireux d’instaurer un climat de fraternité chrétienne et de dialogue, le Concile formule ses indications dans le cadre de deux considérations d’ordre général, l’une, de caractère historique et psychologique, l’autre, de caractère théologique et doctrinal. D’un côté, ce document souligne : « Les Eglises et communautés ecclésiales qui, soit à l’époque de la grave crise débutant, en Occident, dès la fin du Moyen Age, soit dans la suite, furent séparées du Siège apostolique romain, restent cependant unies à l’Eglise catholique par une affinité et des relations particulières en raison de la longue durée de la vie que le peuple chrétien a passée dans la communion ecclésiastique au cours des siècles antérieurs ». Par ailleurs, on constate avec le même réalisme : « Il faut reconnaître qu’entre ces Eglises et Communautés, d’une part, et l’Eglise catholique, d’autre part, il existe des différences d’une grande importance non seulement d’ordre historique, sociologique, psychologique et culturel, mais surtout dans l’interprétation de la vérité révélée ».

65. Les racines sont communes et, malgré les différences, ce sont des éléments similaires qui ont orienté en Occident le développement de l’Eglise catholique et des Eglises et Communautés issues de la Réforme. Par conséquent, elles possèdent une caractéristique occidentale commune. Les « divergences » évoquées plus haut, malgré leur importance, n’excluent donc pas les influences réciproques ni la complémentarité.

Le mouvement œcuménique a pris son essor dans les Eglises et les Communautés de la Réforme. En même temps, dès janvier 1920, le Patriarcat œcuménique avait souhaité que l’on organisât une collaboration entre les confessions chrétiennes. Ce fait montre que l’incidence de l’arrière-fond culturel n’est pas déterminante. L’essentiel, en revanche, c’est la question de la foi. La prière du Christ, notre unique Seigneur, Rédempteur et Maître, parle à tous de la même manière, en Orient comme en Occident. Elle devient un impératif qui commande d’abandonner les divisions pour rechercher et retrouver l’unité, sous l’influence des expériences amères de la division.

66. Le Concile Vatican II n’a pas l’intention de « décrire » le christianisme postérieur à la Réforme, puisque « ces Eglises et Communautés ecclésiales se distinguent notablement non seulement de nous, mais aussi entre elles », et ce « à cause de leur diversité d’origine, de doctrine et de vie spirituelle ». En outre, le même décret observe que le mouvement œcuménique et le désir de paix avec l’Église catholique « n’ont pas encore réussi à s’affirmer partout ». Néanmoins, malgré cela, le Concile propose le dialogue.

Le décret conciliaire cherche ensuite à « souligner certains points qui peuvent et doivent servir de fondement et de stimulant pour ce dialogue ». « Nous avons surtout en vue les chrétiens qui confessent ouvertement Jésus Christ comme Dieu et Seigneur et unique Médiateur entre Dieu et les hommes, pour la gloire du Dieu unique, Père, Fils et Esprit Saint ».

Ces frères montrent beaucoup d’amour et de vénération pour les saintes Écritures : « Invoquant l’Esprit Saint, c’est dans les saintes Ecritures ellesmêmes qu’ils cherchent Dieu comme celui qui leur parle dans le Christ, qui a été annoncé par les prophètes et qui est le Verbe de Dieu incarné pour nous. Ils y contemplent la vie du Christ et ce qu’a enseigné et fait le divin Maître en vue du salut des hommes, et surtout les mystères de sa mort et de sa résurrection ; ils affirment l’autorité divine des saints Livres ».

Mais, en même temps, ils pensent « différemment de nous le rapport entre l’ecriture et l’eglise dans laquelle, selon la foi catholique, le magistère authentique tient une place particulière pour l’explication et la proclamation de la Parole de Dieu écrite ». Malgré cela, « les paroles sacrées sont, dans le dialogue lui-même, un instrument éminent dans la main puissante de Dieu pour atteindre cette unité que le Sauveur offre à tous les hommes ».

En outre, le sacrement du Baptême, qui nous est commun, représente « le lien sacramentel de l’unité qui existe entre tous ceux qui ont été régénérés par lui ». Les implications théologiques, pastorales et œcuméniques du Baptême commun sont nombreuses et importantes. Bien qu’il ne constitue en lui-même « que le début et le point de départ » , ce sacrement « est ordonné à la profession intégrale de la foi, à la totale intégration dans l’économie du salut, telle que le Christ l’a voulue, enfin à la complète insertion dans la communion eucharistique ».

67. Au moment de la Réforme, des divergences doctrinales et historiques ont vu le jour à propos de l’eglise, des sacrements et du ministère ordonné. Le Concile demande donc que « la doctrine sur la Cène du Seigneur, sur les autres sacrements et le culte ainsi que sur les ministères de l’eglise fasse l’objet du dialogue ».

Le décret Unitatis redintegratio relève que les Communautés issues de la Réforme n’ont pas « avec nous la pleine unité qui dérive du Baptême » et observe qu’« en raison principalement de l’absence du sacrement de l’Ordre, elles n’ont pas conservé la substance propre et intégrale du mystère eucharistique », même si « dans la sainte Cène elles font mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur, elles professent que la vie dans la communion au Christ est signifiée par là et elles attendent son avènement glorieux ».

68. Le décret n’oublie ni la vie spirituelle ni les conséquences morales : « La vie chrétienne de ces frères se nourrit de la foi au Christ, elle est soutenue par la grâce du Baptême et l’écoute de la Parole de Dieu. Elle se manifeste dans la prière privée, la méditation biblique, la vie de famille chrétienne, le culte de la communauté rassemblée pour louer Dieu. Du reste, leur culte comporte assez souvent des éléments remarquables de l’antique liturgie commune ».

Par ailleurs, le document conciliaire ne se limite pas à ces aspects spirituels, moraux et culturels, mais il salue aussi le vif sentiment de justice et la charité véritable pour le prochain qui sont présents chez ces frères ; il n’oublie pas non plus les initiatives qu’ils ont prises pour rendre plus humaines les conditions de la vie en société et pour rétablir la paix. Tout cela s’est fait avec une volonté sincère d’adhérer à la Parole du Christ comme source de la vie chrétienne.

Ainsi, le texte fait ressortir une problématique qui, dans le domaine éthique et moral, devient toujours plus urgente en notre temps : « Parmi les chrétiens, beaucoup ne comprennent pas toujours l’Evangile de la même manière que les catholiques ». En ce vaste domaine, il y a de grandes possibilités de dialogue au sujet des principes moraux de l’Evangile et de leurs applications.

69. Les souhaits et l’invitation du Concile Vatican II ont été exaucés et, progressivement, on a vu s’ouvrir le dialogue théologique bilatéral entre les différentes Eglises et Communautés chrétiennes mondiales d’Occident.

Par ailleurs, pour le dialogue multilatéral, dès 1964 fut mis en place un processus de constitution d’un « Groupe mixte de travail » avec le Conseil œcuménique des Eglises et, à partir de 1968, des théologiens catholiques vinrent siéger, comme membres à part entière, dans le Département théologique de ce Conseil, la Commission « Foi et Constitution ».

Le dialogue fut et demeure fécond, riche de promesses. Les thèmes suggérés par le décret conciliaire comme matière de dialogue, ont déjà été abordés ou bien le seront à brève échéance. Dans les différents dialogues bilatéraux, la réflexion, menée avec une ardeur qui mérite les éloges de toute la communauté œcuménique, s’est concentrée sur de nombreuses questions controversées comme le Baptême, l’Eucharistie, le Ministère ordonné, la sacramentalité et l’autorité de l’Église, la succession apostolique. On a ainsi esquissé des perspectives inespérées de solution et, en même temps, on a compris la nécessité de traiter certains points de manière plus approfondie.

70. Cette recherche difficile et délicate, qui touche à des problèmes de foi et de respect de la conscience de chacun, a été accompagnée et soutenue par la prière de l’Eglise catholique et des autres Eglises et Communautés ecclésiales. La prière pour l’unité, si enracinée et diffusée dans le tissu ecclésial, montre que l’importance de la question œcuménique n’échappe pas aux chrétiens. La recherche de la pleine unité requiert un débat sur la foi entre croyants qui se réclament de l’unique Seigneur ; c’est pourquoi la prière est une source de lumière sur la vérité à accueillir dans sa totalité.

De plus, loin d’être confinée dans un cercle de spécialistes, la recherche de l’unité concerne tout baptisé grâce à la prière. Tous, indépendamment de leur rôle dans l’Eglise et de leur formation culturelle, peuvent apporter leur contribution active, de manière mystérieuse et profonde.

Relations ecclésiales

71. Il faut rendre grâce à la Divine Providence pour tous les événements qui témoignent du progrès sur la voie de la recherche de l’unité. A côté du dialogue théologique, on mentionnera à bon droit les autres formes de rencontre, la prière commune et la collaboration pratique. Le Pape Paul VI a donné une forte impulsion à ce processus, par sa visite au siège du Conseil œcuménique des Eglises à Genève, le 10 juin 1969, et ses nombreuses rencontres avec les représentants de différentes Eglises et Communautés ecclésiales. Ces contacts contribuent efficacement à l’amélioration de la connaissance réciproque et à la croissance de la fraternité chrétienne.

Au cours de son bref pontificat, le Pape Jean-Paul Ier exprima sa volonté de poursuivre le chemin. Le Seigneur m’a donné d’œuvrer dans cette direction. Outre d’importantes rencontres œcuméniques à Rome, une partie notable de mes visites pastorales est systématiquement consacrée au témoignage en faveur de l’unité des chrétiens. Certains de mes voyages montrent même une « priorité » œcuménique, surtout dans les pays où les communautés catholiques constituent une minorité par rapport aux Confessions issues de la Réforme ou dans les pays où ces dernières représentent une part considérable des fidèles du Christ.

72. Cela vaut surtout pour les pays européens, où sont nées ces divisions, et pour l’Amérique du Nord. Sur ce point, sans vouloir déprécier les autres visites, il faut accorder une attention particulière aux visites qui, sur le continent européen, m’ont conduit par deux fois en Allemagne, en novembre 1980 et en avril-mai 1987 ; la visite dans le Royaume Uni (Angleterre, Ecosse et Pays de Galles) en mai-juin 1982 ; en Suisse, en juin 1984 ; dans les pays scandinaves et nordiques (Finlande, Suède, Norvège, Danemark et Islande) où je me suis rendu en juin 1989. Dans la joie, dans un respect mutuel, dans la solidarité chrétienne et dans la prière, j’ai rencontré d’innombrables frères, tous engagés dans la recherche de la fidélité à l’Evangile. Cette constatation fut pour moi une grande source d’encouragement. Nous avons fait l’expérience de la présence du Seigneur au milieu de nous.

Je voudrais à ce sujet rappeler une attitude dictée par la charité fraternelle et empreinte d’une foi profondément lucide que j’ai vécue de manière particulièrement intense. Je pense ici aux célébrations eucharistiques que j’ai présidées en Finlande et en Suède au cours de mon voyage dans les pays nordiques et scandinaves. Au moment de la communion, les Evêques luthériens se sont présentés devant le célébrant. Ils ont voulu montrer par un geste décidé en commun leur désir de parvenir au moment où nous pourrions, catholiques et luthériens, partager la même Eucharistie et ils ont voulu recevoir la bénédiction du célébrant. C’est avec amour que je les ai bénis. Le même geste, si riche de signification, a été refait à Rome, pendant la messe que j’ai présidée Place Farnèse à l’occasion du sixième centenaire de la canonisation de sainte Brigitte, le 6 octobre 1991.

J’ai pu reconnaître des sentiments analogues au-delà de l’océan, au Canada, en septembre 1984, et spécialement en septembre 1987 aux États-Unis où l’on perçoit une grande ouverture œcuménique. C’est le cas, par exemple, de la rencontre œcuménique du 11 septembre 1987 à Columbia, en Caroline du Sud. En soi, il est important que ces rencontres entre les frères venus de la Réforme et le Pape aient lieu régulièrement. Je leur en suis très reconnaissant, parce qu’ils m’ont reçu avec une grande cordialité, qu’il s’agisse des responsables des différentes Communautés ou des Communautés dans leur ensemble. De ce point de vue, je trouve significative la célébration œcuménique de la Parole qui s’est déroulée à Columbia et qui avait pour thème la famille.

73. C’est encore un motif de grande joie que de constater à quel point, en période postconciliaire et dans chacune des Eglises locales, il y a, en faveur de l’unité des chrétiens, abondance d’initiatives et d’actions qui impliquent les Confé- rences épiscopales, les diocèses et les communautés paroissiales, de même que divers cercles et mouvements ecclésiaux.

Collaborations réalisées

74. « Ce n’est pas en me disant Seigneur, Seigneur, qu’on entrera dans le Royaume des cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21). La cohérence et l’honnêteté des intentions et des affirmations de principe se vérifient quand on les applique à la vie concrète. Le décret du Concile sur l’œcuménisme fait remarquer que, chez les autres chrétiens, « la foi au Christ produit ses fruits dans la louange et l’action de grâces pour les bienfaits reçus de Dieu ; s’y ajoutent un sens très vif de la justice et une charité sincère envers le prochain ».

Ces remarques à peine esquissées sont un terrain fécond non seulement pour le dialogue, mais aussi pour une collaboration active : la « foi agissante a même suscité de nombreuses institutions destinées à soulager la misère spirituelle et cor- porelle, à promouvoir l’éducation des jeunes, à rendre plus humaines les conditions de vie sociale, à affermir partout la paix ».

La vie sociale et culturelle offre un large champ à la collaboration œcuménique. Les chrétiens se retrouvent toujours plus souvent pour défendre la dignité humaine, pour promouvoir le bien de la paix, l’application de l’Evangile dans le domaine social, pour rendre présent l’esprit chrétien dans les sciences et dans les arts. Ils se retrouvent toujours plus quand il s’agit de venir en aide aux malheureux et de porter remède aux misères de notre temps, la faim, les catastrophes naturelles, l’injustice sociale.

75. Cette coopération, qui s’inspire de l’Evangile lui-même, n’est jamais, pour les chrétiens, une simple action humanitaire. Elle tire sa raison d’être de la parole du Seigneur : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger » (Mt 25,35). Comme je l’ai déjà souligné, la coopération de tous les chrétiens manifeste clairement le degré de communion qui existe déjà entre eux.

Aux yeux du monde, l’action conjuguée des chrétiens dans la société revêt alors la valeur transparente d’un témoignage chrétien rendu en commun au nom du Seigneur. Elle a également les dimensions d’une annonce, parce qu’elle révèle le visage du Christ.

La persistance de divergences doctrinales limite la collaboration et influe de manière négative sur elle. La communion de foi qui existe déjà entre les chrétiens offre une base solide non seulement à leur action conjointe dans le domaine social, mais aussi dans le domaine religieux.

Cette coopération facilitera la recherche de l’unité. Le décret sur l’œcuménisme faisait remarquer que, grâce à elle, « ceux qui croient au Christ peuvent facilement apprendre comment on peut mieux se connaître les uns les autres, s’estimer davantage et préparer la voie à l’unité des chrétiens ».

76. Comment ne pas rappeler, dans ce contexte, l’intérêt œcuménique pour la paix qui s’exprime dans la prière et dans l’action, avec une participation croissante des chrétiens et une motivation théologique de plus en plus profonde ? Il ne saurait en être autrement. Ne croyons-nous pas en Jésus Christ, Prince de la Paix ? Les chrétiens sont toujours plus unis pour refuser la violence, toute forme de violence, depuis les guerres jusqu’à l’injustice sociale.

Nous sommes appelés à un engagement toujours plus actif, pour qu’il apparaisse encore plus clairement que les motivations religieuses ne sont pas la véritable cause des conflits en cours, même si, malheureusement, le risque d’exploitation à des fins politiques et polémiques n’a pas été conjuré.

En 1986, à Assise, durant la Journée mondiale de prière pour la paix, les chrétiens des différentes Églises et Communautés ecclésiales ont invoqué d’une même voix le Seigneur de l’histoire pour la paix dans le monde. En ce jour, de manière distincte mais parallèle, les juifs et les représentants des religions non chrétiennes ont prié pour la paix, dans une union de sentiments qui a fait vibrer les cordes les plus sensibles de l’esprit humain. Je ne voudrais pas oublier la Journée de prière pour la paix en Europe et spécialement dans les Balkans, qui m’a ramené en pèlerinage dans la cité de saint François les 9 et 10 janvier 1993, ni la Messe pour la paix dans les Balkans et en particulier en Bosnie-Herzégovine, que j’ai présidée le 23 janvier 1994 en la Basilique Saint-Pierre, dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens.

Quand notre regard parcourt le monde, la joie remplit notre cœur. Nous constatons en effet que les chrétiens se sentent toujours plus interpellés par la question de la paix. Ils la considèrent comme liée de près à l’annonce de l’Evangile et à l’avènement du Règne de Dieu.


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